Islam, République et
laïcité
François Baudin
30/05/2013
Lors de cette causerie, je vais
essayer de démêler le lien entre la République française, l’islam et la
laïcité. Ce travail est un travail historique. Il ne porte pas sur l’actualité,
mais tente d’apporter en quelque dizaines de minutes, des éléments (je dis bien
quelque éléments seulement) permettant de répondre à la question :
pourquoi aujourd’hui les rapports entre notre république française laïque et
l’islam restent difficiles.
Habituellement on répond :
parce que l’islam ne peut pas opérer sa mutation lui permettant de s’installer
définitivement dans la République. Sous entendant en quelque sorte qu’elle est
incapable d’accepter la laïcité, même de la comprendre. L’islam alors est
considérée dans sa globalité comme une religion intolérante. Et pour nous
prouver cette assertion on donne en exemple des pays islamiques qui ne se
caractérisent pas par leur tolérance religieuse.
Islam et laïcité semblent alors
être deux choses totalement étrangères, voire contradictoires. La question est
posée aux musulmans en ces termes : êtes vous capable de vous intégrer
dans la laïcité ?
Cette manière de voir est
partagée par la plupart des gens qui répondent non.
En fait dans cette conférence, je
pose la question de manière inversée et j’interroge la république. Êtes vous et
à travers l’histoire avez-vous été capable d’accepter l’islam en votre
sein ?
L’idée est la suivante :
avant de questionner la religion musulmane sur son rapport à la laïcité,
j’interroge la république française laïque sur son rapport à l’islam.
Auparavant je vais exposer
quelques principes relatifs à la laïcité.
Les hommes sont des êtres sociaux
qui doivent vivre ensemble. Ils sont semblables et différents, uniques et
égaux, parmi eux certains croient en
Dieu, d’autres sont athées.
Cette vie commune qui nous est
imposée ou que nous recherchons, que nous souhaitons même parfois développer,
doit nous être également garantie, assurée.
C’est le sens même de la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen : assurance à tous de la liberté de conscience et de
l’égalité des droits.
Tel est le sens de notre contrat
fondateur apte à fournir le cadre d’un état de droit.
Cette liberté de conscience
exclut toute contrainte religieuse ou idéologique. L’égalité des droits est
incompatible avec la valorisation d’une croyance religieuse ou la
valorisation de l’athéisme. La puissance publique dont une des missions est
d’organiser notre manière de vivre ensemble sera donc neutre et indifférente
sur le plan confessionnel. Et cette neutralité qui est une garantie
d’impartialité, est aussi la condition pour que chacun, quelle que soit sa
croyance ou ses convictions, puisse se reconnaître dans la cité ou dans cette
république, dont tous les membres se trouvent à égalité.
Voilà une première esquisse des
principes de laïcité. Esprit de concorde qui définit la laïcité. Ce
principe vise à la réalisation d’un objectif qui promeut ce qui unit les hommes
en amont de leur différence spirituelle, religieuse, ethnique, culturelle.
Ce principe de laïcité exclut
tout type de privilège et prévient ainsi la violence qui pourrait en résulter.
Ce principe exclut tout type de fanatisme et d’intolérance. La justesse de ce
principe est paradoxalement démontrée dans les faits, dans l’histoire, par les
multiples oppressions auxquelles a conduit sa non-reconnaissance : régimes
totalitaires et d’oppression qui prônaient et privilégiaient l’athéisme,
notamment dans les anciens pays du bloc de l’Est et encore aujourd’hui en Chine,
régimes qui ne reconnaissent qu’une seule croyance religieuse et ont à des
titres divers inspirés les violences qui résultent d’une volonté de s’imposer à
tous les hommes.
Le but ultime de la laïcité est bien le maintien et le
développement de la paix, de l’égalité et de la fraternité entre les
hommes ; des hommes qui deviennent alors des êtres de droit, des citoyens.
