Le rôle de l’État vis-à-vis de la monétarisation des
échanges humains.
Les idéologues « libéraux » ne cessent de
prétendre se passer de l’État : c’est qu’ils n’en veulent que les
avantages, à savoir la protection que ce dernier garantit aux puissances
financières.
L’État a pour rôle, entend-on souvent, de corriger
(tant soit peu) les déséquilibres causés par le capitalisme, de prendre un peu
aux riches pour le redistribuer aux pauvres, que ce soit sous forme d’argent
que sous forme de services. C’est une fiction. Toutes les études montrent qu’il
n’y a pas de véritable redistribution par l’intermédiaire des institutions
publiques. Les dépenses publiques « rapportent » bien plus aux riches
qu’elles ne leur coûtent. Observez le domaine de l’éducation : ce sont les
classes aisées qui en profitent. L’État pratique certes une certaine
redistribution, mais uniquement dans la mesure où son intervention est
nécessaire au fonctionnement de la machine économique. On l’a vu en effet,
l’accumulation des richesses dans les mains d’une minorité restreint les
possibilités de l’échange, et donc le commerce lui-même. En clair, l’extension
de la pauvreté empêche la consommation de masse.
Quant à la police et l’armée, vous savez bien qui
elles protègent : l’État lui-même, et ses commanditaires.
Observez même la sécurité sociale : elle rapporte
avant tout aux laboratoires pharmaceutiques, aux fonds de pension propriétaires
de l’hospitalisation privée… Les inégalités d’accès aux soins, les inégalités
de santé persistent. Les acteurs de santé publique gèrent la misère.
Non seulement l’État ne redistribue pas la richesse
mais c’est tout le contraire qui se passe : l’État a pour rôle de prendre
au grand nombre de pauvres pour le donner au petit nombre des riches, dans les
limites de la stabilité de la société, et de la poursuite du commerce. Il fait
respecter les règles de l’injustice, au besoin par la force la plus violente.
L’idéologie dominante est l’idéologie de la classe
dominante.
Pourquoi alors l’État est-il toléré ? Pourquoi
vote-t-on pour ses acteurs ? Comment des personnages aussi sinistres que
Trump ou Bolsonaro peuvent-ils être élus ? Pourquoi encore la scandaleuse
disparité des richesses est-elle socialement admise ?
C’est que la fonction de l’État est d’abord
idéologique : il s’appuie sur un consensus social : « les
pauvres n’ont que ce qu’ils méritent », nous explique-t-il. « S’ils
sont pauvres, c’est parce qu’ils sont paresseux, et surtout, pas malins. Tout
petits déjà, ils ne veulent pas travailler à l’école. Après, ils ne cherchent
qu’à travailler le moins possible, et à profiter des aides publiques ».
On pourrait citer par dizaines les petites phrases qui
distillent cette idéologie, de « il n’y a qu’à traverser la rue pour
trouver du travail » à « les aides sociales représentent un pognon de
dingue » …
La fameuse « théorie du ruissellement » est
du même ordre : les riches nous dit-on, grâce à leur fort pouvoir d’achat,
vont stimuler les échanges commerciaux…. C’est le contraire qui se
produit : l’accumulation bloque les échanges. Les seuls commerces qui
prospèrent encore sont les commerces de luxe : parfums, sacs Vuitton
(comment des objets aussi laids peuvent-ils être désirés ? C’est tout le
mystère du snobisme.), « haute couture », yachts, croisières, voyages
en avion, immobilier « de prestige », « art » monétarisé
et, de plus en plus, protection militarisée des richesses.
L’État ne s’impose pas que par la force. Il utilise
certes la force, et le droit d’utiliser la violence lui est délégué par le
consensus social.
Sa fonction est double : il fabrique le consensus
social, par son discours culpabilisant et stigmatisant les plus pauvres, et il
utilise ce consensus pour assoir sa légitimité contre les pauvres.
Le consensus social est-il la seule œuvre de
l’État ? Certes non : Il permet à tout citoyen de se tenir à sa place
dans la société sans remettre en cause l’ordre qui l’a placé là, voire en le
justifiant. Avoir plus que les autres, être plus riche que les autres, chacun
le justifie par son travail, sa ténacité, son courage, son intelligence. À
rebours, trouver plus pauvre que soi conforte tout à chacun dans son estime de
soi. L’idéologie vient au secours de l’injustice, et l’État est l’émanation
physique de l’idéologie dominante.
L’avoir, la richesse, sont à notre société moderne ce
que le potlatch était à la société primitive : le fondement du prestige
social. Souvenez-vous de notre président bling bling, pour qui la réussite,
c’était d’avoir au poignet une « Rolex ».
Le rôle de l’État est d’organiser l’injustice. Il
garantit en particulier le système monétaire, qui lui-même secrète l’inégalité
et l’injustice.
Son rôle est d’assurer les puissances financières
contre les conséquences de leur propre comportement générateur des crises
économiques. Il renfloue les banques et les grandes entreprises aux dépends des
pauvres. L’objectif est de maintenir coûte que coûte les échanges monétarisés,
eux-mêmes générateurs d’inégalités.
Peut-on compter sur l’État pour réorienter l’économie
et les dépenses publiques vers des dépenses socialement utiles ? L’État
mettra tout en œuvre pour protéger les intérêts des plus riches, et ne servira
l’intérêt collectif que dans la mesure où la classe dominante sera réellement
menacée par une menace planétaire. La crise du Coronavirus en est un bon
exemple : les états interviennent dans cette crise dans la stricte mesure
où les « élites » sont elles-mêmes menacées, soit directement par le
virus lui-même, soit indirectement par les pertes que la crise impose à
l’économie monétaire. Il est remarquable de constater que les productions
socialement inutiles, voire nocives, (armée, transport aérien, automobile,
énergies fossiles, industrie agro-alimentaire…) sont maintenues et préservées
autant que possible par l’État.
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