J’aurai
mille fois préféré ne pas revenir cette semaine encore, comme la semaine
dernière, mais aussi depuis des années, sur la tragédie des réfugiés qui
viennent mourir chez nous, ou à notre porte. J’aurai préféré ne pas parler des
malheureux qui arrivent à passer malgré les barbelés, les murs, malgré la mer,
cette barrière redoutable où les hommes disparaissent. J’aurai préféré ne pas
parler de cet enfant gisant mort sur la plage, la
joue tendrement posée pour l’éternité sur le sable blond.
Cette
photo insoutenable est venue hanter nos consciences depuis deux jours.
Insoutenable,
oui tel est bien le mot que nous devons employer encore.
Ces
images de la détresse, ces informations quotidiennes sur le malheur des hommes,
sont insoutenables à quiconque.
Certains
ont écrit que l’on ne peut pas bâtir une politique sur l’émotion. Mais sur
quoi, à partir de quoi alors peut-on le faire lorsque la guerre vient jusqu’à
nous ?
D’autres,
et souvent les mêmes, ont dit ou écrit qu’on ne peut pas publier ce genre de
photo, trop violente, trop dure à voir.
N’oublions
pas que les crimes commis collectivement ou par un Etat conscient de les
commettre nous furent soigneusement cachés pendant des décennies. Si nous
avions pu connaître le destin terrible réservé aux Juifs ou aux Tziganes dans les
camps nazis, il est certain que le sort de la guerre eût été différent. Le
projet génocidaire entrepris par les Nazis devait rester un secret d’Etat.
Aucune photo ne devait filtrer. Pourquoi ? Parce que la force des images a
la puissance de faire changer le cours des choses.
Aujourd’hui,
à travers toutes ces informations accompagnées d’images, plus personne ne peut
ignorer la tragédie.
Alors
la réponse pour certains qui se font passer pour des individus responsables,
reprennent en coeur : « On ne peut pas accueillir toute la misère du
monde ». Oubliant le deuxième segment de cette fameuse phrase : « oui
certes, on ne peut accueillir toute la misère, mais on peut y prendre notre
part ». Et c’est bien ce qui est demandé : prendre sa part de misère,
accueillir dignement ceux qui sont obligés de partir, de quitter leur foyer,
même pour des raisons économiques.
D’autres,
et je l’ai lu dans des journaux bien pensant, prétendent que nous ne sommes en
rien responsables de toutes ces tragédies.
Tout
d’abord que l’homme est toujours responsable de ce que vit son frère à côté de
lui. Caïn interrogé par son Dieu qui lui demande où est passé son frère Abel,
répond : « Suis-je le gardien de mon frère ? »
Alors
nous répondons contrairement à Caïn, que nous sommes responsables de tout ce
qui concerne l’être humain, et il est du devoir de tout homme d’être le gardien
de son frère, comme d’être le gardien de la création.
Et
puis, s’il y a des responsabilités à établir sur la phase historique que nous
vivons actuellement, celles de l’Europe, de la France, de la Grande Bretagne,
de l’Allemagne, sont écrasantes.
Nous
sommes responsables du point de vue des rapports commerciaux que nous imposons
à l’Afrique et qui ne font que renforcer les inégalités, le pillage de régions
entières, l’exploitation des richesses naturelles que ce continent contient. La
misère actuelle en Afrique vient de là, elle s’appuie aussi sur la corruption
locale que nous encourageons par nos pratiques prédatrices.
Deuxièmement,
nos interventions militaires directes et le soutien apporté à certaines
factions violentes n’ont fait que déstabiliser, voire détruire des régions
entières, faire disparaître des pays en proie aujourd’hui à des guerres
terribles.
Nous
sommes les principaux responsables de la situation au Moyen Orient. A travers
les chroniques que j’écris depuis 10 ans, je n’ai fait que répéter ce point de
vue et annoncer le malheur que nous vivons aujourd’hui. Tout était prévisible
depuis l’intervention en Irak en 2003.
Nous
sommes dans l’obligation de secourir les abandonnés de la terre. La tragédie de
la seconde guerre mondiale ne doit pas se répéter.
François
Baudin
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