La question de la laïcité est
aujourd’hui d’une brûlante actualité dans le monde et aussi en France. La
question peut se résumer ainsi : Comment vivre les différences entre
les hommes sans renoncer au partage des références communes ?
Question d’autant plus importante
lorsque aujourd’hui en France le pluralisme des convictions peut dessiner des
communautés exclusives, dont les membres sont aliénés à leur différence avec le
risque d’affrontement communautaire que l’on peut très bien imaginer.
Voilà un des enjeux actuels. Car
c’est en tant qu’homme et citoyen que les personnes ont des droits et non en
tant que communauté.
Une telle esquisse du principe de
laïcité prend la forme d’une évidence : ce qui n’est que de certains ne
peut s’imposer à tous. Pour être acceptée, une telle évidence requiert deux
conditions simultanées :
- d’une part elle exige que la puissance publique soit dévolue à tous et mette ainsi en avant ce qui unit les hommes,
- d’autre part elle implique que chacun apprenne à vivre la croyance qui lui tient à cœur de façon à en exclure fanatisme et intolérance.
Face aux intégrismes, à
l’intolérance et au fanatisme, seule la laïcité permet d’assurer la paix en république.
La laïcité reste le fondement indispensable de l’harmonie sociale et de l’unité
d’une nation. La Laïcité distingue espace public et vie privée ; la laïcité
garantit la liberté absolue de conscience.
L’appréhension de cette dimension
ouverte et intrinsèquement positive de la laïcité souffre d’un malentendu,
comme celui d’un amalgame erroné entre laïcité et hostilité à la religion.
La loi sur la laïcité n’est pas
une loi répressive, mais au contraire une loi de liberté, une loi qui garantit
la liberté en la fondant sur le principe de la neutralité de l’Etat
républicain. La République ne reconnaît, ni ne finance aucun culte, par contre
elle garantit le libre exercice de tous les cultes dans des espaces prévus à
cet effet et dans le cadre de la loi.
La loi du 9 Décembre 1905, dite de
séparation des églises et de l’Etat, est d’une très grande clarté sur ce
point :
Art. Premier :
La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice
des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de
l’ordre public.
Art.2 : La République
ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à
partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront
supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes
dépenses relatives à l’exercice des cultes… »
Pourquoi aujourd’hui, plus de cent ans après la promulgation
de la loi dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat, faut-il rappeler ces
principes ? Que s’est-il passé en France ? Et comment en est on
arrivé là ?
Je me souviens un peu de manière nostalgique qu’au
cours des trente premières années de ma vie, aussi loin que je remonte lorsque
je rencontrai quelqu’un, que je discutai avec lui, je n’avais pas en face de
moi un juif, un chrétien, un musulman, un homosexuel ; mais j’avais tout
simplement un homme. C’était avec un homme ou une femme, peu importe, que je
parlais. C’était quelqu’un comme moi, mais qui parfois n’avait pas les mêmes idées
que moi. Et c’était bien. De nos échanges de notre dialogue pouvaient naître un
peu de lumière.
Et puis les choses ont changé peu
à peu. Il fallait que l’on sache si la personne était musulmane, chrétienne ou juive,
laissant l’homme, son humanité, dans l’ombre. Nous n’étions jusque dans les
années 1970 ni juifs, ni musulmans, ni homosexuel, ni hétéro sexuel, nous
étions tout simplement des hommes.
Les plus jeunes n’ont pas connu
cette époque qui va des années 50-60 aux années 70. Que s’est-il passé dans
notre pays, dans notre République ?
La question actuelle est celle de
l’islam.
La question posée en permanence est
celle de l’intégration de l’islam dans la République, avec sous-entendu que
cette intégration est impossible. Que dans l’essence même de l’islam, la
laïcité est quelque chose d’impossible. Que jamais l’islam en France ne pourra
accepter nos lois. Nous accueillons ce type d’arguments non fondés comme une
vérité d’évidence que l’actualité quotidienne viendrait confirmer en
permanence.
