22 janvier 2014
Philosophie et vérité
L’objectif
de cette conférence est de partager avec vous ma démarche philosophique. Expliquer en quoi elle peut être novatrice.
Dans
un premier temps je vous présenterai la question initiale de mon travail qui
est celle de la vérité.
J’expliquerai
pourquoi cette question se pose de manière différente pour un scientifique et
pour un philosophe. Qu’elle soit considérée comme dure, ou molle, la
science porte son regard sur les choses en tant qu’objet mis en rapport avec
soi, sa pensée, sa raison ; objet qu’on analyse ensuite. En revanche je
considère que la philosophie s’intéresse aux choses dans leur entièreté dont on
fait l’expérience.
J’essaierai
ensuite d’expliquer pourquoi seule la philosophie est en capacité d’apporter
des éléments de réponse à cette question de la vérité lorsque l'on fait
l’expérience de quelque chose.
Considérer que la philosophie s’intéresse aux choses
dans leur entièreté dont on fait l’expérience, nécessite de la définir
auparavant comme :
Tentative de
re-présenter l’être reçue, entendue, portée lors de l’expérience des choses du
monde.
Cette
définition amène immédiatement les questions suivantes :
Qu’est-ce que
l’être ?
Qu’est-ce que
l’expérience des choses ?
Voilà
deux questions qui se posent lorsque l'on définit la philosophie comme une
tentative de représenter l’expérience de l’être que l’homme entend lors de
l’expérience des choses.
L’être est ce qu’on peut également appeler
le sens ou la vérité portée par
toutes choses dont l’homme fait l’expérience.
Expérience et entente de l’être deviennent alors des sujets pour la philosophie.
Les
questions soulevées par ces sujets (expérience
et entente de l’être) sont radicalement différentes de celles abordées lors
d’une démarche scientifique.
Alors
que la science prétend à la vérité par son discours qu’elle fait sur les
choses, est-il possible et même légitime de dire que la philosophie,
lorsqu’elle porte son intérêt sur l’entente
de l’être réalisée lors de toutes expériences de quelque chose, est une
autre forme d’approche de la vérité plus radicale, plus fondamentale?
Nous
répondons oui à cette question : l’approche philosophique de la vérité est
plus fondamentale et radicale que l’approche scientifique. Je m’efforcerai au
cours de cette conférence d’en expliquer les raisons.
Dans
la dernière partie de cette conférence je tenterai donc une approche différente
de la vérité.
En
m’appuyant sur Aristote qui situe l’étonnement
et l’admiration à la source de tout
questionnement et de toutes activités philosophiques et scientifiques,
j’essaierai de savoir pourquoi l’homme éprouve ces deux sentiments : étonnement et admiration ; et pourquoi on peut situer ces deux sentiments à
la source de toutes les démarches de recherches ?
Cet
étonnement ou cette admiration nous appellent vers le sens et le pourquoi.
Ces
deux sentiments arrivent à l’instant de l’expérience. C’est l’expérience de
quelque chose qui provoque chez l’homme étonnement
et admiration.
La question de l’expérience est donc à nouveau posée.
Quelle est cette expérience ? De quoi elle est constituée ? Comment
elle se passe ?
L’expérience
de quelque chose, et l’entente du sens que cette même chose porte, sont alors des
sujets philosophiques par excellence.
1
La question initiale de mon travail est
celle de la vérité.
La
problématique de départ de mon
travail philosophique doit être située dans l’unique question de la vérité.
La
question est très simple : Qu’est-ce que la vérité ?
Cette
question est une des plus banales et peut-être des plus courantes que l’homme
se pose. On peut penser qu’elle concerne tous les hommes.
Dès
qu’on prononce le mot vérité, par
exemple dans les expressions suivantes « je dis la vérité »,
« voilà la vérité », « ceci est la vérité » etc,
immédiatement c’est comme si une difficulté se dressait devant nous. Le mot vérité est sujet à controverse. Il
suscite un débat car l’interlocuteur à qui vous parlez ne vous croit pas
toujours, il doute et remet en cause ce que vous dites. Il pense et juge
autrement, il n’a pas vu les choses d’une même façon. Il les a vécues de son
point de vue. Et pour lui la vérité est différente.
Ce
qu’on appelle vérité est donc problématique, car à partir d’une même
donnée, on peut aussi bien affirmer ou nier.
La
vérité, par exemple d’un évènement, d’un fait, des choses qui nous entourent, nous
interpelle en permanence, car il est évident que sur tous les évènements, sur
tous les faits qui se présentent, les avis divergent. Les discours, les
représentations divergent... « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur
au-delà », écrivait Pascal (pensées – 294).
La
vérité à un instant donné(e) est relative à chacun, à son propre point de vue,
à son expérience, à son jugement.
Et
un même individu peut voir les choses différemment au cours de sa vie. Son
point de vue change, son jugement évolue.
C’est
une constatation courante.
Je
me suis sans cesse questionné sur ce point.
Il
y avait là pour moi une difficulté à résoudre, car si la vérité est relative à
l’individu qui la dit, cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas de vérité
dans les choses. Qu’elle est relative à chacun et parfois arbitraire. Auquel
cas, il ne sert à rien de vouloir prétendre la dire puisque l'on a toutes les
chances d’être contredit, de s’être trompé, de changer d’avis ; et le plus
souvent il est préférable de se taire.
Je
ne pouvais me résoudre à une telle conclusion. Je me suis donc proposé comme
tâche de répondre à la question : y a t il une vérité ?
