L’IMPORTANCE
DE L’HISTOIRE SANITAIRE ET SOCIALE
DE
L’ÉPOQUE CONTEMPORAINE
Étienne
THÉVENIN, Maître de conférence HDR en histoire contemporaine
Université
de Lorraine - Nancy 2 avril 2020
Étienne THÉVENIN,
Président du Conseil Scientifique de l’AREHSS est le représentant de
l’Université de
Lorraine au Comité de Pilotage Régional du CNAHES d’histoire du handicap
en Lorraine et
référent pour d’autres actions dont un colloque AREHSS-CNAHES en
préparation : « Les
pauvretés d’hier, d’aujourd’hui… et demain ? ».
Étienne Thévenin a
publié chez Kaïros Survivre ou vivre ? Santé et société en Europe de la
fin du XVIIIe siècle à nos jours
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Étienne
THÉVENIN, Président du Conseil Scientifique de l’AREHSS est le représentant de
l’Université de
Lorraine au Comité de Pilotage Régional du CNAHES d’histoire du handicap
en Lorraine et
référent pour d’autres actions dont un colloque AREHSS-CNAHES en
préparation : «
Les pauvretés d’hier, d’aujourd’hui… et demain ? ».
La crise
sanitaire actuelle nous invite à prendre conscience de l’importance de l’étude
de
l’histoire
sanitaire et sociale à l’époque contemporaine. On peut rappeler qu’il y a un
siècle, au sortir de la première guerre mondiale, la grippe espagnole tuait
plus que les effroyables combats la première guerre mondiale, que la tuberculose
était une maladie incurable qui entraînait la mort de personnes de tous âges,
que l’espérance de vie à la naissance en France était d’environ cinquante ans,
que la mortalité infantile était d’environ cent pour mille alors que le typhus
frappait l’Est de l’Europe et
obligeait à
mettre place un « cordon sanitaire ».
Les
résultats spectaculaires obtenus au cours des décennies qui ont suivi ont fait
croire à certains que la question sanitaire était réglée à tout jamais dans les
sociétés occidentales, que les maladies infectieuses étaient définitivement
vaincues, qu’elles avaient disparu. C’était oublier un peu vite à quel prix ces
résultats avaient été obtenus. Les découvertes médicales furent essentielles
mais elles ne suffisaient pas. De puissants systèmes de solidarité et de
sécurité sociale ont permis au plus grand nombre d’accéder aux soins, et des
politiques de santé publique volontaristes et conçues de manière rigoureuse ont
permis de préserver les populations.
Le
département de Meurthe-et-Moselle a été pionnier dans ce domaine à la suite de
la création, en 1920, par Jacques Parisot, Professeur de médecine sociale à
Nancy de l’Office d’hygiène sociale de Meurthe-et-Moselle. J’ai raconté dans un
livre l’importance de cette histoire qui a eu des répercussions dans le monde
entier car Jacques Parisot présida le Comité d’Hygiène de la SDN à la fin des
années trente et fut l’un de cofondateurs de l’Organisation Mondiale de la
Santé au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’impact de « l’Ecole de Nancy
sanitaire et sociale » a été considérable dans le monde. Pourtant le centenaire
de cet événement majeur a été jusqu’ici célébré avec une très grande
discrétion, même à Nancy. Comme s’il ne s’était rien passé ou presque…
Un système
de santé peut aussi se défaire, se déliter par inattention de la société et par
une accumulation de mesures prises par les pouvoirs publics au nom de logiques
qui oublient les priorités sanitaires. J’évoquais la question dans les
dernières pages de mon livre « Survivre
ou vivre ? Santé et société en Europe de la fin du dix-huitième siècle à nos
jours », paru en 2018 aux Éditions Kaïros. Je notais qu’en 2015, pour la
première fois depuis longtemps, l’espérance de vie reculait en France par
rapport à ce qu’elle était l’année précédente. Le nombre de décès « évitables »
augmentait de manière régulière. Les résultats publiés par les instances
internationales montraient que la France n’était plus, et de loin, le pays le
plus performant en Europe en matière de santé. La tendance ne s’est pas
inversée et l’on arrive aujourd’hui, à la suite d’une succession de décisions
malencontreuses prises pour « faire des économies », à la pénurie de lits, de
masques et de respirateurs que nous connaissons.
