État de droit, liberté et santé publique
Dans cet entrelacement indissoluble qui fonde la
République française : liberté,
égalité, fraternité, seule la liberté a triomphé idéologiquement au cours
des 230 ans qui nous sépare de cet événement majeur qu’a été la Révolution. Ce
qui fait que la République est restée déséquilibrée et fragile.
Et encore, étant formelle, la liberté n’est pas
réelle. Quelle est la liberté d’un Algérien pendant la colonisation, et aujourd’hui
d’un réfugié dans sa frêle embarcation accostant sur les côtes françaises,
quelle est la liberté d’un chômeur en fin de droit, d’un salarié
précaire ?
Ajoutons que même cette liberté formelle n’est pas
encore définitivement acquise. Sans cesse en danger, elle reste toujours à maintenir,
à conquérir ou reconquérir. Comme actuellement avec la crise sanitaire.
La contradiction actuelle, en 2020, entre la santé
d’une population confinée pour lutter efficacement contre l’épidémie du
Coronavirus, et les libertés individuelles nous le démontre.
Ajoutons une seconde contradiction : celle
d’interdire l’accès à la forêt, aux parcs publics et aux plages à des millions
de gens confinés, et de devoir continuer de travailler, de se déplacer pour se
rendre à son travail, sans barrières sanitaires, dans un métro toujours aussi
bondé aux heures de pointe.
Comment expliquer toutes ces contradictions ?
La biopolitique qui s’exerce sur les corps, sur la vie
et la santé des gens que le pouvoir d’État contrôle, entre en contradiction
avec les libertés individuelles de se déplacer que le même État en période de
confinement des populations est amené à restreindre. Les déplacements
réglementés jusqu’au moindre détail, par exemple celui d’aller faire un footing
à des horaires réglementés ou ses courses alimentaires, jusqu’à étouffer toute
vie personnelle, sont des atteintes à la liberté que nous acceptons pour des
raisons de santé publique.
On voit bien que la liberté individuelle indispensable
à la vie, à l’activité économique et sociale entre en contradiction avec une
volonté de contrôler les populations.
Dans certains pays, des hommes mourront de faim parce
qu’on leur a interdit tout déplacement et toute activité. Des personnes âgées
mourront de solitude dans leur EHPAD. Dans d’autres pays des salariés mourront
parce qu’on les a obligés à travailler. Voilà la contradiction.
Le confinement total des populations n’est
envisageable que de manière exceptionnelle et pour de courte durée. Est-il même
possible ? On a là une expérimentation de ce que l’homme est capable
d’accepter et jusqu’à quand le pourra-t-il ; expérimentation en vraie
dimension effectuée par le pouvoir.
Du point de vue de l’État, État de droit ou État
autoritaire, la volonté de contrôle qui tend à réduire les libertés doit être
plus fine et plus intelligente pour être acceptée et consentie par les populations.
Pour résumer ce qu’on a déjà dit : la
liberté est une puissance de faire ou ne pas faire quelque chose que
l’homme possède naturellement, ou qu’il conquiert ou encore qu’on lui accorde.
Mais qui accorde cette liberté, qui est le « on » ? Un pouvoir
commun, un État, une autorité, un Souverain "démocratiquement" élu ou imposé.
L’homme conquiert une liberté sur un pouvoir qui
refusait de la lui accorder.
L’homme exerce une liberté qu’un pouvoir lui accorde.
La limite est toujours celle imposée par un pouvoir,
ou bien elle est la limite que le peuple élargit et libère contre un pouvoir.
On se situe dans la négation hégélienne et dans la négation de la négation
considérée comme le moteur de l’histoire. Négativement l’homme lutte contre ce
qui le contraint et s’en libère.
La conscience du sens de ce qu’on fait dans cette
limite octroyée et de ce qu’il est interdit de faire, est le lieu où la liberté
réside. Ce qui déclenche un acte, une praxis qui nous permet de nous échapper
de cette situation de contrainte et de déterminations. Par cette entente du
sens, l’homme est capable (il a la puissance de…, il a la liberté de…) de s’approprier
la situation, de la penser, d’agir et s’organiser parfois secrètement, politiquement
en somme.
On est alors dans l’affirmation d’un autre possible
qui ne peut être que par l’entente du sens reçu dans la situation vécue et par
l’affirmation d’un autre sens. Par exemple le programme du CNR élaboré en France
par quelques Résistants sous l’Occupation nazie, est une affirmation d’un autre
monde possible, et n’est pas une négation du régime nazi d’occupation.
D’ailleurs le nom générique donné à ce programme a été : les
jours heureux. Il y a là l’affirmation de quelque chose de neuf.
