Exit Recife.
Après trois heures
de vol via Teresina, la capitale de l’État du Piauí, arrivée dans celle du
Maranhão. Il est deux heures du matin. Personne ne m'attend à l'aéroport car il
est trop dangereux de circuler en voiture tard le soir. Bienvenue dans l'une
des villes les plus pauvres et les plus violentes d'Amérique Latine.
Le taxi
file dans l'obscurité et les avenues mal éclairées, grille tous les feux rouges
… Ici, les bandits règnent quasiment en maîtres de la nuit. Installé sur une
île, appelée Upaon-açú (la grande île) par les indiens Tupinambas qui en
étaient les habitants avant l'arrivée des colons, São Luis a son histoire
intimement liée à la France. Dès le début XVIe siècle, des Français
s'étaient installés en plusieurs points des côtes brésiliennes. Les bateaux
partaient de Honfleur, de Saint-Malo ou de Rouen pour effectuer le commerce du
bois et des animaux. Le premier marin à se rendre au Maranhão et à faire
alliance avec les indiens Tupinambas s'appelait Jacques Riffaut. C'était en
1594. Puis d'autres s'installèrent, dont David Migan, considéré comme le
premier colon de l'île. On connaît encore aujourd'hui l'emplacement de sa
ferme, dans le quartier de Vinhais Velho. En 1612, cinq cents Français prenaient
possession de l'île pour y créer la France Equinoxiale. Le rêve fut de courte
durée : seulement trois ans durant lesquels les colons créèrent un fort,
commencèrent à exploiter les ressources naturelles et tentèrent de
christianiser les indiens païens. En 1615, les Portugais prenaient le fort. Ils
gardèrent cependant le nom de São Luis, tant était encore fort le souvenir de
Louis IX, le roi des Croisades. Tout au cours du XVIIe siècle, la
ville fut édifiée selon un code urbain proche de celui de la Renaissance,
mêlant beauté, symétrie et organisation rationnelle des espaces publics. Ce
modèle à maillage orthogonal s'est perpétué durant le XVIIIe et le
XIXe siècle, donnant à la cité un centre historique remarquable,
l'un des plus vaste d'Amérique Latine et classé au patrimoine mondial de
l'UNESCO.
Hélas, aujourd'hui des centaines d'immeubles et de maisons sont en
très mauvais état ou en ruine. La ville devint rapidement un port important,
avec des liaisons directes avec l'Europe et le reste du Brésil afin exporter
coton, canne à sucre, riz et textiles. Pour effectuer le travail des
plantations, des dizaines de milliers d'esclaves furent déportés dans la
région, faisant de l’État du Maranhão l'un des plus africains du Brésil, avec
plus de 70% de population noire. C'est également l’État brésilien où il y a le
plus de Quilombos (communautés noires descendantes des esclaves) qui luttent
encore aujourd'hui pour la reconnaissance de leurs droits fonciers. Après
l'abolition de l'esclavage (1888) et la mondialisation des matières premières,
la ville connut un déclin rapide qui la marque encore.
Ville multiple que São
Luis ! Richesse fanée, outrecuidance et impunité des riches (les Blancs),
pauvreté de la plupart de la population (les Noirs), sites extraordinaires et
négritude à fleur de peau. Ainsi, les nuits des vendredis et samedis ne sont
pas seulement peuplées des ladrões, mais aussi des tam tam qui sonnent dans
l'obscurité du centre, pour les danses effrénées des tambor de crioula, venues
tout droit des ancêtres Nagos, du Bénin et des pays avoisinants.
Christian Delon
(A suivre)
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