Ces
questions étaient soulevées dans les milieux professionnels concernés mais
laissaient de marbre les historiens contemporanéistes qui pour la plupart ne
prêtaient pas attention aux livres publiés par certains de leurs collègues sur
ces questions (il suffit de consulter la rubrique « comptes rendus » des revues
d’histoire). D’ailleurs, outre Jacques Parisot, qui connaît, parmi les
contemporanéistes, Ludwig Rajchman, Nikolaï Semashko, Virginia Henderson,
Cecily Saunders, Louis-Paul Aujoulat ? Peu de monde en vérité.
Pourtant,
en Lorraine, des chercheurs en histoire ont publié des recherches de qualité ou
travaillent
actuellement sur ces questions. Je n’ai pas le sentiment d’être isolé. A Metz, Bernard
Desmars a travaillé sur ces questions. Certains étudiants ont publié des travaux
remarquables. A Nancy, Thibaut Weitzel a réalisé un mémoire de Master d’une
qualité exceptionnelle sur la dernière épidémie de choléra, très méconnue, qui
frappa la France à la fin du dix-neuvième siècle. Il en publia une version
abrégée dans un livre, Le fléau invisible ; la dernière épidémie de choléra en
France, paru en 2011 aux éditions Vendémiaire. Venus d’Afrique, certains
étudiants en histoire travaillent aujourd’hui, à Nancy, dans le cadre de leur thèse
d’histoire contemporaine, sur les questions sanitaires en étudiant surtout des
régions africaines. Par ailleurs un doctorant, Jean-Marie Villela, a choisi
d’étudier, en s’appuyant sur les réalités sanitaires et leur évolution, la
notion de « vulnérabilité » et l’évolution de sa perception depuis deux
siècles. Ce sujet a été choisi avant la crise du coronavirus. Jean-Marie Villela
a ouvert un blog et un échange sur les réseaux sociaux sur le sujet car la
crise actuelle montre la pertinence de cette recherche et de cette approche.
Une communauté
de chercheurs en histoire contemporaine travaillant sur ces questions existe
bel et bien en Lorraine. Les historiens ont une parole et un regard à apporter
pour enrichir le débat public sur ces questions. Y croient-ils ? Le problème
principal est sans doute là.
Depuis une
vingtaine d’années, l’historien qui se risquait à présenter un livre, une
recherche ou un projet sur un sujet d’histoire sanitaire et sociale s’entendait
répondre les mots suivants de la part des directeurs de centres de recherche
universitaires, des dispensateurs de crédits pour le financement des projets de
recherche soutenus par les organismes publics ou parapublics, des éditeurs, des
libraires, des auteurs de comptes rendus dans les revues, des étudiants en
quête de lecture ou des associations organisatrices de conférences : « Le
travail est intéressant mais ce type de recherche ne fait pas partie de nos
centres d’intérêt prioritaires » De sorte que même s’il est publié, un travail
de qualité sur ces questions reste le plus souvent ignoré car non lu. J’en
profite pour rendre hommage aux personnes qui, malgré tout, ont soutenu les
efforts des historiens qui s’engageaient dans ce type de recherches. Je citerai
en premier lieu, pour ce qui est de la Lorraine, l’Association régionale d’Etude
de l’Histoire de la Sécurité Sociale Lorraine Champagne Ardennes (AREHSS) et je
n’oublie pas le Conservatoire National des Archives et l’Histoire de
l’Éducation Spécialisée et de l’Action Sociale (CNAHES).
Qu’en
sera-t-il au lendemain de la pandémie qui nous frappe actuellement ? Il n’est
pas facile
de s’intéresser
aux sujets émergents comme ceux qui sont liés à l’histoire sanitaire contemporaine.
Nous savons pourtant que cette pandémie ne sera malheureusement pas la dernière
que connaîtra notre humanité. Je crois que notre société progressera dans la
compréhension des enjeux sanitaires quand elle s’emparera du débat sur les
questions sanitaires qui ne peuvent être abandonnées à la seule appréciation
des technocrates, des administrateurs et des adeptes des logiques comptables à court
terme. Les questions sanitaires ne peuvent être abordées sous le seul regard
des économistes de la santé ou de certains comptables égarés dans une gestion
aussi chaotique que décalée des questions de santé. L’apport des recherches
conduites en histoire de la santé doit être pris en compte, et d’abord par les
historiens eux-mêmes. Mais on n’en est pas encore au jour où les travaux
d’histoire sanitaire et sociale menés sur ces questions seront accueillis par
ces mots : « Ce travail est intéressant mais surtout ce type de recherche est
d’un intérêt prioritaire pour tous car une société réellement démocratique et
humaniste se doit de veiller à permettre à tous une vie en bonne santé la plus
longue possible ».
Étienne
Thévenin
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