En
revanche ce qu’on appelle vérité
scientifique semble être partagée par la communauté des savants. La vérité
scientifique a vocation à l’universalité. C’est ce qui pourrait la
caractériser : cette vocation à l’universalité !
Voilà
une autre constatation.
La
vérité scientifique ne pose pas de difficulté. Elle n’est pas problématique.
Elle est partagée par tous universellement.
Mais
il est encore une autre constatation : la science peut revoir, dans le
temps, ses théories et porter un discours scientifique différent sur le mêmes
phénomènes à travers le temps.
Où
est la vérité lorsque le discours scientifique évolue, alors que les phénomènes
se répètent ?
Vérité
aujourd’hui, erreur hier. Ce n’est pas la même chose de dire vérité au-delà des
Pyrénées, erreur en deçà, et vérité aujourd’hui, erreur hier. L’une des affirmations
est relative à l’espace, l’autre au temps. Mais aucune n’est universelle.
Comme
on dit, le discours scientifique progresse. La science progresse du point de
vue de la vérité et relativement au temps. On pourrait dire : relativement
au temps de la recherche, relativement au progrès techniques, à la précision
des instruments de mesures, à l’invention de nouveaux instruments, etc.
Mais
si elle progresse toujours et encore, c’est que la vérité n’est pas atteinte en
plénitude. Elle reste une cible à atteindre qu’un archer toujours un peu
maladroit tenterait de toucher et y réussirait de mieux en mieux à travers le
temps grâce à son habileté et grâce au perfectionnement de son arc. Mais la
cible et son cœur ne sont toujours pas atteints. Le seront-ils jamais ?
Elle
semble plutôt reculer au fur et à mesure qu’on avance.
Aussitôt
la même question se pose : y a-t-il une vérité ?
La
question de la vérité revient en permanence et reste toujours à résoudre.
La
question peut se résumer de cette façon :
-
D’une part si la
vérité est relative à l’individu qui l’énonce, on peut dire qu’il n’y en a pas.
-
D’autre part s’il
n’y a de vérité que scientifique, une de ses caractéristiques et non des
moindres est qu’elle peut être remise en cause, qu’elle peut progresser à
travers le temps. En définitive elle reste un objectif inatteignable.
Je ne pouvais me résoudre devant l’alternative
suivante :
-
soit dire qu’il n’y a de vérité que relative à l’homme, rejoignant ainsi la fameuse phrase du philosophe
grec Protagoras « l’homme est la mesure de toutes choses ».
Mais dire que l’homme est la mesure de toutes choses, c’est sous-entendre que
les choses en elles-mêmes n’ont pas de vérité, bien qu’elles
soient mesurables, calculables, explicables.
-
soit dire que la vérité relève du discours
scientifique. Discours toujours remis en cause en fonction des travaux de
recherche et des progrès dont on ne voit pas la fin. Ce qui signifie aussi que
le discours sur les choses et qui tente d’en rendre compte totalement,
entièrement, n’est jamais définitif.
En fait les deux branches de l’alternative peuvent n’en
faire qu’une. Soit on considère que les choses n’ont aucune vérité en elle-même,
soit on considère que cette vérité est inatteignable. Dire que les choses n’ont
aucune vérité en elle-même ou dire que si elles en ont une, celle-ci est
inatteignable, est une manière identique de renoncer à la vérité. Soit on
renonce à la vérité en disant qu’il n’y en a pas, soit on renonce à notre
capacité de l’entendre ou de la découvrir.
Je
ne pouvais accepter cette alternative qui pour moi avait deux
conséquences :
-
situer l’homme
comme donateur ou créateur du sens. Donateur ou créateur de vérité, que la
formule de Protagoras résume bien. (L’homme mesure de toutes choses)
-
et donc renoncer
à la vérité des choses en elles-mêmes.
Les
enjeux de cette problématique de la vérité sont considérables. Les conséquences
très importantes pour l’humanité. Car si l’homme pense qu’il est l’unique
donateur ou créateur du sens, il se situe de
facto au centre de son environnement et celui-ci est à sa disposition.
Si
l’homme pense qu’il n’y a que le discours scientifique qui est vérité, mais que
ce discours est de fait provisoire, la vérité devient elle aussi provisoire.
Dans
ces conditions, j’ai pensé qu’il fallait impérativement s’intéresser au concept
même de vérité. Qu’est-ce que « la vérité en elle-même », ce que
certains philosophes ont appelé « essence
de la vérité ». En sous-entendant que si on peut répondre à la question
de la vérité en elle-même, et dire ce
que pourrait être son essence, on peut répondre à toutes les questions relatives
à la vérité de quelque chose, quel que soit le temps et l’espace considéré. Y
compris aussi la vérité scientifique.
Mes
hypothèses de travail peuvent se résumer ainsi :
-
Si on arrive à dire
ce qu’est la vérité en elle-même il
devient possible de répondre à la vérité ou à la non vérité des choses qui nous
entourent et donc on peut soit accepter ou refuser la thèse relativiste
-
Si on arrive à
dire ce qu’est la vérité en elle-même,
il devient possible de ne plus considérer qu’elle est provisoire comme peuvent
l’être les vérités scientifiques.
-
Si on arrive à
dire ce qu’est la vérité en elle-même,
il est clair alors que l’homme doit se situer par rapport à elle, et donc renoncer
à se considérer comme le centre donateur de sens, mais au contraire qu’il doit
se décentrer et s’inscrire dans un système plus vaste dont il fait partie.