L’Islam est-il soluble dans la République ?
La religion catholique a mis plus
d’un demi-siècle à accepter la loi de séparation. Il a fallu deux
guerres : l’union sacré dans les tranchées en 14-18, la Résistance en
40-44 aux côtés des communistes, des socialistes, des républicains et des
gaullistes, des croyants et des athées pour que cette loi soit acceptée par
l’Eglise qui en définitive y trouve son compte comme elle le dit souvent. Dans
les maquis du Vercors ou d’ailleurs, ceux qui croyaient et ceux qui ne
croyaient pas étaient unis dans un même esprit. Le poète communiste Aragon l’a
rappelé magnifiquement.
La Rose et le Réséda
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
………………………………………………………….
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Alors certains hommes de bonne
volonté se disent qu’il faudra du temps à l’islam en France pour accepter la
laïcité. Qu’un long travail d’éducation est nécessaire pour que cette religion
qualifiée alors d’obscurantiste, intègre ce que l’on désigne comme modernité. Il
faut rappeler que dans les tranchées de 14, sur le front en 1944 et dans
l’Armée du général Leclerc de l’Italie jusque sur les bords du Rhin, comme en
mai et juin 1940, de très nombreux arabes, musulmans pour la plupart, sont
morts au combat.
Cependant, pour un grand nombre
de nos concitoyens cela ne suffit pas, et il faudra de longues décennies pour
intégrer l’islam dans la République. Au vu de ce qui se passe actuellement,
cela semble d’ailleurs de moins en moins possible pour un grand nombre de Français.
Voilà une vérité de bon sens que
nous devrions tous partager. « Tous » est trop dire, car ne doit-on
pas analyser historiquement le rapport entre la République et l’islam pour
comprendre aussi ce qui se passe aujourd’hui en France ?
La religion musulmane est-elle
une religion différente des autres, incapable de s’adapter à la République et
plus globalement au monde moderne ?
L’islam est-il un archaïsme
comparé au christianisme, au judaïsme, au bouddhisme ?
Le prétendre est oublier la
longue histoire des relations entre l’Orient et l’Occident. La modernité,
l’esprit scientifique et rationnel qui vit le jour en Europe au moment de la Renaissance
est dû en très grande part à l’influence de l’islam venu jusqu’en Occident à
partir du 9ème siècle.
Les progrès de la science, de la
philosophie rationnelle, de la médecine, l’astronomie, des mathématiques sont dus
aux apports de l’islam, de leurs chercheurs qui surent transmettre
l’enseignement de la Grèce antique auquel ils ajoutèrent leurs propres
découvertes.
La sortie du moyen âge est le
fait de l’islam. Même l’idée embryonnaire de laïcité est due en partie à
l’islam, à son esprit de tolérance, son respect des autres On ne peut
qu’admirer l’enseignement laïc et son esprit scientifique d’ouverture sur le
monde qu’a donné l’Espagne musulmane jusqu’au 15ème siècle. La
conquête espagnole par les catholiques terminée en 1492, fut un moment de
répression et de retour en arrière. Mais là n’est pas le sujet de la conférence. Pourtant il faut
rappeler très fortement que l’islam n’est pas historiquement une religieux
obscurantiste et les Musulmans des fanatiques intégristes. L’objet de cette
conférence est une analyse historique des relations entre l’islam et la République
française laïque.
La relation entre l’islam et la République
ne date pas d’hier. Elle est longue. Et on ne peut pas comprendre l’actualité
sans se pencher sur cette histoire.
Tout d’abord, il faut insister
sur le fait que l’intégrisme religieux, comme pour toutes les autres religions,
ne concerne qu’une minorité de fidèles. Il en de même pour l’islam. Il faut
insister sur le fait que la plupart des croyants souhaitent vivre en paix avec
les autres là où ils se trouvent, souhaitent vivre et travailler, souhaitent s’intégrer
parmi la population. Dans la plupart des cas, en France une grande majorité de
musulmans ont déjà intégré la laïcité, ses principes et ses valeurs.
