dimanche 10 mars 2019

Conférences : En attendant les Gilets jaunes



En attendant les Gilets jaunes


Quelle est la raison de publier aujourd’hui ces conférences dites intempestives prononcées au moment de la vague d’attentats islamistes ? Quatre années se sont écoulées.
Depuis le 17 novembre 2018 la situation a changé dans notre pays. Que s’est-il passé ? Le mouvement des Gilets jaunes est apparu. Des manifestants ont occupé des ronds-points un peu partout en France. Ils descendent régulièrement dans les rues des villes pour revendiquer la justice sociale et fiscale, le partage des richesses, plus de démocratie, et une citoyenneté active.
Alors que les attentats islamistes à partir de janvier 2015 nous avaient tétanisés, laissant la plupart d’entre nous dans la stupeur et dans une impasse identitaire devant laquelle il fallait agir, les Gilets jaunes nous sortent de cette phase. Même si le risque terroriste islamiste est toujours là, on sent bien que la période historique est passée et que l’espoir d’un monde meilleur, plus égalitaire et plus démocratique renaît à la faveur de ce mouvement populaire.
Le mouvement est exemplaire à plus d’un titre, il redonne une perspective d’émancipation à un pays tout entier enlisé dans une crise économique et sociale qui venait l’anesthésier. L’horizon s’est éclairci depuis novembre 2018.

La révolte vient de loin, elle est très profonde et touche les couches les plus populaires de notre pays. Il semble que le pouvoir et les institutions étatiques auront quelques difficultés à la faire rentrer dans le rang.
Ce mouvement est spontané et encore inorganisé malgré quelques tentatives très intéressantes de se coordonner démocratiquement comme cela a eu lieu le 27 janvier 2019 à Commercy dans la Meuse à travers une assemblée des assemblées ; il nous réconcilie avec le pays que l’on pensait en proie à ses démons nationalistes et communautaristes, à la démobilisation ou encore au renoncement face aux inégalités monstrueuses que ce monde produit.
Le mouvement à lui-seul déconstruit peu à peu tout discours marqué par le repli identitaire fondé sur la différence communautaire et l’inégalité. Il nous sort de la caverne par le haut, c'est-à-dire par l’affirmation du principe d’égalité qui consiste à affirmer l’égalité de tous les hommes au départ et ne pas chercher seulement à l’atteindre. Ce mouvement pose inconsciemment comme principe que tous les hommes sont capables de penser et donc agir et s’occuper des affaires de la cité, d’avoir des émotions poétiques et esthétiques, d’entendre le sens des choses,… devenir des sujets. Ce principe d’égalité de tous les hommes fonde l’action politique et la rend possible.
C’est de cette façon que nous sortirons de notre enfermement identitaire, différentialiste, et aussi de la reproduction sociale. Cela est certain.
Nous n’en sommes peut-être qu’au début, car à l’heure actuelle nul ne sait jusqu’où ce mouvement ira. Peut-être une conscience nouvelle émergera-t-elle face aux énormes puissances économiques mondialisées et à l’État libéral qui les sert. Alors un nouveau sujet viendra frapper à la porte de l’Histoire pour s’y installer. Evènement inouï lorsque des hommes et des femmes qu’on ne comptait pas, qui à aucun titre (talent, mérite, fortune, naissance,…) n’étaient appelés à exercer le pouvoir, des gens de rien qui étaient en excédent-jetable, surnuméraire sur le compte de la société, se mettent soudain à exister, font effraction, occupent les ronds-points et les rues des villes revêtus d’un gilet jaune pour être vus comme incarnation de l’universel-singulier et se rappeler à la politique. Au fond les gens rassemblés dans ce mouvement veulent un autre destin et s’estiment capables de le conduire, et donc capables tout de suite de s’occuper des affaires communes. Le fameux RIC réclamé à cor et à cris en est le symbole simplifié.
Ce qui paraissait hier encore impossible devient possible. Dans ces conditions la politique devient à nouveau pensable. Nous assistons au soulèvement du politique face à la police, à la surrection démocratique de ceux qui ne sont pas destinés à s’occuper des affaires publiques et se mettent justement à s’en occuper. Par la scène polémique qu’ils créent, les Gilets jaunes fondent le sens de l’action politique et imposent l’ordre du jour ; ils rendent visible quelque chose qui était resté invisible. 
Les causes profondes étant toujours là, on ne voit pas bien pourquoi le mouvement s’arrêterait malgré la logique politique-policière dont il est victime. On compte en janvier 2019, plusieurs milliers de blessés et plus de cent éborgnés et mutilés parmi les manifestants.