Et
c’est justement cette façon d’aborder la question de la vérité en elle-même qui est philosophique. Que je qualifie de
philosophique. Car seule la philosophie s’intéresse en définitive à cette
question de la chose en elle-même.
Pourquoi
ce qu’on désigne comme « soi même »
est-il philosophique ? Qu’est-ce que le soi-même de quelque chose, l’objet en lui-même, la chose en elle-même,
l’homme en lui-même ?
Pour
un scientifique, la question du « soi-même »
ne se pose pas.
Le
scientifique considère toute chose en tant qu’objet situé devant lui et par
rapport à lui, et mis ainsi en rapport.
Chose mis en objet que le scientifique va analyser, diviser en ses multiples
parties, sous-parties et liens entre elles, et dont il va étudier le
fonctionnement ; étudier les liens et lois qui gouvernent les parties
entre elles. Ces lois devant être universellement observées en tout temps et en
tout lieu.
Le
fait de pénétrer ainsi dans les différentes parties et relations d’une chose, dans
les interactions et échanges avec d’autres choses, et de savoir comment tout
cela fonctionne, s’appelle connaître.
Le verbe connaître correspond bien dans ce cas à la définition courante d’un savoir sur quelque chose.
Mais
quelque chose de bien défini et
délimité au préalable et quelque chose
qu’on divisera ensuite en parties différentes. La connaissance vérifiée de ce quelque chose considérée en ses parties et
relations sera appelée connaissance vraie ou vérité.
Dans
ce cas la définition de la vérité sera celle d’une adéquation entre
1. une théorie, une hypothèse, un énoncé ou un discours
quelconque,
2. avec la chose dont on parle, à propos de laquelle on a
formalisé une théorie, élaboré un discours, énoncé des hypothèses.
Mais une chose qu’on a considéré en ses
parties et ses relations. Vérité
(discours, hypothèse, théorie, énoncé) re-confirmée ensuite lors d’une
expérimentation si cette expérimentation est possible. Ainsi une
expérimentation qui se réalise in vitro
ne vérifie pas la chose et son fonctionnement, mais vérifie l’hypothèse,
l’énoncé, le discours, la théorie qu’on en fait à un instant donné et
relativement à des instruments et des mesures. (Cela a été bien analysé par
Henri Poincaré dans l’ouvrage intitulé Sciences
et hypothèses).
Lorsqu’il
s’agit des sciences humaines, le travail de recherche est identique, le
processus est identique. Il s’agit toujours de définir son objet, puis de le
diviser en parties et sous parties selon des hypothèses, des catégories ou des
concepts et d’en analyser les liens, les relations ou les lois. La différence
principale avec les sciences physiques se situe dans l’impossibilité
d’effectuer une expérimentation ultérieure. Donc l’impossibilité de formaliser
une loi universelle, même si beaucoup le souhaiteraient.
Pour
ce qui concerne la vérité scientifique (même si cette science est qualifiée de « molle », si elle est science
humaine non universalisable) la
question initiale de la chose en
elle-même considérée dans son entièreté en tant qu’entièreté est donc
différente. Elle ne se pose pas en réalité.
Est-ce
que ce qui est nommé vérité scientifique
est la vérité de quelque chose considérée en elle-même dans son entièreté ? Non !
La
vérité scientifique correspond à une conception particulière de la vérité. Cette
conception tend à dire que la vérité se trouve dans le discours qu’on fait et
non dans la chose dont on parle et qu’on considère en elle-même.
Cette
conception est-elle relative à la vérité
en elle-même ? On peut à nouveau répondre non.
Un
scientifique ne se pose pas cette question de la vérité en elle-même.
De
plus la connaissance scientifique est quelque chose de définissable clairement
comme nous venons de le voir. Ajoutons que la science, qui est toujours science
de quelque chose d’autre qu’elle-même, n’a que faire de cette question de la
vérité en elle-même et de la chose en elle-même.
Et
le fait que la science est science (savoir) de quelque chose d’autre que
d’elle-même change toute la problématique, puisque alors elle n’a plus à
s’interroger sur la chose en elle-même qu’elle observe, mais elle s’interroge
sur les rapports de cette chose avec d’autres, sur ses parties et sous-parties,
sur ses liens, ses causes, sur son comment, sur les lois internes qui la
gouvernent et la font devenir ainsi et pas autrement. En définitive, la science
ne se pose pas la question de l’existence de la chose qu’elle étudie, mais elle
se penche sur les causes de cette existence, en situant cette chose
relativement à un temps et un espace.
On
est dans le domaine de l’explication,
mais l’explication de quelque chose n’est pas la chose mais justement son
explication. En plus, on s’aperçoit qu’on n’en a jamais fini avec
l’explication. Au plus loin et au plus petit qu’on remonte il y a toujours une
explication à trouver. C'est-à-dire un pli
offrant un nouveau dépliement possible, une nouvelle simplification. Une
explication.
L’horizon
recule au fur et à mesure qu’on avance. On n’en a jamais fini de cette
entièreté qui apparaît comme chose nouvelle qu’on peut à nouveau diviser,
analyser, découper en parties et sous-parties. Chose ou phénomène qui apparaît
comme un pli toujours divisible et en
relation avec d’autres. Cette entièreté d’existence de quelque chose est
toujours pli et relation.
Donc
la question de la vérité comme adéquation d’une proposition, d’un énoncé, avec
la chose énoncée continue de se poser.