Il faut aussi dire que, comme les
autres, les musulmans fidèles, ceux qui pratiquent, comprennent leur religion à
partir de leur réalité sociale et de leur culture. Et le gouvernement français ne
semble toujours pas avoir pris conscience qu'une bonne partie des
musulmans nés ici sont de culture française, même s'ils sont de confession musulmane !
Toute religion revêt en
permanence deux aspects qu’il faut distinguer : un aspect sociologique et
une croyance véritable d’ordre privée. On dit appartenir à telle ou telle
religion ou même on vous catégorise dans telle religion parce que vous ou vos
parents sont originaires de telle région du monde, parce que vous appartenez à
tel type de société dominée par telle religion. Et on peut alors faire
l’hypothèse et penser qu’à plus long terme, le phénomène religieux sociétal ira
en diminuant comme cela se passe aujourd’hui en Occident pour les religions
chrétiennes : protestants, catholiques. Ne resteront alors que des
croyants, libres, à qui on permettra de pratiquer leur religion.
Mais ces considérations
n’expliquent pas la difficulté actuelle entre l’islam et la République. Un
petit détour par l’histoire aidera à mieux comprendre.
Lorsque le législateur de la loi
de 1905 écrit ses articles de loi, il pense principalement à l’Eglise
catholique qui domine la société française, qui domine les esprits depuis plus d’un
millénaire. La loi est à destination de l’Eglise catholique, elle s’adresse
principalement à elle. Les juifs et les protestants sont favorables
majoritairement à la loi. N’ont-ils pas souffert pendant des siècles ? La République,
dont beaucoup de juifs et de protestants sont des promoteurs et des défenseurs,
les a en quelque sorte libérés de la tutelle de l’Eglise catholique qui avant
1914 considérait cette même République comme une « gueuse ». Une
catin, une putain. Il faudra, comme cela a été rappelé au début, plus d’un demi
siècle pour que cette vision de la République par une bonne partie de l’Eglise
catholique disparaisse. Et encore l’épisode de 1940 et du ralliement de la
hiérarchie ecclésiale à l’Etat français et à la révolution nationale de Pétain,
a été une tentative d’anéantir la laïcité.. Pourtant quelques évêques, et
surtout un nombre sigificatif de prêtres sauvèrent l’honneur de la hiérarchie
en résistant, en sauvant des familles juives pourchassées, en soutenant la
résistance et même dans certain cas en la rejoignant. En un mot en refusant
les idéaux du Maréchal Pétain. Le fait que l’Eglise catholique ait fait sienne
la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat a été le fruit d’une longue
histoire intimement à celle de notre pays.
La loi de 1905 s’adresse à l’Eglise catholique, d’emblée le législateur
exclut l’islam de la loi. L’islam dans l’esprit de la République a toujours été
considéré autrement. L’islam, c’est la religion dominante en Algérie, au
Maroc, en Tunisie et dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest qui à
l’époque sont considérés comme des territoires français. territoires qui sont
de fait sous la domination française et qui doivent en respecter les lois.
L’Islam alors est la religion de millions de personnes, Français ou
« indigènes » qui sont sous la tutelle de ce qu’on nomme l’empire
colonial.
Dans l’article 43 de la loi, il est écrit qu’un règlement
d'administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la
promulgation de la loi, déterminera les mesures propres à assurer son
application. Des règlements administratifs détermineront donc les conditions
dans lesquelles la loi sera applicable à l’Algérie et dans les colonies.
En fait la loi de séparation ne s’applique pas dans les colonies. Alors
qu’elle devrait s’étendre à tous les territoires, y compris les colonies. Qu’en
a-t-il été ?
