– Comment analysez-vous le
mouvement des Gilets jaunes que vous accompagnez depuis sa création en novembre
2018 ?
– La révolte
vient de loin. Elle est très profonde et touche les couches les plus populaires
de notre pays. Il semble que le pouvoir et les institutions étatiques auront
quelques difficultés à le faire rentrer dans le rang.
Ce mouvement est spontané et encore inorganisé malgré quelques tentatives très intéressantes de se coordonner démocratiquement comme cela a eu lieu le 27 janvier à Commercy dans la Meuse à travers une assemblée des assemblées ; il nous réconcilie avec le pays que l’on pensait en proie à ses démons nationalistes, à la démobilisation ou encore au renoncement face aux inégalités monstrueuses que ce monde produit.
Ce mouvement est spontané et encore inorganisé malgré quelques tentatives très intéressantes de se coordonner démocratiquement comme cela a eu lieu le 27 janvier à Commercy dans la Meuse à travers une assemblée des assemblées ; il nous réconcilie avec le pays que l’on pensait en proie à ses démons nationalistes, à la démobilisation ou encore au renoncement face aux inégalités monstrueuses que ce monde produit.
– Qui sont ces Gilets
jaunes que vous côtoyez régulièrement ?
– Ce sont
des personnes qui, pour la plupart, sont en situation précaire ou de
précarisation rapide. Elles n’ont pas d’avenir dans la société française
d’aujourd’hui, elles étaient invisibles, au bord de la route et, soudain, elles
enfilent un gilet jaune fluo et deviennent visibles, elles existent. Il y a des
gens au bord de la précarité en France qui exigent plus d’égalité et plus de
démocratie. Ils posent comme principe et comme réalité que tous les hommes sont
capables de penser et donc d’agir et s’occuper des affaires de la cité, d’avoir
des émotions poétiques et esthétiques, d’entendre le sens des choses…
– Cela fait trois mois que les
GJ, comme on les appelle parfois, manifestent sur les ronds-points et dans les
rues des villes. Jusqu’où iront-ils ? Jusqu’à quand ?
– Nul ne sait jusqu’où ce mouvement ira.
Peut-être une conscience nouvelle émergera-t-elle face aux énormes puissances
économiques mondialisées et à l’État libéral qui les sert. Alors un nouveau sujet viendra frapper à la porte de
l’Histoire pour s’y installer.
C’est un événement inouï lorsque des hommes et des femmes qu’on ne comptait pas, qui à aucun titre n’étaient appelés à exercer le pouvoir, des gens de rien qui étaient en excédent-jetable, surnuméraire sur le compte de la société, se mettent soudain à exister, font effraction, occupent les ronds-points et les rues des villes revêtus d’un gilet jaune pour être vus et se rappeler à la politique. Au fond, les gens rassemblés dans ce mouvement veulent un autre destin et s’estiment capables de le conduire, et donc capables tout de suite de s’occuper des affaires communes. Le fameux RIC réclamé à cor et à cris en est le symbole simplifié. Ce qui paraissait hier encore impossible devient possible.
C’est un événement inouï lorsque des hommes et des femmes qu’on ne comptait pas, qui à aucun titre n’étaient appelés à exercer le pouvoir, des gens de rien qui étaient en excédent-jetable, surnuméraire sur le compte de la société, se mettent soudain à exister, font effraction, occupent les ronds-points et les rues des villes revêtus d’un gilet jaune pour être vus et se rappeler à la politique. Au fond, les gens rassemblés dans ce mouvement veulent un autre destin et s’estiment capables de le conduire, et donc capables tout de suite de s’occuper des affaires communes. Le fameux RIC réclamé à cor et à cris en est le symbole simplifié. Ce qui paraissait hier encore impossible devient possible.
– A quel prix ? Celui de la
violence, des exactions, des blessures…
– Oui, il y
a eu une douzaine de morts, plus de 2.000 blessés, des mains arrachés, des yeux
crevés, 1800 condamnations par la justice et presque autant en attente de
jugement. Il y a aussi des policiers blessés, des magasins détruits, des
symboles de la République tagués. Mais la violence elle est d’abord sociale.
Elle est dans la vie qu’on fait mener à ces populations précaires et à leurs
enfants. On peut comprendre, sans la justifier, la violence des GJ dans les
rues.
Et puis, l’Histoire nous apprend que rien n’a été obtenu sans la violence : le suffrage universel, l’abolition de l’esclavage…
Et puis, l’Histoire nous apprend que rien n’a été obtenu sans la violence : le suffrage universel, l’abolition de l’esclavage…
– Outre la violence dont on les
accuse, les GJ seraient aussi racistes et antisémites. Qu’en pensez-vous ?
– La vague
de mépris dont les Gilets jaunes continuent de faire l’objet mérite à elle
seule d’être analysée. Homophobes, racistes, antisémites, complotistes, tout a
été dit pour les disqualifier. Ce mépris me fait penser à certains
intellectuels, écrivains, valets du pouvoir et journalistes face à la Commune
de Paris en 1871 ou face aux journées de Juin 1848. Deux événements
révolutionnaires où des milliers de Parisiens se sont fait massacrer par
l’armée et déporter par les gouvernements de l’époque. Aujourd’hui bien sûr, il
n’y a plus de massacre, mais comme je l’ai dit : les éborgnés, les mutilés sont
nombreux. Et beaucoup de manifestants ont été emprisonnés, mis en garde à vue
ou interdit de manifester.
–La faute aux journalistes ?
– A travers
l’histoire et devant la levée d’une partie du peuple, beaucoup d’intellectuels
et écrivains ont ouvertement pris position contre le mouvement avec une
virulence qui surprend toujours par son ampleur ; refusant de comprendre les
raisons de se révolter, de saisir les causes profondes qui viennent de loin,
ces intellectuels et journalistes ont failli à leur devoir. Il s’agit d’une
véritable trahison. Il en était déjà ainsi face aux paysans de 1789 traités de
ploucs, de gueux, de foules stupides et haineuses, d’ignares, éternelle race
d’esclaves ; idem en 1848 : ivrognes, jouisseurs, barbares, sans le sou,
fainéants ; rebelote en 1871 : sauvages, nomades, pétroleuses, incendiaires,
races primitives, populace, etc. Et aujourd’hui le peuple en mouvement devient
raciste, antisémite et homophobe.
– On essaie ainsi d’étouffer le
mouvement des GJ ?
– C’est une
guerre idéologique. En présentant les Gilets jaunes comme des complotistes, des
racistes, antisémites etc. ils deviennent infréquentables. Et puis, il y a le
Grand Débat National qui est principalement un écran de fumée. Enfin, un
durcissement de la répression via cette loi anticasseurs qui a pour but
d’empêcher les Gilets jaunes de manifester.
– Comment tout cela va finir ?
– On ne peut
pas savoir. Le mouvement est très profond. La revendication du RIC (Référendum
d’initiative Citoyenne) symbolise la démocratie directe qu’ils souhaitent. Les
Gilets jaunes veulent plus d’égalité fiscale et sociale. Maintenant que le
peuple a commencé de se soulever, de s’émanciper, le combat démocratique doit
être mené jusqu’au bout ; il sera long.
Propos recueillis
par Marcel GAY https://infodujour.fr/societe/21546-des-gilets-jaunes-pour-etre-visibles
par Marcel GAY
*Editions Kaïros
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