Face à la convergence actuelle entre la crise sociale
et la crise écologique, on ne peut plus se permettre de ne pas être imaginatif.
On ne peut plus se permettre d’agir sans pensée utopique.
Murray Bookchin, The
Ecology of Freedom
La vraie
économie
Les échanges monétaires ne représentent qu’une petite
partie des échanges humains.
Le drame de notre civilisation est d’en avoir fait la
règle, faute de savoir comprendre, exprimer, voire formaliser la variété des
échanges non monétaires.
Les premiers représentent la partie digitale de nos
relations, obéissant à une logique formelle, les seconds sa partie analogique,
obéissant à une logique floue.
Si par exemple je donne, j’offre un cadeau, celui-ci
peut éventuellement se mesurer en termes monétaires (si c’est quelque chose que
j’ai acheté, voire la monnaie elle-même). Je reçois en retour de la gratitude,
et je gagne, dans la mesure où il s’agit d’un échange libre, l’estime de
moi-même, un avantage autrement plus important que tout ce qui peut s’acheter.
D’autre part les échanges, même monétarisés, reposent
sur une convention, appelée le prix, entre l’objet ou le service échangé et sa
contrepartie monétaire. Cette convention est éminemment variable, répondant à
une logique floue, bien plus complexe que la soi-disant « loi » de
l’offre et de la demande. Il n’est que de se demander quel est le prix que
j’attache à tel ou tel produit ou service, pour se rendre compte que ce prix ne
résulte pas que d’une demande.
Les échanges non monétarisés tissent des liens sociaux
d’obligations réciproques non formelles, d’appartenance, de reconnaissance
sociale, toutes choses essentielles à la vie sociale, mais non mesurables.
Il est d’autre part remarquable que les besoins
primaires, tels que la nourriture, un abri, les vêtements, sont relativement
peu coûteux. Dans les pays riches, ils ne représentent que 20% des dépenses. Il
en va bien sûr tout autrement dans les pays pauvres.
Une nouvelle économie
Une nouvelle économie devra donc rétablir le lien
entre les objets et services échangés et leur valeur réelle, à savoir que la
priorité doit être donnée à la satisfaction des besoins primaires essentiels
(nourriture, logement) et des besoins collectifs qui forment le lien humain, la
trame de sociétés : services publics de santé, d’éducation, de transport
et de voirie, production d’énergie non polluante, etc.
L’échelle du collectif
L’État, du fait de sa nature même, à savoir instrument
du pouvoir des féodalités financières, ne peut pas jouer le rôle de
satisfaction des besoins. C’est la relocalisation des centres de production et
de pouvoir économique qui pourra opérer cette réorientation de l’économie dans
le sens du développement durable.
L’échelle du collectif, c’est celle de la plus petite
unité de production qui permette de le satisfaire. C’est à l’intérieur de cette
échelle que peuvent se produire des échanges.
La démonétarisation des échanges interdira de fait la
centralisation, l’accaparement des terres et des biens communs.
La transition volontaire
La transition volontaire se fera sur les ruines encore
fumantes de la civilisation monopoliste. La demande de ressources d’origine
centralisée cessera dès lors qu’elle sera satisfaite par l’offre locale.
La production de masse, faute de débouchés, se tarira.
Les structures monopolistiques s’arrêteront au profit des moyens locaux de
production.
C’est à ce modèle économique qu’il nous faut
travailler aujourd’hui : relocaliser encore et encore les moyens de
production, quitte à réduire autant que possible la consommation à ce qui est
productible localement.
Des moyens sont déjà mis en place pour relocaliser
l’économie : monnaies locales non thésaurisables, conditionnées par un
choix des produits et des services pouvant être échangés, zones de partages
gratuits, recyclages gratuits, maraîchage partagé et gratuit. L’espace qui
s’ouvre est immense. À nous de le faire grandir et fructifier.
Le modèle municipaliste est-il toujours
d’actualité ?
Une unité de vie est autonome dans la mesure où elle
est capable de satisfaire les besoins de ses membres. Besoins primaires bien
sûr, par une agriculture locale et une distribution courte des aliments, des
méthodes de construction utilisant des matériaux produits localement (bois,
paille, torchis, voire briques), des vêtements tissés sur place etc. Même la
production d’électricité peut aujourd’hui être relocalisée grâce aux énergies
renouvelables. Les sociétés traditionnelles montrent que ce modèle est viable
et peut durer presque indéfiniment.