Même
si la communauté des savants est d’accord sur les explications, cet accord est
souvent provisoire comme nous l’avons dit au début. D’autres hypothèses
arrivent, d’autres théories sont mises en avant, d’autres axiomes, d’autres
mesures, d’autres instruments, d’autres concepts sont utilisés qui remettent en
cause le discours (scientifique) précédent. Donc la question de la vérité
continue encore et toujours de se poser.
La
science nous laisse sans réponse définitive, mais nous offre des réponses
provisoires qui peuvent être remises en question.
Voilà
en résumé la raison pour laquelle j’ai pensé que seule la philosophie pouvait
répondre à cette question de la vérité.
De
plus on continue d’observer à chaque instant que les hommes ne sont pas
d’accord entre eux sur les choses qui les entourent ? Ils en font des
analyses différentes, ils sont d’avis contraire, les opinions divergent,
s’opposent. Et de ces désaccords peuvent naître des conflits. On le voit tous
les jours.
Et
nous aussi, nous sommes embarqués dans des choses qui changent en permanence. Nous
sommes embarqués dans ce que les Anciens (Héraclite) ont nommé un flux. D’ailleurs
par rapport à ce flux, si on en fait le calcul, (car une des caractéristiques
de ce flux est qu’il est mesurable, mathématisable, comme toutes autres
choses), il est bien évident alors que ce sera le calcul qui deviendra la
vérité (universelle) du flux. Le flux selon Aristote c’est l’accident ; et
le calcul (qui tend vers l’universel) qu’on en tire sera sa vérité.
Et
puis nous aussi nous changeons. Nous sommes flux changeant. Il arrive même que
nous ne soyons pas d’accord avec nous-même. Et tout cela influe sur notre
manière de nous voir et de voir les choses qui nous entourent.
Il est évident que tout cela aura de
grandes conséquences sur nos actions.
Donc
la question qui est liée à la vérité, est celle de nos actes : comment les
légitimer, les fonder ?
Est-il
même possible de les fonder si nous n’avons pas répondu à la première
question : qu’est-ce que la vérité ?
Sous-entendant
que chacun de nos actes ne peut être légitimé que s’il est fondé en vérité.
Alors,
la question qui arrive à cet instant peut être résumée de cette façon : Sur quoi fonder une morale ?
On
voit bien que nous sommes d’emblée dans des questions d’ordre philosophique. La
philosophie s’est intéressée depuis toujours à tous ces sujets.
Pour
trouver des réponses à l’ensemble de ces questions, j’ai commencé à lire de la
philosophie. J’ai pensé que seule la philosophie pouvait m’être utile sur ce
point.
J’ai
lié la philosophie à cette question de la vérité
en elle-même. Qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce que la
philosophie ? Espérant y trouver les fondements, le sens, les raisons, le
pourquoi de nos actes et plus globalement les fondements, le sens, les raisons,
le pourquoi de l’ensemble des choses qui nous entourent lorsqu’on les considère
dans leur entièreté.
La
question de l’entièreté de quelque chose s’est toujours posée. Qu’est-ce qu’une chose ?
La
fréquentation assidue des textes philosophiques et le dialogue intérieur
renouvelé avec les philosophes ont pu en maintes occasions apporter quelques
éléments de réponse à cette question initiale de la vérité, apporter des
éclaircissements à la série de questionnements qui se présentaient au fur et à
mesure de mes réflexions. Cela est certain.
Cette
fréquentation des textes philosophiques comme celle d’ailleurs d’autres textes,
notamment des textes de vulgarisation scientifique, ou des textes relatifs aux
sciences humaines, cette fréquentation assidue, donc, m’a mis dans l’état d’un homme qui
avance sur un chemin dont il ne voit jamais la fin, comme le scientifique ne
voit pas le bout de sa recherche.
De
plus ce chemin que je qualifierai de philosophique n’est pas véritablement
balisé, il est fait de retours en arrière multiples, de relectures du même
texte, de découvertes nombreuses, émerveillant parfois mon esprit ; fait de
clairières, mais aussi d’ornières, de fatigues, de doute et d’hésitation ; il
est aussi chemin à défricher où rien n’est acquis. Il est chemin de
transformation. On voit également que ce chemin
philosophique n’est pas celui d’un progrès, car les questions soulevées il
y a plus de 2000 ans par ceux qui ont inventé la philosophie en Grèce,
continuent de se poser d’une même façon.
Souvent
on pense être arrivé au port, et puis comme l’a écrit Leibniz, on est rejeté en
pleine mer.
C’est
en marchant qu’on trouve son pas sur ce chemin philosophique, mais en même
temps la lecture des textes comme l’expérience concrète des choses qui
l’accompagne en réciprocité, est une nourriture qui nous permet de continuer
notre marche et aussi une nourriture qui nous transforme.
Ainsi
la nourriture philosophique nous transforme.
Et
si on ne peut rien faire de la philosophie, c’est elle en quelque sorte qui
fait quelque chose de nous. Voilà peut-être en quoi la philosophie pourrait
nous être utile. La philosophie est une pratique personnelle qui nous
transforme.
On
s’aperçoit à travers tout ce qui vient d’être dit que (selon moi) la
philosophie relève d’un autre domaine que celui de la science. Elle est plutôt
de l’ordre d’un cheminement intérieur portant sur l’être.