L’homme affirme un projet de vie collective, et de fait par cette affirmation
se libère de sa prison ;
C’est pour cette raison qu’en élevant au rang de
concept philosophique le terme de libération
et du verbe libérer, on a privilégié
le sens sur la puissance. La liberté est une puissance, la libération est un
mouvement qui a le sens pour fondation. Ce terme de libération ne peut
s’appréhender que suite à l’affirmation d’un sens. On se libère de quelque
chose qui nous enfermait en affirmant une autre chose possible.
La liberté est de l’ordre de la puissance. C’est bien
pour cette raison qu’elle fut ce qui a compté le plus dans les esprits et pour
l’histoire des hommes et de leurs institutions tout au long des années qui nous
séparent du moment où elle apparut manifestement sur la scène politique, en
1789. Car ces deux siècles furent ceux de la puissance triomphante. Aussi bien
de l’État, de l’entreprise privée, de l’argent comme de l’individu.
L’État de droit
Le droit de circuler, d’entreprendre, de penser, de
croire ou ne pas croire, de manifester, de s’associer, d’écrire, de
pétitionner, de voter, de pouvoir être élu,… Tous ces droits, égaux pour tous
dans certains pays qu’on appelle justement États
de droit, mais non encore universellement répartis dans le monde,
deviennent l’alpha et l’oméga de nos sociétés démocratiques.
Cet État de droit est le stade suprême de la mise en œuvre
des libertés politiques comprises comme une puissance, tel que l’Occident
capitaliste et démocratique le promeut depuis plus de deux siècles..
Auparavant, notamment avant 1789, l’État de droit était
pensé comme une libération d’un Régime millénaire fondé sur des ordres, des
privilèges, des féodalités, des traditions inégalitaires ; puis tout au
long du XIXe siècle,
l’État de droit est entendu sous la forme d’une affirmation d’un idéal à
conquérir puis à maintenir et défendre contre la réaction, comme puissance du
négatif face à un État autoritaire[1] ;
enfin au XXe siècle il
est considéré comme la forme parfaite d’une puissance à conserver et à imposer
au monde entier.
Un tel système
politique qui représente un progrès considérable semble parfait, et ceux qui
tentent de le remettre en cause sont vus le plus souvent comme des extrémistes
infréquentables.
Un tel système suppose
l’égalité des sujets de droit devant la loi, donc l’égalité des citoyens, mais
aussi des institutions, du pouvoir exécutif, de l’État qui, tous, doivent s’y
soumettre : nul n’est au dessus des lois, y compris ceux qui l’édictent et
la font respecter. Nul n’est au dessus du droit.
Il suppose aussi
l’existence de juridictions indépendantes du pouvoir exécutif, mais
juridictions soumises elles-mêmes à des lois, ce qui constitue pour tous les
niveaux de la société précisément définis une forme de garantie contre les
abus. Notamment ce qu’on appelle les abus de pouvoir. Les abus de la puissance.
Cette hiérarchie des
normes s’impose à tous, citoyens, personnes morales, administrations,
institutions, pouvoir exécutif, donc s’impose aussi à l’ensemble du pouvoir
d’État. L’État, l’administration, les représentants "démocratiquement" élus, le
pouvoir exécutif, les juridictions indépendantes, tous reconnaissent ce
principe de légalité, doivent le respecter et être soumis à une autorité
supérieure dont la clé de voûte est la Constitution.
Ceux qui ont compétence
pour dire le droit, pour l’élaborer, le voter, le faire respecter, sont
eux-mêmes soumis à des règles juridiques.
Un tel modèle qui s’accompagne
de la souveraineté populaire régulièrement convoqué, semble parfait, et doit
normalement parfaitement fonctionner.
Un tel système qui
garantit à la fois la liberté et l’égalité de tous devant la loi
démocratiquement votée, égalité entre les plus puissants et les plus faibles, entre
les institutions et les individus, aurait donc trouvé dans sa propre
perfection, son aboutissement. C’est ce qu’on a pu nommer la fin de l’histoire qui n’existe pas bien
entendu, et nous allons voir pourquoi.
Mais auparavant il faut
se poser la question de savoir pourquoi doit-on considérer l’État de droit
comme un progrès considérable ? Non pas parce qu’il garantit la liberté de
chacun (ce qui est déjà beaucoup, rappelons-le), mais parce justement dans
l’esprit qui le sous-tend il limite la puissance de chacun, donc aussi sa
liberté, comme celle des institutions, du pouvoir exécutif et même législatif. L’État de droit soumet tous les pouvoirs y
compris celui de l’État. Dans sa définition la plus simple, l’État de droit
est la soumission de la puissance devant la loi, dont la puissance de l’État.
Elle se résume dans l’idée que tout pouvoir doit être soumis. Voilà le sens
(l’esprit) de l’État de droit.
Alors quel est le pas
en avant qui reste à faire pour que cet État de droit puisse être accepté par
tous, et qu’il puisse être ré-affirmé comme un idéal à atteindre ?
Il est d’éliminer la
puissance de l’argent. Donc les inégalités.
Or les États de droit,
les démocraties dans le monde n’ont pas supprimé les inégalités liées à
l’argent. Voilà leur défaut principal. Au contraire même, ils ont contribué à
maintenir les inégalités économiques en prétendant que tous étaient égaux en
droit et devaient se soumettre à la loi.
La liberté triomphante est souvent le masque de la
puissance. La liberté pour la liberté nous rapproche de la puissance pour la
puissance qui mène au pire des nihilismes lorsqu’elle est privée de sens. Cela
nous l’avons suffisamment démontré. Par quoi, dans quelle direction, en vue de
quoi la liberté doit-elle triompher ?
Par exemple si l’État de droit nous mène à la
biopolitique ; nous mène à partir du droit à la santé pour tous vers à une
société de contrôle, il y a là une contradiction qui peut mettre en danger son
ordre. Le droit à la santé, comme le droit à la sécurité publique, à la
sécurité sanitaire et sociale fait partie intégrante de l’État de droit et des
droits de l’homme en général, mais tous ces droits viennent percuter les
libertés individuelles comme nous l’avons observé très fortement en 2020.
Un autre exemple : si l’État de droit garantit la
libre concurrence au sein d’un marché économique, donc s’il promeut la liberté
économique, celle d’entreprendre, d’acheter et de vendre, de produire et
transformer toute chose en marchandise, de faire travailler d’autres hommes, droit
égal pour tous, cette liberté nous amène à des contradictions insolubles du
propre point de vue de son ordre, car la puissance sur la société obtenue par
ces entreprises génèrent de très fortes inégalités économiques et sociales,
génèrent des oligarchies héréditaires qui viennent percuter l’idée de soumettre
toute puissance par l’État de droit.
Dans la hiérarchie des normes, il y a un dernier
échelon qui se nomme Constitution placée
au dessus de tous les autres échelons, et tous doivent s’y soumettre. Or le
risque avéré est que la puissance économique qui est une puissance éminemment
politique et sociale, en voulant s’exclure de ces normes, prenne le pouvoir
effectif sur l’ensemble de la société, ne trouve rien qui vienne limiter et
soumettre sa puissance. C’est ce qui arrive actuellement.
On est donc dans cette contradiction que toutes les
puissances (individuelles, étatiques, institutionnelles, associatives) sont
soumises à la loi, sauf les puissances économiques qui sont les plus
puissantes, un peu comme un État dans l’État, et sont en fait le donneur d’ordres
en dernière instance du pouvoir en place. L’État de droit est au service des
puissances économiques.
Le lien entre égalité et liberté a été formalisé
par l’État de droit : la liberté ne s’entend qu’en étant également
répartie. La liberté est sous condition d’égalité. Cela est clair même si
souvent ce n’est pas effectif comme nous l’avons rappelé au début : quelle est la liberté d’un réfugié, d’un salarié en fin de
droit, d’un esclave noir aux États-Unis avant l’abolition ? La vie n’est
libre qu’entre égaux.
Égaux en droit, ce qui est loin d’être la réalité
effective même dans les États qui prétendent être des États de droit, ni dans
les nations où les inégalités réelles sont un fait majeur qui organise la vie
des populations, les obligeant à des rapports économiques de soumission pour
vivre et continuer de vivre. « On n’a pas le choix », répètent
toujours ceux qui sont dans une situation d’infériorité. Et aujour'hui, ils n'ont pas le choix et partent travailler avec tous les dangers de contagion.
La chose qui compte en politique est celle de
l’égalité, et surement pas de la liberté qui semble avoir été réglée
formellement (et non pratiquement faut-il le souligner) par l’État de droit qui
réduit en quelque sorte la puissance, y compris sa propre puissance d’État et
son abus. Sauf la puissance de l’argent qui n’a pas été réduite comme nous
l’avons souligné.
La liberté réelle est nécessairement articulée à un
projet égalitaire pratiqué comme fraternité. On
pourrait appeler ce projet : le communisme.
François Baudin
La liberté est l'adéquation entre pouvoir d’agir et volonté d’agir. Tout exercice de la liberté a un prix, plus ou moins élevé selon le contexte car toute liberté est en en situation (Sartre) ; Le confinement est généralement accepté, et n'est donc pas en soi une atteinte à la liberté . L’agir est la mise en œuvre de la liberté ; Rappelons que les libertés tolérées par l’État dans nos sociétés occidentales sont celles qui ne remettent pas en cause l’ordre capitaliste ; l'état formel des libertés NOUS semble parfait parce que nous acceptons le principe de propriété ; Est en dessous des lois celui qui ne possède pas les moyens de vivre, c'est à dire est véritablement privé de liberté. Est au dessus des lois celui qui est en mesure de les façonner puis de les détourner à son profit. Ceux qui font les lois s’octroient de fait l’espace de liberté qui leur convient ou qui convient à leurs commanditaires.
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