Les besoins secondaires tels que l’instruction,
l’artisanat, l’art, l’écriture, ne demandent pas non plus de moyens supérieurs
à ceux que peut fournir une échelle municipale.
Ces besoins ne nécessitent pas l’usage d’une monnaie
d’échelle supérieure à l’échelle locale.
Il existe cependant aujourd’hui de nombreux usages qui
dépassent l’échelle de production locale. Ces usages et les productions
qu’elles nécessitent ne peuvent être abolis. Que l’on songe aux matériaux et à
la technologie servant à fabriquer les éoliennes et les panneaux solaires. Il
s’agira également de la médecine dans ses développements actuels, ainsi que de
l’informatique communicante.
La relocalisation de l’économie ne pourra donc pas
être complète. Une société moderne, même consciente des enjeux actuels du
réchauffement climatique et des dégâts environnementaux, humains et sociaux
causés par le capitalisme, ne pourra pas éviter une certaine centralisation de
la production, et par conséquent un système d’échanges monétarisés.
La crise du Covid est à cet égard
éclairante. Elle a considérablement réduit la production industrielle et
le trafic routier et aérien, mais a magnifié le rôle de l’informatique
communicante.
L’échelle locale devra par conséquent s’articuler avec
des échelons régionaux fédératifs, dans la stricte mesure où un certain degré
de centralisation de la production est inévitable.
Les règles qui devront alors s’imposer seront celles
de la limitation des pouvoirs de ces échelons régionaux, d’une part par
l’établissement de monnaies régionales articulées avec les monnaies locales,
d’autre part par une stricte limitation des pouvoirs politiques de chaque
échelon à son domaine de compétence.
Il appartiendra à chaque échelon politico économique
de limiter l’intervention des échelons supérieurs, régionaux, nationaux voire
internationaux.
Le principe de souveraineté de chaque échelon social
peut et doit s’appuyer sur son autonomie économique et politique. Cela ne
signifie pas autarcie, mais bien autonomie de décision.
C’est à l’échelon local, et non à l’individu de
décider de l’achat de biens et de services à l’échelon supérieur, qui ne
peuvent être produits que par cet échelon, à travers une prise de décision
démocratique à l’échelle locale. Tel est l’enjeu de la démocratie locale comme
base de la politique. Ce qui peut et doit être
acheté ne saurait être le travail, ce qui reviendrait à reproduire l’esclavage
salarié, mais les stricts besoins de la production de ces biens et services
rendus.
Les échelons centralisés de l’économie, qu’ils soient
régionaux, nationaux, voire internationaux, ont besoin, pour exister, de cette
« clientèle » locale et ne peuvent s’en affranchir. L’individu quel
qu’il soit, fut il placé très haut dans une hiérarchie centralisée, appartient
d’abord à son échelon local, comme tout à chacun appartient d’abord à sa
famille avant d’appartenir à sa commune, à sa région, à son pays. C’est à cet
échelon qu’il doit rendre des comptes personnels.
Le travail des échelons supérieurs, administration,
police, services de santé, production centralisée de biens impossible à
produire à l’échelon local, ne peuvent servir de support à la survie de
l’individu, de sa famille, ou de sa communauté. Cela signifie qu’ils ne peuvent
qu’être gratuits, en tant que services rendus à la communauté.
Qui voudra, dans ces conditions remplir ces tâches qui
relèvent de l’intérêt général ? Les mêmes que ceux qui, aujourd’hui,
travaillent bénévolement à l’intérêt général, et ils sont (très) nombreux. Que
l’on songe aux militants associatifs, aux organisations caritatives… Que l’on
songe aussi un instant à cette énorme quantité de travail non rémunéré et non
pris en compte dans les calculs économiques, qu’offrent chaque jour non
seulement les travailleurs de la santé, mais aussi ceux de l’ensemble des
branches de l’économie.
Ces tâches accomplies pour l’intérêt général relèvent
de ce qu’on appelle aujourd’hui « l’économie sociale et solidaire ».
Elles ne peuvent être menées que par des personnes qui n’ont plus à s’inquiéter
de leur propre survie, ni de celle de leur proches. C’est le revenu d’existence
qui peut offrir cette sécurité. C’est l’échelon local qui peut et doit leur
conférer, et c’est là la condition même de la démocratie.
Enfin, les hommes et les femmes qui ont dans l’histoire
rendu le plus service à leur collectivité, à leur nation, voire à l’humanité
toute entière, l’ont-ils fait par appât du gain ?
Ce don de soi, que l’on peut espérer, sans jamais l’exiger de quiconque, est la forme
actuelle du potlatch des peuples premiers. Il est le support du prestige
social, est fourni à celui qui donne son temps et ses compétences au service de
la collectivité l’estime de lui-même, en miroir à l’estime des autres qu’il
aura mérité.
Ainsi le monde nouveau ne peut advenir qu’à la condition
d’un renversement complet de nos valeurs sociales. A la
place de la richesse matérielle aujourd’hui célébrée comme signe de vertu et de
qualités personnelles, c’est l’apport de chacun à la collectivité qui peut et
doit être reconnu.
Covid et choix personnels
Le covid, comme pandémie et catastrophe mondiale, nous
apprend à nous défendre à chaque instant, dans chacun de nos gestes, contre une
menace insidieuse, qui nous impose des choix et une vigilance permanente.
Il en va de même aujourd’hui avec la monétarisation de
l’être humain et l’anéantissement de la vie.
Outre l’aspect proprement politique évoqué plus haut,
attardons-nous un instant sur son aspect individuel. A chaque fois que nous
consommons un bien ou un service, nous avons à faire face à un choix somme
toute binaire : ma consommation va-t-elle ou non faire de moi un consommateur individuel anomique, le rêve des
thuriféraires du marché, ou un acteur social inscrit dans ma communauté ?
Je peux choisir d’aller acheter un livre chez amazon, ou à la librairie la plus
proche. Ma nourriture est-elle produite à des milliers de kilomètres, ou
nécessitant un processus agro-industriel complexe est elle produite localement,
selon un processus simple accessible à tous ? Pour me déplacer, vais-je
utiliser un véhicule dont la fabrication suppose une centralisation
industrielle, des matériaux importés du monde entier, un carburant polluant,
produit à travers de multiples guerres commerciales ou physiques etc. Ou bien,
vais-je utiliser un véhicule produit et localement, utilisant des matériaux
simples, non polluant ? Les vêtements que je porte sont ils produits dans
les pays du sud, moyennant une culture et une industrie polluante, au prix
d’une exploitation humaine insensée ? L’électricité qui m’éclaire et
alimente mes appareils est elle produite par un processus local ou éminemment
centralisé et polluant la terre pour des milliers d’années, etc. Il n’est pas
d’aspect quotidien de mon existence qui échappe à ce choix.
Lorsque j’utilise l’informatique communicante, est ce
que mes outils sont produits par une industrie mondialisée ou régionale ?
Est-ce que les logiciels que j’utilise appartienne à un Lévihatan mondial
cultivant l’asservissement et la manipulation de masse, ou à une communauté
libre semant la liberté ?
Comme vis-à-vis du virus mondial, nous avons à
apprendre les « gestes barrière » contre l’économie mondialisée. Il
en va de notre survie collective. Chacun de mes gestes ne va pas bouleverser
l’ordre du monde, mais il m’engage dans une dynamique à la fois personnelle et
collective. Chacun de nos gestes nous engagent tous.
Chaque aspect de notre activité nous offre également
cette alternative, soit dans le sens d’une relocalisation, une humanisation de
nos actes, ou dans celle d’une soumission à l’ordre mortifère et marchand.
Philippe Plane
Je notais que L’État était l'instrument du pouvoir des féodalités financières. En voici aujourd'hui une nouvelle illustration : le projet de loi de finances rectificative 2020, qui doit être voté ce vendredi matin à l’Assemblée nationale, mettrait à disposition 20 milliards d’euros pour le sauvetage de grandes entreprises dites “stratégiques”, telles qu’Air France, Renault ou le parapétrolier Vallourec, tandis qu’aucune condition n'est posée au versement de ces aides publiques, alors qu’elles pourraient renflouer des entreprises polluantes, qui contribuent fortement au dérèglement climatique.
RépondreSupprimer