2
Aristote
avait défini la philosophie comme étant la science
de l’être en tant qu’être. J’ai réfléchi longuement à cette définition proposée
par Aristote.
Qu’est-ce
que l’être ?
Qu’est-ce
que l’être en tant qu’être ?
Et
pourquoi Aristote emploie-t-il le mot
science : science de
l’être ?
Rapidement,
on peut penser que la science dans sa définition habituelle est plutôt la
science de l’étant. La science de ce
qui existe en tant qu’étant. De ce qui est présent en tant qu’étant. Quel mot
barbare que celui d’étant, que seuls les philosophes utilisent !
Qu’est-ce
aussi que l’étant ?
Et
l’être, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce
que l’être ?
Si
on n’a pas répondu à ces questions de l’être, de l’étant et de leur différence,
de la nature de leur différence, on ne sait pas de quoi on parle. Car si
Aristote parle de l’être en tant qu’être c’est
pour le différencier de l’étant qui
renvoie dans son esprit à des domaines particuliers de l’être. L’étant c’est ce
qui est là présent : étant présent. Le mot étant est un mode particulier du verbe
être. Etant est le participe présent de être. L’étant participe de l’être au
présent. L’étant c’est l’ensemble des choses présentes et qui se présentent.
C’est donc aussi les phénomènes, naturellement venus au monde ou créés artificiellement
par l’homme.
Et
puis Aristote utilise le mot science,
science de…Science de l’être en tant
qu’être !
Est-ce
possible que l’être soit un objet scientifique au sens où
Aristote utilise le mot science (comme savoir universellement partagé) ? Pour
l’étant présent on comprend bien
qu’il est possible qu’il devienne objet d’une science. Science qui en étudiera
les modalités d’existence, les évolutions, les causes, les lois internes qui le
gouvernent et font qu’il est ainsi et pas autrement à l’instant où j’en fais
l’expérience.
Mais
l’être ! Peut-il devenir un objet
et qui plus est un objet d’étude de type scientifique.
L’être comme ob-jet, c'est-à-dire
quelque chose qui a été placé devant soi et qu’on analyse ; quelque chose avec
lequel on instaure un rapport.
A
un moment de ma réflexion, j’ai fait l’hypothèse qu’il n’est pas possible que
l’être soit l’objet d’une science. Ce fut une intuition de ma part.
L’être tel que je l’ai pensé peu à peu, ne
peut pas être un objet. Ne peut pas
être mis en objet. Une chose jetée
devant soi et ob-servé.
Et
dès qu’on veut faire de l’être
l’objet d’une science, il échappe et devient quelque chose. Un étant.
En
revanche l’être est entendu lors de
toutes expériences. Cette proposition fut aussi une intuition.
Que
signifie cette proposition : L’être
est entendu lors de toutes expériences ?
Cela
veut dire trois choses :
-
le sens est entendu,
-
il a cette puissance d’être entendu.
-
et l’homme a
également la puissance de l’entendre.
Que
signifie le mot ou le concept de sens ?
Que recouvre-t-il ? Le mot (concept) sens
peut être remplacé par d’autres mots (concepts) : idées, informations,… ou
vérité. Le sens est quelque chose d’immatériel livrée lors de l’expérience
qu’on fait de cette même chose et qui a besoin d’être matérialisé pour être
livré. (Aujourd'hui quelques électrons suffisent pour matérialiser le sens qu'on souhaite communiquer).
Mais
comment le sens de quelque chose
est-il communiqué ? Que se passe-t-il ? Quelle est cette puissance de
communication, de transmission ? Comment s’effectue cette transmission du
sens ? (émission ↔ réception )
Et
aussi pour ce qui concerne l’homme : quelle est cette puissance d’écoute de
l’être ? D’écoute du sens. Où se réalise-t-elle ?
Voilà
une nouvelle série de questions.
Il
faudra alors se pencher sur l’expérience
et sur l’entente de l’être. Qu’est-ce
qu’une expérience ? Qu’est-ce que faire l’expérience de quelque
chose ? Et quelle connaissance
est produite par cette expérience ? Il est évident que cette connaissance n’est pas d’ordre
scientifique, mais d’ordre "expérientielle".
Par
contre pour ce qui concerne l’étant,
(la chose existante) il est possible d’instituer un rapport avec, de le mettre
en objet : il est possible que
l’étant soit l’objet d’une science au sens où nous en avons parlé tout à
l’heure.
Penser
la différence entre l’être et l’étant devient alors une des tâches
primordiales de la philosophie.
L’être en tant que sens de quelque chose renvoie-t-il à l’en soi tel que nous en avons parlé au début ? La chose en
soi. La chose en elle-même.
La chose en elle-même et l’être de la chose sont-ils
identiques ?
L’être
de quelque chose est sa vérité, alors que son entièreté est la chose elle-même.
Il faut différencier être et entièreté d’une
chose. Être et chose en elle-même.
J’ai
fait l’hypothèse que l’être de la chose et la chose en elle-même ne sont pas
identiques. La chose en elle-même reste la chose, c'est-à-dire un étant considéré dans son entièreté et
son unité et dont une des propriétés essentielles est de pouvoir porter son
propre sens à chaque instant de son devenir.
L’être de cette chose est différent : il est
selon moi le sens qu’elle porte et la
puissance qu’elle a de la porter.
J’en
suis donc arrivé à cette proposition que être
et entièreté, être et totalité devaient être distingués.