Il va falloir penser « l’objet gilet jaune », et arrêter de voir et entendre uniquement des grognements, des bruits, des paroles inarticulées parmi cette multitude prétendument haineuse qui ne sait pas ce qu’elle veut et pourquoi elle manifeste. La vague de mépris dont les manifestants continuent de faire l’objet mérite à elle seule d’être analysée. Homophobes, racistes, antisémites, complotistes, tout a été dit pour les disqualifier. Ce mépris me fait penser à certains intellectuels, écrivains, valets du pouvoir et journalistes face à la Commune de Paris en 1871 ou face aux journées de Juin 1848. Deux évènements révolutionnaires où des milliers de Parisiens se sont fait massacrer par l’armée et déporter par les gouvernements de l’époque. Aujourd’hui bien sûr, il n’y a plus de massacre, mais comme je l’ai dit : les éborgnés, les mutilés sont nombreux. Et beaucoup de manifestants ont été emprisonnés, mis en garde à vue ou interdit de manifester. Tout rassemblement est interdit dans la plupart des cas.
A travers l’histoire et devant la levée d’une partie du peuple, la plupart des intellectuels et écrivains ont ouvertement pris position contre avec une virulence qui surprend toujours par son ampleur ; refusant de comprendre les raisons de se révolter, de saisir les causes profondes qui viennent de loin, ces intellectuels et journalistes ont failli à leur devoir. Il s’agit d’une véritable trahison. Trahison de la mission d’informer, de donner à comprendre, et même parfois donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais.
 Il en était déjà ainsi face aux paysans de 1789 traités de ploucs, de gueux, de foules stupides et haineuses, d’ignares, éternelle race d’esclaves ; idem en 1848 : ivrognes, jouisseurs, barbares, sans le sou, fainéants ; rebelote en 1871 : sauvages, nomades, pétroleuses, incendiaires, races primitives, populace, etc. Et aujourd’hui le peuple en mouvement devient raciste, antisémite et homophobe.
Mais il faudra toujours avoir à l’esprit que la partie du peuple qui se révolte n’a pas pour souci principal l’image qu’il veut donner de lui-même, et rappeler par la même occasion que la haine et le mépris de classe ont toujours été des tentatives de négation du principe d’égalité qui anime les mouvements d’émancipation. Une volonté de remise à sa place, d’assignation ou de mise en demeure de ce qui soudain avait fait irruption dans la cité. 

Il était donc temps de publier ces conférences. Avant que le mouvement social les rende inactuelles.
Il n’en est rien, car les difficultés économiques, l’injustice fiscale et territoriale qui sont les trois raisons immédiates du mouvement, y sont explicitées ; car tout en y annonçant les mouvements démocratiques actuels, j’y préconise exactement ce que certains Gilets jaunes demandent de leur côté en terme de réformes constitutionnelles. Car j’y dénonce aussi l’enfermement identitaire, ce poison pour le monde dont la France aujourd’hui semble sortir peu-à-peu grâce au combat de l’égalité. Et les Gilets jaunes en interdisant sur beaucoup de ronds-points toutes discussions religieuses ou politiques politiciennes qui risqueraient de les diviser, pratiquent à leur manière une neutralité et une laïcité également distribuée. Sur les ronds points, personne ne demande à personne d’où il vient, ce qu’il est. On le respecte dans son entièreté.

Et enfin sont publiées ici quelques conférences plus philosophiques qui expliquent et fondent ma démarche politique et esthétique. La question philosophique est bien celle des fondations : quels rapports établir entre philosophie et politique (je veux dire la place de chacun d’entre-nous dans la communauté humaine), philosophie et esthétique, ou encore le partage du commun-sensible qui se donne et s’étend bien au-delà de la communauté des hommes.

Je vous invite donc à lire ces conférences qui ont été écrites pour être lues puis débattues. J’espère qu’elles contribueront à mieux comprendre la situation, mon engagement de toujours et ma fidélité.

Maintenant que le peuple à commencer de se soulever, de s’émanciper, le combat démocratique doit être mené jusqu’au bout ; il sera long.


François Baudin
Le 18 février 2019


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