En Algérie, le décret de 1907 a
prévu la séparation des seuls cultes catholique, protestant et israélite et non
du culte musulman. En effet, l’exception prévue pour 10 ans, excluant le culte
musulman de la loi de séparation a été reprise en 1917 pour cinq ans, puis en
1922 sine die, et confirmée par la loi de 1947.
On reproche actuellement aux
musulmans de ne pas connaître la laïcité, mais ils ne l’ont jamais connue sous
le drapeau français où le droit personnel musulman s’applique et où le Préfet
nomme le cadi.
Jusqu’à l’indépendance
des colonies, la République n’a jamais été laïque dans ses pratiques concrètes
vis-à-vis des territoires qu’elles dominait..
Alors que la loi de 1905 était
censée créer un statut unique pour toutes les religions sur l’ensemble du
territoire, sa mise en œuvre s’est traduite historiquement par des différences
de fait et de droit entre les cultes.
Prenons l’exemple de l’Alsace
Moselle après 1918 ; le retour à la France des départements
d’Alsace-Moselle s’est accompagné du maintien dans ces trois départements du
régime des cultes appliqué entre 1870 et 1918, c’est-à-dire du concordat de
1801 et des articles organiques édictés par Napoléon, combinés au droit
allemand des associations. Ce régime alsacien mosellan qui se distingue sur
plusieurs points du régime de séparation issu de la loi de 1905, ne s’applique
pas à l’ensemble des cultes, mais seulement aux “cultes reconnus”, c’est-à-dire expressément agréés et réglementés
par l’autorité publique. Depuis l’origine, quatre cultes reconnus existent en
Alsace-Moselle : catholique, luthérien, calviniste et juif. L’islam n’y
figure pas.
Le régime d’exception
alsacien-lorrain ne s’applique pas à l’islam. La situation du culte musulman en
Alsace Moselle est une fois de plus discriminatoire Une fois encore l’islam ne
connaît pas le même régime législatif que les autres religions. Concernant le
régime alsacien mosellan, il a fallu faire quelques ajustements pour que les
avantages accordés aux cultes reconnus ne passent pour une discrimination au vu
des textes européens. Une fois de plus la république française nous montre des
lacunes relatives aux principes d’égalité. Soit on maintient le régime concordataire
en Alsace Moselle et dans ce cas, il faudra reconnaître le culte musulman. Soit
on applique la loi de séparation sur l’ensemble du pays, y compris en Alsace
Moselle. Je rappelle qu’il y a au moins 100 000 musulmans en Alsace
Moselle. L’islam a toujours été une
exception. Quelle que soit cette exception.
Si on parle de l’exception
musulmane à la laïcité, historiquement cette exception n’est pas le fait de
l’islam mais le fait de la République. La République n’a jamais considéré
l’islam comme une religion identique à une autre. Cette non-application de la
loi de 1905, comme du régime concordataire alsacien est un symptôme de
l’incapacité de la République française à considérer l’islam sur un pied
d’égalité avec les autres religions.
Il est important de rappeler
l'attitude ambiguë de la République française à l'époque coloniale, qui
proclame haut et fort le principe de laïcité sur le territoire métropolitain,
mais se garde bien de l'appliquer à l'égard de l'islam en Algérie ou ailleurs
dans les colonies.
Pourquoi cette non application de la loi sur la laïcité vis-à-vis de
l’Islam?
l’Etat n’a jamais cessé d’exercer
en fait un contrôle prononcé sur l’exercice du culte musulman, en accordant
notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie d’agréments et en
réglementant le droit de prêche dans les mosquées
Bien que la loi du 20 septembre
1947 portant statut organique de l’Algérie ait réaffirmé l’indépendance du
culte musulman à l’égard de l’Etat dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques
ont perduré jusqu’à l’indépendance.
L’attitude de la République était
dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses et laïques.
Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux
musulmans, les instances religieuses ont
eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la
dépendance de l’Etat pour mieux en contrôler l’exercice. La carte d’identité des Algériens avec
mention Français musulman est une
aberration de la République.
En Algérie, le ministère de la
Justice et des cultes gère directement le personnel cultuel qui est choisi,
nommé, payé, contrôlé. Les critères ne sont pas forcément ceux de la compétence
religieuse mais ceux de la docilité à l'égard de la France. Les postes de
muftis ou d'imams sont souvent accordés comme des récompenses financières à
ceux qui ont bien servi la patrie durant la Grande guerre. Ce personnel placé
dans le cadre d'un service civil, est sommé de prêcher la soumission au destin
voulu par la Providence et l'obéissance au gouvernement général, aux caïds et
aux colons. Un imam déclare à ses fidèles : " Si Dieu nous les a envoyés
pour nos péchés, il nous en délivrera quand il le jugera bon. En attendant, il
faut accepter le sort qui nous est fait. Toutes les péripéties du malheur
d'aujourd'hui ? " Mektoub " : c'était écrit ! "
L'idée est claire, l'islam qui
peut être source de désordre, doit être la garante de l’ordre colonial ! La République
française laïque s'appuie sur les chefs de confréries religieuses. La République
française laïque intervient donc directement dans les affaires du culte
musulman.
Les Arabes réformateurs et
nationalistes se sont opposés à cette politique. Dans un tel contexte, revendiquer
l'application de la loi de séparation, est une demande de liberté de leur part,
Le refus du contrôle colonial et la possibilité pour l'islam en Algérie d’être
séparé de l’Etat et plus globalement pour les Algériens de s'organiser
eux-mêmes est une revendication.
Aujourd'hui, la
plupart des citoyens français n'ont pas conscience du poids de l'histoire dans
la relation entre l’islam et la République. Ce que l’on sait encore moins, ce
qu’on ignore et qu’on souhaite ignorer : c’est que les milieux musulmans
locaux, notamment en Algérie réagirent en exigeant de bénéficier de la même
liberté que les cultes métropolitains. L’Emir Khaled, fils de l’Emir Abdel
Kadher a adressé le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Edouard Herriot
président du Conseil dirigeant du bloc des gauche venu au pouvoir en 1924,
grand défenseur de la laïcité.
Par la suite, l’Association des
oulémas réformistes du cheikh Ben Badis a formulé un ensemble de propositions
destinées à appliquer à l’islam algérien le statut de droit commun des
religions, qui ont été reprises par la plupart des formations politiques algériennes
dès les années 1930 : création d’associations cultuelles et d’un Conseil
supérieur islamique, convocation d’un congrès religieux chargé de définir
l’organisation définitive du culte musulman conformément à la loi de 1905. Ces
initiatives n’ont trouvé aucun écho
auprès des autorités métropolitaines. Une formule célèbre résume bien la pensée
de Ben Badis : " L'islam est ma religion, l'arabe ma langue,
l'Algérie ma patrie ! ".
Les rapports de police ne s'y trompent pas quand ils assimilent toute entrée de l’islam dans la laïcité à une action politique dirigée contre le régime colonial. La surveillance policière s'exerce également dans cet entre deux guerres à l'égard de quelques agitateurs communistes. Le pouvoir français a peur d'une collusion islam - communisme. Les deux sont sous haute surveillance.
Les rapports de police ne s'y trompent pas quand ils assimilent toute entrée de l’islam dans la laïcité à une action politique dirigée contre le régime colonial. La surveillance policière s'exerce également dans cet entre deux guerres à l'égard de quelques agitateurs communistes. Le pouvoir français a peur d'une collusion islam - communisme. Les deux sont sous haute surveillance.
Lettre de l’émir Khaled au
président Herriot (3 juillet 1924)
Monsieur le Président,
Les musulmans algériens voient en
votre avènement au pouvoir un heureux présage, une ère nouvelle pour leur
entrée dans la voie de l’émancipation. En ma qualité d’un des plus simples
défenseurs de la cause des indigènes de l’Algérie, exilé pour avoir pris
ouvertement la défense de leurs intérêts vitaux, j’ai l’honneur de soumettre au
nouveau chef du gouvernement français le programme de nos revendications primordiales
:
1)
représentation au parlement, à proportion égale avec les européens algériens ;
2) suppression
pleine et entière des lois et mesures d’exception, des tribunaux répressifs,
des cours criminelles, de la surveillance administrative, avec retour pur et
simple du droit commun ;
3) mêmes
charges et mêmes droits que les Français en ce qui concerne le service
militaire ;
4) accession
pour les indigènes algériens à tous les grades civils et militaires, sans autre
distinction que le mérite et les capacités personnelles ;
5) application
intégrale aux indigènes de la loi sur l’instruction obligatoire, avec liberté
de l’enseignement ;
6) liberté de
presse et d’association ;
7) application au culte musulman de la loi de
la séparation des cultes et de l’Etat ;
8) amnistie
générale ;
9) application
aux indigènes des lois sociales et ouvrières ;
10) liberté
absolue pour les indigènes de toute catégorie de se rendre en France.
Ne se trouvant pas en
contradiction avec le programme libéral de votre ministère et de votre parti,
nous avons le ferme espoir que nos légitimes desiderata, ci-dessus exprimés,
seront pris en haute considération.
Veuillez agréer…
E. Khaled, en exil
Ces initiatives n’ont trouvé
aucun écho auprès des autorités métropolitaines.
La loi de 1905 de séparation des
religions et de l'Etat n'est pas appliquée par la République française, l'islam est encadré, en Algérie,
l'attitude coloniale prévaut sur l'attitude républicaine.
Revendiquer l'application au
culte musulman de la loi de séparation des cultes et de l'Etat peut étonner
dans les propos de l'émir Khaled, alors que l'Eglise catholique n'est pas
encore bien remise de cette loi. L'islam à cette époque serait-il plus
demandeur de laïcité que le catholicisme ?
Je rappelle deux dates pour s’en
convaincre. En 1906 : Deux encycliques de Pie X condamnent cette
loi et interdisent aux catholiques de se constituer en associations cultuelles
conformes à la Loi de 1901 sur les associations. En 1925 (au moment où
les leaders arabes demandent l’application de la loi) :
L’assemblée des cardinaux et archevêques de France adopte un texte contre les
"lois dites de laïcité" et propose une stratégie pour les faire
abroger.
En conséquence, la France ne découvre pas l'islam brutalement avec l'immigration économique des Trente Glorieuses, et aujourd’hui avec les difficultés économiques et sociales qui touchent plus particulièrement les fils et filles d’immigrés, mais la France, la République français laïque a entretenu une longue histoire avec cette religion durant toute la période coloniale.
La longue expérience du contrôle de l'islam en Algérie
explique peut-être en partie l’incapacité actuelle de la République française à
penser l'islam sur son sol. L'interventionnisme étatique n'est pas nouveau. La
tentation a toujours été grande de vouloir contrôler une religion suspectée
d'être porteuse de contestation voire de désordre. On ne doit pas être
amnésique de ce passé colonial au risque de mal apprécier les problèmes
contemporains.
Cette place de l’Islam en France
sera-t-elle trouvée un jour ? Le poids de l’histoire est encore là. La République
laïque et surtout les hommes politiques seront-ils capables de regarder cette
question de l’islam autrement que de manière caricaturale ou policière ?
Telle est la question qui est posée actuellement.
Question qui ne peut trouver de
réponse que dans le cadre de la loi de 1905 qui tend à préserver la liberté
absolue de conscience, la liberté de croire et de ne pas croire et pour ceux
qui croient, la liberté de pouvoir exercer son culte dans le cadre de la loi.
François Baudin
François Baudin