Ce
questionnement sur l’être, en le
distinguant de l’étant va m’amener
véritablement sur le chemin de la réflexion philosophique. En fait mon travail
principal se situe dans cette question : qu’est-ce
que l’être ?
Un
chemin nouveau s’est ouvert. Une manière nouvelle de faire de la philosophie.
La philosophie devenant alors une approche des fondations. La philosophie comme
devant nous permettre de fonder nos actions, de fonder une morale. Cette
fondation est réalisée sur l’entente de l’être.
La
philosophie nous parle de l’homme dans sa capacité qu’il a d’entendre l’être à l’instant de
l’expérience de toutes choses.
3
Mais
Aristote nous dit également à certains endroits de ses textes que la
philosophie est née un jour de l’étonnement
et de l’admiration. Qu’est-ce que cet
étonnement qui serait à la source du cheminement philosophique selon Aristote ?
J’ai
réfléchi également très longtemps à cette proposition du Stagirite.
L’étonnement c’est quoi ?
L’étonnement se produit quand quelque chose arrive soudainement et qu’on
n’attendait pas.
L’admiration se produit quand saisi par
quelque chose, notamment par ce que l’homme va nommer la beauté de cette chose,
il est en quelque sorte médusé, en arrêt, et sur le coup incapable de penser.
Pourquoi
ces deux sentiments que tous les hommes partagent, sont-ils placés par Aristote
à la source de l’activité philosophique ?
J’étais
moi-même étonné par cette proposition d’Aristote. Mais étant étonné, je me suis
immédiatement rendu compte que cet étonnement me mettait en chemin.
L’étonnement m’appelait vers le pourquoi, vers le sens. Cet étonnement m’emmenait
vers l’action, dont une des modalités, et non des moindres, est celle de penser.
Pourquoi
cet étonnement, d’où vient-il ? Qu’est-ce qui fait que je suis
étonné ?
Qu’est-ce
qui fait que j’admire ce que je nommerai ensuite beauté et même bonté.
Je
pense avoir trouvé une réponse à ces questions en travaillant sur le principe
d’identité et en le distinguant du principe de raison qui serait fondé par lui.
Le
principe de raison arrive en second par rapport au principe d’identité qui est
premier. Toute relation, tout échange comme toute existence sont fondés sur le
principe d’identité.
Le
principe d’identité peut être défini de cette façon : toute chose en
elle-même est identique à elle-même en son présent. (A identique à A). Il ne faut
pas confondre le principe d’identité avec le principe de non contradiction
défini par Aristote qui dit qu’ « Il est
impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps
et sous le même rapport à une même chose »
Lorsque
le principe d’identité est mis à mal, c'est-à-dire lorsque l'on ne re-connaît pas
quelque chose dans son entièreté, la première réaction est d’en être étonné, et
ensuite de se demander pourquoi, de trouver les raisons pour lesquelles nous ne
l’avons pas reconnue immédiatement et pourquoi cette chose est-elle devenue
différente alors qu’elle est restée également la même, puisqu’en définitive
elle est reconnue comme tel, qu’elle envoie le même sens.
Qu’est-ce
que cette différence, comment
s’explique-t-elle ?
Qu’est-ce
que le même qui persiste et au final me permet de reconnaître cette chose comme
identique.
Il
faut trouver les raisons.
Le
principe d’identité mis à mal à l’instant de l’expérience de quelque chose
qu’on ne reconnaît pas me conduit vers le principe de raison qui dit que toute
chose a sa raison qui explique pourquoi elle est ainsi, pas autrement et en
même temps toujours la même.
Pourquoi
l’émerveillement, l’admiration ?
La
réponse est identique, sauf que dans ce cas d’émerveillement le principe d’identité
est confirmé lors de l’expérience unifiante avec cette chose. Et c’est cela qui
nous émerveille. Ce qui nous émerveille c’est la réalisation au sein de
l’expérience de cet instant d’unité entre nous et la chose dont on reçoit le
sens. L’instant de l’expérience est une unité réalisée.
La
philosophie s’intéresse au sens, au pourquoi. Et si elle s’intéresse au sens,
elle doit obligatoirement s’intéresser à ce qui nous met en chemin vers le sens
et en chemin vers le pourquoi ; donc elle doit s’intéresser à l’étonnement
initial. A ses raisons.
Voilà
en résumé ce qui m’a mis sur le chemin de la philosophie.
Ce
fut, si on y pense, une expérience toute personnelle de lecture et
principalement une expérience de vie, ce que les Allemands appellent : erlebnis ; expérience partagée par
tout le monde, expérience de lecture, d’étonnements divers et renouvelés et
d’admiration que la vie nous procure à chaque instant.
Voilà
le cheminement personnel qui est celui d’un questionnement occasionné par des
expériences, des rencontres.
Dans
ce cheminement on est loin de la définition de la philosophie comme activité rationnelle qui crée des concepts,
tel que cela avait été proposé par Gilles Deleuze.
La
philosophie est plutôt pour moi un chemin de libération.
Une
nourriture quotidienne qui me permet d’avancer et de me libérer des questions.
Une voie de délivrance. Bien sûr les concepts
resteront des outils, parfois d’une très grande puissance, qui me permettront d’avancer, mettre de l’ordre dans mes
idées, dans mes pensées et répondre parfois à des questions et donc me libérer
au cours du cheminement.
Mais quelle ne fut pas ma surprise
lorsque je découvrais que les
concepts pouvaient nous empêcher de voir, d’entendre, et pouvaient nous masquer
les choses, nous empêcher de vivre pleinement une expérience ; que les
concepts nous invitaient en quelque sorte à vivre l’expérience de quelque chose
sans étonnement ni admiration.
1. Se pose alors la question de la nature qui est qualifié de flux qui vient et aussi vite s’en va ;
flux que nous vivons dans l’expérience des choses. Flux qui provoque tant
d’étonnements mais aussi parfois nous émerveille dans ses instants présents.
2. Se pose ensuite la question du lien - relation et des rapports
de l’homme avec la nature. Du lien et
des rapports des hommes entre eux.
3. Se pose alors la question de la différence entre lien et rapport. Entre relation
et rapport.
-
Le rapport institue un lien de subordination entre le sujet et l’objet posé et rapporté,
une mise à distance, un enfermement et une division au sein de l’objet.
-
Les liens permettent la poursuite du
devenir.
Voilà
deux thèses que je me suis proposé de travailler.
Les
concepts nous situent dans un rapport
relativement aux choses, car la chose mise en objet est mise en question par le
concept, (c’est le but même du concept de mettre les choses en question et de les interrogeer en fonction du même concept), alors que l’expérience des choses nous
met en relation, en lien. Ou encore en liens relationnels.
Ce
que j’appelle liens relationnels peut
se nommer aussi interactions et
encore échanges. L’interaction
(relation, échange) concerne toutes les choses quelles que soit leur taille,
leur dimension, leur modalité d’existence. Les choses justement existent en étant en relation. En étant
relation. Exister signifie être en relation.
Les
liens relationnels sont des liens de
réciprocité, d’interdépendance et d’échange, même si ces échanges ne sont pas
égaux. Ils produisent le devenir de toutes choses. Ces échanges produisent leur
changement et leur maintien en tant que même.
Et
ces liens relationnels sont ce qui permet la poursuite du un. Ces liens relationnels produisent du un et donc le poursuivent. La poursuite du un en tant qu’entièreté peut être nommé son devenir.
Alors
que la mise en rapport est justement
un rapport qui crée une distance, sépare, divise en parties cette unité. Le
rapport est du domaine du deux.
Qu’est-ce
que ce lien relationnel ? Que permet-il ? : Il est échange.
Je
me suis alors penché sur cet échange (interaction), de quoi il est fait ?
Comment il se passe ?
Un
autre nom pour ce que je viens de nommer interaction,
échange ou/et lien relationnel, pourrait être le mot expérience. Le lien relationnel est une expérience que l’on fait
lors d’une rencontre et dont l’homme a conscience.
Il
est échange de quoi ?
Je
peux maintenant répondre de manière fondamentale à cette question : de
quoi l’échange est-il fait ?
Il
est échange de puissance, de matière-énergie et de sens (information, idées,…). Mais la
matière-énergie qui est déjà quelque chose de formé et en mouvement est
elle-même échange de puissance, de matière (non formée) et de sens. Une
réflexion sur la matière primordiale (ousia
proté) non formée devint alors impérative.
Et
de cet échange que va-t-il naître ?
De
cet échange va naître le un et son devenir.
Voilà
déjà beaucoup de sujets qu’il serait nécessaire d’aborder…
Posons
nous aujourd’hui la question du devenir puisque l'on
vient de prononcer ce mot ! Devenir : Se passe-t-il dans un temps déjà là et dans un espace
déjà présent mais vide et où le devenir des choses prendrait sa place ? Ce
qui signifierait que le temps et l’espace existent en dehors des choses en
devenir et même avant elles.
La
question de l’espace et du temps est soudainement posée. Y a t il temps ?
Y a-t-il espace ?
Qu’est-ce
que ce temps et cet espace hors devenir des choses et prêts à
l’accueillir?
A-t-il
une existence ? Une existence qui serait séparée, distinguée des choses en
devenir ?
Si
le temps et l’espace n’ont pas d’existence en eux-mêmes, ils ne sont alors que
des concepts permettant la représentation
des choses, c’est à dire leur mise en rapport représenté et aussi mesuré, sous les concepts de temps et espace.
Cette
conception de l’espace et du temps comme non existant, mais permettant le
calcul du mouvement et de la position de chaque chose, je la dois en grande
partie à Emmanuel Kant qui énonce que l’espace et le temps ne sont « ni
des substances, ni des accidents ».
Mais
contrairement à ce que dit Kant, pour moi, espace et temps ne sont pas des
intuitions pures a priori de l’esprit
humain (ce que dit Kant), mais ils sont des concepts que l’esprit humain
produit après coup (a posteriori) à
partir de l’expérience qu’il a des choses ; espace et temps sont des
concepts permettant ensuite de mettre les choses en rapport, en objet ;
permettant de les calculer, et ainsi prévoir en partie leur devenir, expliquer
et prévoir leur mouvement et leur position.
C’est
donc plutôt le devenir des choses qui serait la source originaire de ces concepts indispensables
à toute représentation humaine. Et par ailleurs il est vrai que la mise en
objet de toute chose, instaurant alors un rapport avec elle, nécessite de le
faire sous les concepts d’espace et de temps.
Revenons
donc maintenant aux concepts : A
quoi servent-ils ?
Les
concepts nous servent à instaurer un rapport avec les choses et avec les
hommes. Ils instaurent une forme de domination et de soumission. Les concepts
servent à mettre de l’ordre dans ce qui pouvait être considéré par l’homme
comme désordre ; de l’ordre dans ce qui peut être considéré comme flux que
certains nomment chaos.
Mettre
de l’ordre dans la nature, comme si elle en avait besoin !
Les
concepts sont le plus souvent situés là pour empêcher toute surprise, tout
étonnement. Et je pourrais ajouter : certains sont là pour empêcher tout
changement.
Ils
vont contribuer à mettre de l’ordre humain dans la nature, la domestiquer, la
dominer. Et ils vont contribuer à mettre de l’ordre et aussi de la domination
dans les échanges entre les hommes. A les contrôler, les dominer et faire que
cet ordre créé par l’homme sous le concept, se poursuive tel que cela est
souhaité. (Cela a été bien montré par Marx dans son texte sur l’Idéologie allemande)
Ils
vont faire que le chemin que nous débroussaillons devienne une voie large et
sûre. Sans danger, sans étonnement et sans questionnement. Sans risque.
Mais
aujourd’hui on voit bien les limites d’une telle conception. On voit aussi les
dangers de poursuivre dans cette voie lorsque les questions liées aux rapports
que l’homme a instauré avec son environnement (naturel) sont si fortement
posées. Lorsque les questions liées aux rapports que l’homme a instauré avec
l’autre homme, son frère, sont également si prégnantes.
Ne
faut-il pas refonder autrement la place de l’homme dans son environnement et
refonder autrement les liens relationnels qui unissent les hommes entre eux ?
Le
fait que l’homme utilise et fabrique des concepts qui serviront à représenter
les choses et aussi à les domestiquer, les dominer, devint alors une question
essentielle dans mon cheminement.
Donc
en réfléchissant à cette proposition de Gilles Deleuze qui énonce que la
philosophie est l’activité qui crée des concepts, donc qui crée des vérités
pour le monde, j’en suis arrivé à me poser la question de la place, des
rapports, des liens et relations de l’homme avec son environnement, et aussi
les rapports et des liens des hommes entre eux, lorsque tout cela est fondé sur
les concepts qu’il est capable de créer.
Est-il
possible de fonder autrement que sur des concepts, les liens et les relations
des hommes entre eux, et les liens et relations des hommes avec la
nature ?
Cette
question reste essentielle dans mon travail philosophique.
Quelle
est la place de l’homme dont une des grandes capacités est de fabriquer des
concepts, des représentations, des discours ?
J’ai
relu alors de manière critique Emmanuel Kant, notamment la Critique de la raison pure, et les deux autres Critiques (faculté de juger,
et raison pure pratique) et d’autres philosophes
qui le suivront. J’ai tenté de refonder autrement la position de l’homme comme
animal raisonnable dont une des activités est de créer des concepts, (ce que
Deleuze appelle l’activité philosophique) ; activité devant mettre ce même
homme dans une position insigne vis-à-vis de son environnement.
J’ai
revisité alors la philosophie de ce point de vue. Notamment Platon et Aristote,
mais aussi les présocratiques (Parménide et Héraclite). Et vu en quoi la
philosophie dans sa tradition occidentale a des responsabilités sur ce qui se
passe actuellement dans le monde.
C’est
tout un travail de déconstruction de la philosophie que j’ai alors commencé et
qui aujourd’hui est loin d’être terminé.
Lors
de ce travail de déconstruction, la question de savoir ce qu’est la philosophie
s’est posée de manière forte. Car
si la philosophie n’est comme l’écrit Gilles Deleuze « ni contemplation, ni réflexion, ni
communication », mais si elle est « l’activité qui crée des concepts » : à quoi peuvent
servir ces concepts que la philosophie créerait sinon à mettre comme un écran
entre les choses et nous, et aussi un écran entre les hommes à l’instant de
leur rencontre, écran permettant de voir et vivre différemment les expériences
que nous partageons au même instant.
Une
réflexion sur les concepts se pose. Qu’est-ce qu’un concept et à quoi
sert-il ?
Une
autre réflexion s’impose : quel est l’objet
de la philosophie ?
Nous
revenons donc à la question de départ : qu’est-ce que la
philosophie ? Et pourquoi en écrire ?
Oui
pourquoi ?
Sinon
pour déconstruire ce qu’elle a voulu être en partie depuis ses débuts :
une activité visant à créer des concepts, dont certains sont susceptibles de
mettre un écran humain entre les choses et parfois de poursuivre la domination
de quelques uns sur d’autres.
Un
des objets de ces trois premiers livres de philosophie (Philosophie et vérité, Discours
et vérité (à paraître en avril 2014) et Être et vérité (à paraître en janvier 2015) devient
alors évident à mes yeux : Je tente d’y expliquer que si la philosophie
persiste dans cette voie de la création des concepts, elle est en quelque sorte
condamnée à disparaître en tant que discipline particulière, disparaître devant
la science, comme aussi devant les sciences humaines, les sciences politiques
et économiques, dont les résultats sont bien plus efficients et utiles
immédiatement pour l’homme (et aussi nuisibles).
Il
faut sortir la philosophie de cette ornière dans laquelle elle était depuis si
longtemps et la remettre là où elle est : lui redonner l’être en tant qu’être, ce que je nomme le sens, comme seule et unique
préoccupation. Ce qu’Aristote, Platon et leurs prédécesseurs avait déjà entrevu
dans certains de leurs textes.
Cette
question de la philosophie comme entente
de l’être ou entente du sens que
les choses portent et dont nous faisons l’expérience, doit situer cette
discipline au fondement de toutes nos activités humaines.
François BAUDIN
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire