vendredi 31 janvier 2014

Papa porte une robe (nouvelle version)



Papa porte une robe (nouvelle version)

La folle rumeur qui s’est répandue cette semaine à propos de la théorie du genre enseignée dans les écoles, est le signe d’une grande inquiétude des parents d’élèves et plus globalement d’une inquiétude qui gagne la France. Cette inquiétude et cette peur sont porteuses de dangers.
Ne pas la prendre en compte serait une erreur de la part du ministre Vincent Peillon. Le risque alors de voir s’amplifier des mouvements et des organisations extrémistes qui utilisent la peur à leur profit, deviendrait si fort que plus rien ne pourrait l’arrêter et que notre pays serait sous la menace d’un danger tel qu’il en a connu il y a tout juste 80 ans, le 6 février 1934 lorsque des tentatives de renverser la République par des ligues fascistes, se manifestèrent dans la rue.
En observant les manifestations récentes où la parole extrémiste se banalise, on peut craindre le pire.
Il est possible que l’histoire se reproduise à sa manière. Les évènements du 6 février 1934 nous ont emmenés de manière irrémédiable vers la collaboration avec le régime nazi, dont les causes directes étaient à chercher dans la crise, le chômage de masse, les scandales financiers et la perte de confiance dans les élus.

Répondre, comme le fait le ministre Peillon, par la menace de sanctions à l’encontre de certains parents qui ont refusé de mettre leur enfant à l’école les 24 et 27 janvier, est une façon de mettre de l’huile sur le feu et d’affoler encore plus les parents.

Si le projet du ministre est de favoriser l’égalité entre filles et garçons, de lutter contre les stéréotypes et les discriminations, œuvrer pour la mixité, alors oui nous devons le soutenir. Ce projet éducatif est louable et n’a rien à voir alors avec la théorie du genre qui poussée à l’extrême nie la différence entre les sexes.
Par contre, il est faux de dire qu’il n’existe pas actuellement une théorie du genre que certains lobbys aimeraient répandre dans les écoles. Au contraire une entreprise de dénaturalisation du sexe est à l’œuvre dans la société. Elle trouve son origine chez Simone de Beauvoir qui écrivait en 1949, dès les premières lignes de son texte Le Deuxième sexe : « On ne naît pas femme : on le devient… ». Tout était dit dès cette première phrase. Simone de Beauvoir voulait insister sur le caractère construit et transmis de la féminité.
Poussée à l’extrême, cette thèse de la théorie des genres prétend que l’être humain est neutre à la naissance. Féminin ou masculin serait exclusivement imposé par le milieu culturel. La différence et la distinction sexuelles ne seraient plus fondées sur des données naturelles, mais sur la représentation que l’homme en a. Et ce serait à partir de cette représentation construite par la société que la femme aurait été soumise depuis des milliers d’années.
Cette thèse peut être étudiée et discutée. D’ailleurs elle l’est au sein des universités qui s’interrogent sur le sexe physiologique et le sexe social.
Elle peut être débattue dans les lycées, en classe de philosophie.

Mais à l’école primaire, la question reste posée. L’école qui met en présence des élèves et des enseignants doit rester un lieu non soumis aux idéologies et aux modes du moment. La distance à leur l’égard est requise. L’enfant qui arrive à l’école ne vient pas de telle famille ou de telle communauté, mais il vient comme élève au même titre que d’autres élèves. Voilà ce qu’il faut lui signifier. L’école refuse toute soumission à un particularisme.

L’école est lieu d’autonomie à l’égard de toutes les pressions, de toutes les cultures ; non pas une tour d’ivoire coupée du monde, mais un lieu qui développe ses propres buts : savoirs, connaissances, enseignements, liberté, lucidité sur le sens des choses et de l’action.
Citons Victor Hugo : « L’instruction primaire obligatoire, c’est le droit de l’enfant qui, ne vous y trompez pas, est plus sacré encore que le droit du père,... »


François Baudin

vendredi 24 janvier 2014

Pour un pacte de solidarité


L’année dernière au mois d’avril, François Hollande avait élevé la lutte pour l’emploi au rang de « cause nationale ». C’est probablement au nom de cette cause qu’au cours de la dernière période, le président français a renforcé son tournant libéral et accédé aux revendications des entreprises en baissant les charges sociales et familiales sur les salaires.

Or cette idée que la baisse du coût du travail entraîne la création d’emploi est une idée fausse. Le coût du travail intervient de moins en moins dans le calcul de la valeur et dans le prix de vente des produits. Par exemple il ne représente que 5 à 8 % du prix d’une automobile chez Peugeot. Ce n’est donc pas en diminuant les charges salariales de quelques points qu’on créera des emplois.
Cette tendance vers la diminution du coût du travail est due en grande partie aux progrès techniques et à la modernisation des outils de production qui remplace de manière irrémédiable le travail humain. C’est une réalité historique qu’aucun économiste ne peut nier.

Les causes profondes du chômage en France et de son augmentation ne sont pas à trouver dans le coût du travail. D’ailleurs les entreprises le savent pertinemment. Et de leur point de vue, il serait très risqué de promettre des emplois contre des baisses de charge comme le souhaite François Hollande dans son pacte de responsabilité.

En revanche si cette baisse des charges patronales a pour conséquence d’augmenter la rigueur pour tous, car il faudra bien trouver ailleurs les sommes redonnées aux entreprises, le risque est grand de renforcer encore la crise sociale, et notamment la pauvreté en France.
Il y a deux jours François Chérèque, l’ancien leader de la CFDT a remis un rapport sur la pauvreté dans notre pays. Près de 9 millions de personnes, soit presque 15% de la population, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le nombre de pauvres en France augmente sans cesse depuis plus de quinze ans, notamment parmi les jeunes de 18 à 29 ans et les familles monoparentales.

Depuis 40 ans la productivité du travail dont on ne parle jamais, a fait des pas de géant. C’est cette augmentation de la productivité qui est en fait la cause principale des difficultés économiques actuelles. Le progrès technique entraîne de fait une diminution très importante du nombre nécessaire d’heures de travail pour produire la même quantité de richesse.
Cette productivité est le signe évident d’un progrès qu’il faut encourager. Il est alors nécessaire de partager le travail. D’ailleurs ce partage est en cours actuellement, mais il s’effectue de manière sauvage, non régulé, au détriment des salariés. La durée moyenne du travail est d’à peine 30 heures si on compte les salariés en temps partiel. Si on compte les demandeurs d’emploi elle descend à moins de 25 heures par semaine pour produire autant de richesse.

C’est donc l’inverse qu’il faut faire. C’est vers la réduction du temps de travail qu’il faut aller. Bien sûr cette réduction ne peut pas se mettre en place dans le cadre économique actuel. Mais elle est nécessaire. Elle est le levier le plus puissant dont nous disposons pour sortir du chômage et de la pauvreté.
Pour continuer de voir dans le travail une source essentielle de la réalisation personnelle, ne faut-il pas que tout le monde y ait accès ? Pour cela il faut revoir notre modèle de développement et redéfinir notre conception du progrès.

Il faut revenir aux fondamentaux et répondre à cette question simple : à quoi sert l’économie ? Elle sert à satisfaire nos besoins, et pas à satisfaire des marchés. Il est aujourd’hui nécessaire de passer à un nouveau mode de développement qui donne la primauté à l’homme. Il faut concevoir et inventer collectivement une économie solidaire de partage, plus social et plus écologique.

François Baudin



mercredi 22 janvier 2014

Philosophie et vérité







22 janvier 2014

Philosophie et vérité



L’objectif de cette conférence est de partager avec vous ma démarche philosophique. Expliquer en quoi elle peut être novatrice.

Dans un premier temps je vous présenterai la question initiale de mon travail qui est celle de la vérité.
J’expliquerai pourquoi cette question se pose de manière différente pour un scientifique et pour un philosophe. Qu’elle soit considérée comme dure, ou molle, la science porte son regard sur les choses en tant qu’objet mis en rapport avec soi, sa pensée, sa raison ; objet qu’on analyse ensuite. En revanche je considère que la philosophie s’intéresse aux choses dans leur entièreté dont on fait l’expérience.

J’essaierai ensuite d’expliquer pourquoi seule la philosophie est en capacité d’apporter des éléments de réponse à cette question de la vérité lorsque l'on fait l’expérience de quelque chose.

Considérer que la philosophie s’intéresse aux choses dans leur entièreté dont on fait l’expérience, nécessite de la définir auparavant comme :

Tentative de re-présenter l’être reçue, entendue, portée lors de l’expérience des choses du monde.

Cette définition amène immédiatement les questions suivantes :
Qu’est-ce que l’être ?
Qu’est-ce que l’expérience des choses ?

Voilà deux questions qui se posent lorsque l'on définit la philosophie comme une tentative de représenter l’expérience de l’être que l’homme entend lors de l’expérience des choses.

L’être est ce qu’on peut également appeler le sens ou la vérité portée par toutes choses dont l’homme fait l’expérience.

Expérience et entente de l’être deviennent alors des sujets pour la philosophie.

Les questions soulevées par ces sujets (expérience et entente de l’être) sont radicalement différentes de celles abordées lors d’une démarche scientifique.
Alors que la science prétend à la vérité par son discours qu’elle fait sur les choses, est-il possible et même légitime de dire que la philosophie, lorsqu’elle porte son intérêt sur l’entente de l’être réalisée lors de toutes expériences de quelque chose, est une autre forme d’approche de la vérité plus radicale, plus fondamentale?
Nous répondons oui à cette question : l’approche philosophique de la vérité est plus fondamentale et radicale que l’approche scientifique. Je m’efforcerai au cours de cette conférence d’en expliquer les raisons.

Dans la dernière partie de cette conférence je tenterai donc une approche différente de la vérité.

En m’appuyant sur Aristote qui situe l’étonnement et l’admiration à la source de tout questionnement et de toutes activités philosophiques et scientifiques, j’essaierai de savoir pourquoi l’homme éprouve ces deux sentiments : étonnement et admiration ; et pourquoi on peut situer ces deux sentiments à la source de toutes les démarches de recherches ?

Cet étonnement ou cette admiration nous appellent vers le sens et le pourquoi.
Ces deux sentiments arrivent à l’instant de l’expérience. C’est l’expérience de quelque chose qui provoque chez l’homme étonnement et admiration.
La question de l’expérience est donc à nouveau posée. Quelle est cette expérience ? De quoi elle est constituée ? Comment elle se passe ?
L’expérience de quelque chose, et l’entente du sens que cette même chose porte, sont alors des sujets philosophiques par excellence.



1

La question initiale de mon travail est celle de la vérité.

La problématique de départ de mon travail philosophique doit être située dans l’unique question de la vérité.
La question est très simple : Qu’est-ce que la vérité ?
Cette question est une des plus banales et peut-être des plus courantes que l’homme se pose. On peut penser qu’elle concerne tous les hommes.

Dès qu’on prononce le mot vérité, par exemple dans les expressions suivantes « je dis la vérité », « voilà la vérité », « ceci est la vérité » etc, immédiatement c’est comme si une difficulté se dressait devant nous. Le mot vérité est sujet à controverse. Il suscite un débat car l’interlocuteur à qui vous parlez ne vous croit pas toujours, il doute et remet en cause ce que vous dites. Il pense et juge autrement, il n’a pas vu les choses d’une même façon. Il les a vécues de son point de vue. Et pour lui la vérité est différente.

Ce qu’on appelle vérité est donc problématique, car à partir d’une même donnée, on peut aussi bien affirmer ou nier.
La vérité, par exemple d’un évènement, d’un fait, des choses qui nous entourent, nous interpelle en permanence, car il est évident que sur tous les évènements, sur tous les faits qui se présentent, les avis divergent. Les discours, les représentations divergent... « Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà », écrivait Pascal (pensées – 294).
La vérité à un instant donné(e) est relative à chacun, à son propre point de vue, à son expérience, à son jugement.
Et un même individu peut voir les choses différemment au cours de sa vie. Son point de vue change, son jugement évolue.
C’est une constatation courante.
Je me suis sans cesse questionné sur ce point.

Il y avait là pour moi une difficulté à résoudre, car si la vérité est relative à l’individu qui la dit, cela signifie tout simplement qu’il n’y a pas de vérité dans les choses. Qu’elle est relative à chacun et parfois arbitraire. Auquel cas, il ne sert à rien de vouloir prétendre la dire puisque l'on a toutes les chances d’être contredit, de s’être trompé, de changer d’avis ; et le plus souvent il est préférable de se taire.
Je ne pouvais me résoudre à une telle conclusion. Je me suis donc proposé comme tâche de répondre à la question : y a t il une vérité ?

En revanche ce qu’on appelle vérité scientifique semble être partagée par la communauté des savants. La vérité scientifique a vocation à l’universalité. C’est ce qui pourrait la caractériser : cette vocation à l’universalité !
Voilà une autre constatation.
La vérité scientifique ne pose pas de difficulté. Elle n’est pas problématique. Elle est partagée par tous universellement.

Mais il est encore une autre constatation : la science peut revoir, dans le temps, ses théories et porter un discours scientifique différent sur le mêmes phénomènes à travers le temps.
Où est la vérité lorsque le discours scientifique évolue, alors que les phénomènes se répètent ?
Vérité aujourd’hui, erreur hier. Ce n’est pas la même chose de dire vérité au-delà des Pyrénées, erreur en deçà, et vérité aujourd’hui, erreur hier. L’une des affirmations est relative à l’espace, l’autre au temps. Mais aucune n’est universelle.
Comme on dit, le discours scientifique progresse. La science progresse du point de vue de la vérité et relativement au temps. On pourrait dire : relativement au temps de la recherche, relativement au progrès techniques, à la précision des instruments de mesures, à l’invention de nouveaux instruments, etc.
Mais si elle progresse toujours et encore, c’est que la vérité n’est pas atteinte en plénitude. Elle reste une cible à atteindre qu’un archer toujours un peu maladroit tenterait de toucher et y réussirait de mieux en mieux à travers le temps grâce à son habileté et grâce au perfectionnement de son arc. Mais la cible et son cœur ne sont toujours pas atteints. Le seront-ils jamais ?
Elle semble plutôt reculer au fur et à mesure qu’on avance.
Aussitôt la même question se pose : y a-t-il une vérité ?

La question de la vérité revient en permanence et reste toujours à résoudre.

La question peut se résumer de cette façon :
-         D’une part si la vérité est relative à l’individu qui l’énonce, on peut dire qu’il n’y en a pas.
-         D’autre part s’il n’y a de vérité que scientifique, une de ses caractéristiques et non des moindres est qu’elle peut être remise en cause, qu’elle peut progresser à travers le temps. En définitive elle reste un objectif inatteignable.


Je ne pouvais me résoudre devant l’alternative suivante :

-         soit dire qu’il n’y a de vérité que relative à l’homme, rejoignant ainsi la fameuse phrase du philosophe grec Protagoras  « l’homme est la mesure de toutes choses ». Mais dire que l’homme est la mesure de toutes choses, c’est sous-entendre que les choses en elles-mêmes n’ont pas de vérité, bien qu’elles soient mesurables, calculables, explicables.

-         soit dire que la vérité relève du discours scientifique. Discours toujours remis en cause en fonction des travaux de recherche et des progrès dont on ne voit pas la fin. Ce qui signifie aussi que le discours sur les choses et qui tente d’en rendre compte totalement, entièrement, n’est jamais définitif.

En fait les deux branches de l’alternative peuvent n’en faire qu’une. Soit on considère que les choses n’ont aucune vérité en elle-même, soit on considère que cette vérité est inatteignable. Dire que les choses n’ont aucune vérité en elle-même ou dire que si elles en ont une, celle-ci est inatteignable, est une manière identique de renoncer à la vérité. Soit on renonce à la vérité en disant qu’il n’y en a pas, soit on renonce à notre capacité de l’entendre ou de la découvrir.

Je ne pouvais accepter cette alternative qui pour moi avait deux conséquences :
-         situer l’homme comme donateur ou créateur du sens. Donateur ou créateur de vérité, que la formule de Protagoras résume bien. (L’homme mesure de toutes choses)
-         et donc renoncer à la vérité des choses en elles-mêmes.

Les enjeux de cette problématique de la vérité sont considérables. Les conséquences très importantes pour l’humanité. Car si l’homme pense qu’il est l’unique donateur ou créateur du sens, il se situe de facto au centre de son environnement et celui-ci est à sa disposition.
Si l’homme pense qu’il n’y a que le discours scientifique qui est vérité, mais que ce discours est de fait provisoire, la vérité devient elle aussi provisoire.

Dans ces conditions, j’ai pensé qu’il fallait impérativement s’intéresser au concept même de vérité. Qu’est-ce que « la vérité en elle-même », ce que certains philosophes ont appelé « essence de la vérité ». En sous-entendant que si on peut répondre à la question de la vérité en elle-même, et dire ce que pourrait être son essence, on peut répondre à toutes les questions relatives à la vérité de quelque chose, quel que soit le temps et l’espace considéré. Y compris aussi la vérité scientifique.

Mes hypothèses de travail peuvent se résumer ainsi :
-         Si on arrive à dire ce qu’est la vérité en elle-même il devient possible de répondre à la vérité ou à la non vérité des choses qui nous entourent et donc on peut soit accepter ou refuser la thèse relativiste
-         Si on arrive à dire ce qu’est la vérité en elle-même, il devient possible de ne plus considérer qu’elle est provisoire comme peuvent l’être les vérités scientifiques.
-         Si on arrive à dire ce qu’est la vérité en elle-même, il est clair alors que l’homme doit se situer par rapport à elle, et donc renoncer à se considérer comme le centre donateur de sens, mais au contraire qu’il doit se décentrer et s’inscrire dans un système plus vaste dont il fait partie.

Et c’est justement cette façon d’aborder la question de la vérité en elle-même qui est philosophique. Que je qualifie de philosophique. Car seule la philosophie s’intéresse en définitive à cette question de la chose en elle-même.

Pourquoi ce qu’on désigne comme « soi même » est-il philosophique ? Qu’est-ce que le soi-même de quelque chose, l’objet en lui-même, la chose en elle-même, l’homme en lui-même ?

Pour un scientifique, la question du « soi-même » ne se pose pas.
Le scientifique considère toute chose en tant qu’objet situé devant lui et par rapport à lui, et mis ainsi en rapport. Chose mis en objet que le scientifique va analyser, diviser en ses multiples parties, sous-parties et liens entre elles, et dont il va étudier le fonctionnement ; étudier les liens et lois qui gouvernent les parties entre elles. Ces lois devant être universellement observées en tout temps et en tout lieu.
Le fait de pénétrer ainsi dans les différentes parties et relations d’une chose, dans les interactions et échanges avec d’autres choses, et de savoir comment tout cela fonctionne, s’appelle connaître. Le verbe connaître correspond bien dans ce cas à la définition courante d’un savoir sur quelque chose.
Mais quelque chose de bien défini et délimité au préalable et quelque chose qu’on divisera ensuite en parties différentes. La connaissance vérifiée de ce quelque chose considérée en ses parties et relations sera appelée connaissance vraie ou vérité.

Dans ce cas la définition de la vérité sera celle d’une adéquation entre
1.     une théorie, une hypothèse, un énoncé ou un discours quelconque,
2.     avec la chose dont on parle, à propos de laquelle on a formalisé une théorie,  élaboré un discours, énoncé des hypothèses.

Mais une chose qu’on a considéré en ses parties et ses relations. Vérité (discours, hypothèse, théorie, énoncé) re-confirmée ensuite lors d’une expérimentation si cette expérimentation est possible. Ainsi une expérimentation qui se réalise in vitro ne vérifie pas la chose et son fonctionnement, mais vérifie l’hypothèse, l’énoncé, le discours, la théorie qu’on en fait à un instant donné et relativement à des instruments et des mesures. (Cela a été bien analysé par Henri Poincaré dans l’ouvrage intitulé Sciences et hypothèses).

Lorsqu’il s’agit des sciences humaines, le travail de recherche est identique, le processus est identique. Il s’agit toujours de définir son objet, puis de le diviser en parties et sous parties selon des hypothèses, des catégories ou des concepts et d’en analyser les liens, les relations ou les lois. La différence principale avec les sciences physiques se situe dans l’impossibilité d’effectuer une expérimentation ultérieure. Donc l’impossibilité de formaliser une loi universelle, même si beaucoup le souhaiteraient.

Pour ce qui concerne la vérité scientifique (même si cette science est qualifiée de « molle », si elle est science humaine non universalisable) la question initiale de la chose en elle-même considérée dans son entièreté en tant qu’entièreté est donc différente. Elle ne se pose pas en réalité.

Est-ce que ce qui est nommé vérité scientifique est la vérité de quelque chose considérée en elle-même dans son entièreté ? Non !
La vérité scientifique correspond à une conception particulière de la vérité. Cette conception tend à dire que la vérité se trouve dans le discours qu’on fait et non dans la chose dont on parle et qu’on considère en elle-même.

Cette conception est-elle relative à la vérité en elle-même ? On peut à nouveau répondre non.
Un scientifique ne se pose pas cette question de la vérité en elle-même.
De plus la connaissance scientifique est quelque chose de définissable clairement comme nous venons de le voir. Ajoutons que la science, qui est toujours science de quelque chose d’autre qu’elle-même, n’a que faire de cette question de la vérité en elle-même et de la chose en elle-même.

Et le fait que la science est science (savoir) de quelque chose d’autre que d’elle-même change toute la problématique, puisque alors elle n’a plus à s’interroger sur la chose en elle-même qu’elle observe, mais elle s’interroge sur les rapports de cette chose avec d’autres, sur ses parties et sous-parties, sur ses liens, ses causes, sur son comment, sur les lois internes qui la gouvernent et la font devenir ainsi et pas autrement. En définitive, la science ne se pose pas la question de l’existence de la chose qu’elle étudie, mais elle se penche sur les causes de cette existence, en situant cette chose relativement à un temps et un espace.

On est dans le domaine de l’explication, mais l’explication de quelque chose n’est pas la chose mais justement son explication. En plus, on s’aperçoit qu’on n’en a jamais fini avec l’explication. Au plus loin et au plus petit qu’on remonte il y a toujours une explication à trouver. C'est-à-dire un pli offrant un nouveau dépliement possible, une nouvelle simplification. Une explication.
L’horizon recule au fur et à mesure qu’on avance. On n’en a jamais fini de cette entièreté qui apparaît comme chose nouvelle qu’on peut à nouveau diviser, analyser, découper en parties et sous-parties. Chose ou phénomène qui apparaît comme un pli toujours divisible et en relation avec d’autres. Cette entièreté d’existence de quelque chose est toujours pli et relation.

Donc la question de la vérité comme adéquation d’une proposition, d’un énoncé, avec la chose énoncée continue de se poser.
Même si la communauté des savants est d’accord sur les explications, cet accord est souvent provisoire comme nous l’avons dit au début. D’autres hypothèses arrivent, d’autres théories sont mises en avant, d’autres axiomes, d’autres mesures, d’autres instruments, d’autres concepts sont utilisés qui remettent en cause le discours (scientifique) précédent. Donc la question de la vérité continue encore et toujours de se poser.
La science nous laisse sans réponse définitive, mais nous offre des réponses provisoires qui peuvent être remises en question.

Voilà en résumé la raison pour laquelle j’ai pensé que seule la philosophie pouvait répondre à cette question de la vérité.

De plus on continue d’observer à chaque instant que les hommes ne sont pas d’accord entre eux sur les choses qui les entourent ? Ils en font des analyses différentes, ils sont d’avis contraire, les opinions divergent, s’opposent. Et de ces désaccords peuvent naître des conflits. On le voit tous les jours.

Et nous aussi, nous sommes embarqués dans des choses qui changent en permanence. Nous sommes embarqués dans ce que les Anciens (Héraclite) ont nommé un flux. D’ailleurs par rapport à ce flux, si on en fait le calcul, (car une des caractéristiques de ce flux est qu’il est mesurable, mathématisable, comme toutes autres choses), il est bien évident alors que ce sera le calcul qui deviendra la vérité (universelle) du flux. Le flux selon Aristote c’est l’accident ; et le calcul (qui tend vers l’universel) qu’on en tire sera sa vérité.

Et puis nous aussi nous changeons. Nous sommes flux changeant. Il arrive même que nous ne soyons pas d’accord avec nous-même. Et tout cela influe sur notre manière de nous voir et de voir les choses qui nous entourent.

Il est évident que tout cela aura de grandes conséquences sur nos actions.
Donc la question qui est liée à la vérité, est celle de nos actes : comment les légitimer, les fonder ?
Est-il même possible de les fonder si nous n’avons pas répondu à la première question : qu’est-ce que la vérité ?
Sous-entendant que chacun de nos actes ne peut être légitimé que s’il est fondé en vérité.
 Alors, la question qui arrive à cet instant peut être résumée de cette façon : Sur quoi fonder une morale ?

On voit bien que nous sommes d’emblée dans des questions d’ordre philosophique. La philosophie s’est intéressée depuis toujours à tous ces sujets.
 Pour trouver des réponses à l’ensemble de ces questions, j’ai commencé à lire de la philosophie. J’ai pensé que seule la philosophie pouvait m’être utile sur ce point.

J’ai lié la philosophie à cette question de la vérité en elle-même. Qu’est-ce que la vérité ? Qu’est-ce que la philosophie ? Espérant y trouver les fondements, le sens, les raisons, le pourquoi de nos actes et plus globalement les fondements, le sens, les raisons, le pourquoi de l’ensemble des choses qui nous entourent lorsqu’on les considère dans leur entièreté.


La question de l’entièreté de quelque chose s’est toujours posée. Qu’est-ce qu’une chose ?

La fréquentation assidue des textes philosophiques et le dialogue intérieur renouvelé avec les philosophes ont pu en maintes occasions apporter quelques éléments de réponse à cette question initiale de la vérité, apporter des éclaircissements à la série de questionnements qui se présentaient au fur et à mesure de mes réflexions. Cela est certain. 
Cette fréquentation des textes philosophiques comme celle d’ailleurs d’autres textes, notamment des textes de vulgarisation scientifique, ou des textes relatifs aux sciences humaines, cette fréquentation assidue, donc, m’a mis dans l’état d’un homme qui avance sur un chemin dont il ne voit jamais la fin, comme le scientifique ne voit pas le bout de sa recherche.
De plus ce chemin que je qualifierai de philosophique n’est pas véritablement balisé, il est fait de retours en arrière multiples, de relectures du même texte, de découvertes nombreuses, émerveillant parfois mon esprit ; fait de clairières, mais aussi d’ornières, de fatigues, de doute et d’hésitation ; il est aussi chemin à défricher où rien n’est acquis. Il est chemin de transformation. On voit également que ce chemin philosophique n’est pas celui d’un progrès, car les questions soulevées il y a plus de 2000 ans par ceux qui ont inventé la philosophie en Grèce, continuent de se poser d’une même façon.
 Souvent on pense être arrivé au port, et puis comme l’a écrit Leibniz, on est rejeté en pleine mer.

C’est en marchant qu’on trouve son pas sur ce chemin philosophique, mais en même temps la lecture des textes comme l’expérience concrète des choses qui l’accompagne en réciprocité, est une nourriture qui nous permet de continuer notre marche et aussi une nourriture qui nous transforme.
Ainsi la nourriture philosophique nous transforme.
Et si on ne peut rien faire de la philosophie, c’est elle en quelque sorte qui fait quelque chose de nous. Voilà peut-être en quoi la philosophie pourrait nous être utile. La philosophie est une pratique personnelle qui nous transforme.

On s’aperçoit à travers tout ce qui vient d’être dit que (selon moi) la philosophie relève d’un autre domaine que celui de la science. Elle est plutôt de l’ordre d’un cheminement intérieur portant sur l’être.


2

Aristote avait défini la philosophie comme étant la science de l’être en tant qu’être. J’ai réfléchi longuement à cette définition proposée par Aristote.
Qu’est-ce que l’être ?
Qu’est-ce que l’être en tant qu’être ?
Et pourquoi Aristote emploie-t-il le mot science : science de l’être ?

Rapidement, on peut penser que la science dans sa définition habituelle est plutôt la science de l’étant. La science de ce qui existe en tant qu’étant. De ce qui est présent en tant qu’étant. Quel mot barbare que celui d’étant, que seuls les philosophes utilisent !

Qu’est-ce aussi que l’étant ?
Et l’être, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que l’être ?

Si on n’a pas répondu à ces questions de l’être, de l’étant et de leur différence, de la nature de leur différence, on ne sait pas de quoi on parle. Car si Aristote parle de l’être en tant qu’être c’est pour le différencier de l’étant qui renvoie dans son esprit à des domaines particuliers de l’être. L’étant c’est ce qui est là présent : étant présent. Le mot étant est un mode particulier du verbe être. Etant est le participe présent de être. L’étant participe de l’être au présent. L’étant c’est l’ensemble des choses présentes et qui se présentent. C’est donc aussi les phénomènes, naturellement venus au monde ou créés artificiellement par l’homme.

Et puis Aristote utilise le mot science, science de…Science de l’être en tant qu’être !
Est-ce possible que l’être soit un objet scientifique au sens où Aristote utilise le mot science (comme savoir universellement partagé) ? Pour l’étant présent on comprend bien qu’il est possible qu’il devienne objet d’une science. Science qui en étudiera les modalités d’existence, les évolutions, les causes, les lois internes qui le gouvernent et font qu’il est ainsi et pas autrement à l’instant où j’en fais l’expérience.
Mais l’être ! Peut-il devenir un objet et qui plus est un objet d’étude de type scientifique.
L’être comme ob-jet, c'est-à-dire quelque chose qui a été placé devant soi et qu’on analyse ; quelque chose avec lequel on instaure un rapport.
A un moment de ma réflexion, j’ai fait l’hypothèse qu’il n’est pas possible que l’être soit l’objet d’une science. Ce fut une intuition de ma part.
L’être tel que je l’ai pensé peu à peu, ne peut pas être un objet. Ne peut pas être mis en objet. Une chose jetée devant soi et ob-servé.
Et dès qu’on veut faire de l’être l’objet d’une science, il échappe et devient quelque chose. Un étant.

En revanche l’être est entendu lors de toutes expériences. Cette proposition fut aussi une intuition.
Que signifie cette proposition : L’être est entendu lors de toutes expériences ?
Cela veut dire trois choses :
-         le sens est entendu,
-         il a cette puissance d’être entendu.
-         et l’homme a également la puissance de l’entendre.

Que signifie le mot ou le concept de sens ? Que recouvre-t-il ? Le mot (concept) sens peut être remplacé par d’autres mots (concepts) : idées, informations,… ou vérité. Le sens est quelque chose d’immatériel livrée lors de l’expérience qu’on fait de cette même chose et qui a besoin d’être matérialisé pour être livré. (Aujourd'hui quelques électrons suffisent pour matérialiser le sens qu'on souhaite communiquer).

Mais comment le sens de quelque chose est-il communiqué ? Que se passe-t-il ? Quelle est cette puissance de communication, de transmission ? Comment s’effectue cette transmission du sens ? (émission ↔ réception )
Et aussi pour ce qui concerne l’homme : quelle est cette puissance d’écoute de l’être ? D’écoute du sens. Où se réalise-t-elle ?
Voilà une nouvelle série de questions.

Il faudra alors se pencher sur l’expérience et sur l’entente de l’être. Qu’est-ce qu’une expérience ? Qu’est-ce que faire l’expérience de quelque chose ? Et quelle connaissance est produite par cette expérience ? Il est évident que cette connaissance n’est pas d’ordre scientifique, mais d’ordre "expérientielle".

Par contre pour ce qui concerne l’étant, (la chose existante) il est possible d’instituer un rapport avec, de le mettre en objet : il est possible que l’étant soit l’objet d’une science au sens où nous en avons parlé tout à l’heure.
Penser la différence entre l’être et l’étant devient alors une des tâches primordiales de la philosophie.

L’être en tant que sens de quelque chose renvoie-t-il à l’en soi tel que nous en avons parlé au début ? La chose en soi. La chose en elle-même.
La chose en elle-même et l’être de la chose sont-ils identiques ?
L’être de quelque chose est sa vérité, alors que son entièreté est la chose elle-même.
Il faut différencier être et entièreté d’une chose. Être et chose en elle-même.

J’ai fait l’hypothèse que l’être de la chose et la chose en elle-même ne sont pas identiques. La chose en elle-même reste la chose, c'est-à-dire un étant considéré dans son entièreté et son unité et dont une des propriétés essentielles est de pouvoir porter son propre sens à chaque instant de son devenir.
L’être de cette chose est différent : il est selon moi le sens qu’elle porte et la puissance qu’elle a de la porter.
J’en suis donc arrivé à cette proposition que être et entièreté, être et totalité devaient être distingués.

Ce questionnement sur l’être, en le distinguant de l’étant va m’amener véritablement sur le chemin de la réflexion philosophique. En fait mon travail principal se situe dans cette question : qu’est-ce que l’être ?
Un chemin nouveau s’est ouvert. Une manière nouvelle de faire de la philosophie. La philosophie devenant alors une approche des fondations. La philosophie comme devant nous permettre de fonder nos actions, de fonder une morale. Cette fondation est réalisée sur l’entente de l’être.
La philosophie nous parle de l’homme dans sa capacité qu’il a d’entendre l’être à l’instant de l’expérience de toutes choses.



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Mais Aristote nous dit également à certains endroits de ses textes que la philosophie est née un jour de l’étonnement et de l’admiration. Qu’est-ce que cet étonnement qui serait à la source du cheminement philosophique selon Aristote ?
J’ai réfléchi également très longtemps à cette proposition du Stagirite.
L’étonnement c’est quoi ? L’étonnement se produit quand quelque chose arrive soudainement et qu’on n’attendait pas.
L’admiration se produit quand saisi par quelque chose, notamment par ce que l’homme va nommer la beauté de cette chose, il est en quelque sorte médusé, en arrêt, et sur le coup incapable de penser.

Pourquoi ces deux sentiments que tous les hommes partagent, sont-ils placés par Aristote à la source de l’activité philosophique ?
J’étais moi-même étonné par cette proposition d’Aristote. Mais étant étonné, je me suis immédiatement rendu compte que cet étonnement me mettait en chemin. L’étonnement m’appelait vers le pourquoi, vers le sens. Cet étonnement m’emmenait vers l’action, dont une des modalités, et non des moindres, est celle de penser.

Pourquoi cet étonnement, d’où vient-il ? Qu’est-ce qui fait que je suis étonné ?
Qu’est-ce qui fait que j’admire ce que je nommerai ensuite beauté et même bonté.

Je pense avoir trouvé une réponse à ces questions en travaillant sur le principe d’identité et en le distinguant du principe de raison qui serait fondé par lui.
Le principe de raison arrive en second par rapport au principe d’identité qui est premier. Toute relation, tout échange comme toute existence sont fondés sur le principe d’identité.
Le principe d’identité peut être défini de cette façon : toute chose en elle-même est identique à elle-même en son présent. (A identique à A). Il ne faut pas confondre le principe d’identité avec le principe de non contradiction défini par Aristote qui dit qu’ « Il est impossible qu’un même attribut appartienne et n’appartienne pas en même temps et sous le même rapport à une même chose » 

Lorsque le principe d’identité est mis à mal, c'est-à-dire lorsque l'on ne re-connaît pas quelque chose dans son entièreté, la première réaction est d’en être étonné, et ensuite de se demander pourquoi, de trouver les raisons pour lesquelles nous ne l’avons pas reconnue immédiatement et pourquoi cette chose est-elle devenue différente alors qu’elle est restée également la même, puisqu’en définitive elle est reconnue comme tel, qu’elle envoie le même sens.
Qu’est-ce que cette différence, comment s’explique-t-elle ?
Qu’est-ce que le même qui persiste et au final me permet de reconnaître cette chose comme identique.
Il faut trouver les raisons.
Le principe d’identité mis à mal à l’instant de l’expérience de quelque chose qu’on ne reconnaît pas me conduit vers le principe de raison qui dit que toute chose a sa raison qui explique pourquoi elle est ainsi, pas autrement et en même temps toujours la même.

Pourquoi l’émerveillement, l’admiration ?
La réponse est identique, sauf que dans ce cas d’émerveillement le principe d’identité est confirmé lors de l’expérience unifiante avec cette chose. Et c’est cela qui nous émerveille. Ce qui nous émerveille c’est la réalisation au sein de l’expérience de cet instant d’unité entre nous et la chose dont on reçoit le sens. L’instant de l’expérience est une unité réalisée.

La philosophie s’intéresse au sens, au pourquoi. Et si elle s’intéresse au sens, elle doit obligatoirement s’intéresser à ce qui nous met en chemin vers le sens et en chemin vers le pourquoi ; donc elle doit s’intéresser à l’étonnement initial. A ses raisons.

Voilà en résumé ce qui m’a mis sur le chemin de la philosophie.

Ce fut, si on y pense, une expérience toute personnelle de lecture et principalement une expérience de vie, ce que les Allemands appellent : erlebnis ; expérience partagée par tout le monde, expérience de lecture, d’étonnements divers et renouvelés et d’admiration que la vie nous procure à chaque instant.

Voilà le cheminement personnel qui est celui d’un questionnement occasionné par des expériences, des rencontres.

Dans ce cheminement on est loin de la définition de la philosophie comme activité rationnelle qui crée des concepts, tel que cela avait été proposé par Gilles Deleuze.
La philosophie est plutôt pour moi un chemin de libération.
Une nourriture quotidienne qui me permet d’avancer et de me libérer des questions. Une voie de délivrance. Bien sûr les concepts resteront des outils, parfois d’une très grande puissance, qui me permettront d’avancer, mettre de l’ordre dans mes idées, dans mes pensées et répondre parfois à des questions et donc me libérer au cours du cheminement.

Mais quelle ne fut pas ma surprise lorsque je découvrais que les concepts pouvaient nous empêcher de voir, d’entendre, et pouvaient nous masquer les choses, nous empêcher de vivre pleinement une expérience ; que les concepts nous invitaient en quelque sorte à vivre l’expérience de quelque chose sans étonnement ni admiration.

1.     Se pose alors la question de la nature qui est qualifié de flux qui vient et aussi vite s’en va ; flux que nous vivons dans l’expérience des choses. Flux qui provoque tant d’étonnements mais aussi parfois nous émerveille dans ses instants présents.
2.     Se pose ensuite la question du lien - relation et des rapports de l’homme avec la nature. Du lien et des rapports des hommes entre eux.
3.     Se pose alors la question de la différence entre lien et rapport. Entre relation et rapport. 

-         Le rapport institue un lien de subordination entre le sujet et l’objet posé et rapporté, une mise à distance, un enfermement et une division au sein de l’objet.
-         Les liens permettent la poursuite du devenir.
Voilà deux thèses que je me suis proposé de travailler.

Les concepts nous situent dans un rapport relativement aux choses, car la chose mise en objet est mise en question par le concept, (c’est le but même du concept de mettre les choses en question et de les interrogeer en fonction du même concept), alors que l’expérience des choses nous met en relation, en lien. Ou encore en liens relationnels.
Ce que j’appelle liens relationnels peut se nommer aussi interactions et encore échanges. L’interaction (relation, échange) concerne toutes les choses quelles que soit leur taille, leur dimension, leur modalité d’existence. Les choses justement existent en étant en relation. En étant relation. Exister signifie être en relation.

Les liens relationnels sont des liens de réciprocité, d’interdépendance et d’échange, même si ces échanges ne sont pas égaux. Ils produisent le devenir de toutes choses. Ces échanges produisent leur changement et leur maintien en tant que même.

Et ces liens relationnels sont ce qui permet la poursuite du un. Ces liens relationnels produisent du un et donc le poursuivent. La poursuite du un en tant qu’entièreté peut être nommé son devenir.

Alors que la mise en rapport est justement un rapport qui crée une distance, sépare, divise en parties cette unité. Le rapport est du domaine du deux.

Qu’est-ce que ce lien relationnel ? Que permet-il ? : Il est échange.
Je me suis alors penché sur cet échange (interaction), de quoi il est fait ? Comment il se passe ?

Un autre nom pour ce que je viens de nommer interaction, échange ou/et lien relationnel, pourrait être le mot expérience. Le lien relationnel est une expérience que l’on fait lors d’une rencontre et dont l’homme a conscience.
Il est échange de quoi ?

Je peux maintenant répondre de manière fondamentale à cette question : de quoi l’échange est-il fait ?
Il est échange de puissance, de matière-énergie et de sens (information, idées,…). Mais la matière-énergie qui est déjà quelque chose de formé et en mouvement est elle-même échange de puissance, de matière (non formée) et de sens. Une réflexion sur la matière primordiale (ousia proté) non formée devint alors impérative.

Et de cet échange que va-t-il naître ?
De cet échange va naître le un et son devenir.

Voilà déjà beaucoup de sujets qu’il serait nécessaire d’aborder…

Posons nous aujourd’hui la question du devenir puisque l'on vient de prononcer ce mot ! Devenir : Se passe-t-il dans un temps déjà là et dans un espace déjà présent mais vide et où le devenir des choses prendrait sa place ? Ce qui signifierait que le temps et l’espace existent en dehors des choses en devenir et même avant elles.
La question de l’espace et du temps est soudainement posée. Y a t il temps ? Y a-t-il espace ?
Qu’est-ce que ce temps et cet espace hors devenir des choses  et prêts à l’accueillir?
A-t-il une existence ? Une existence qui serait séparée, distinguée des choses en devenir ?

Si le temps et l’espace n’ont pas d’existence en eux-mêmes, ils ne sont alors que des concepts permettant la représentation des choses, c’est à dire leur mise en rapport représenté et aussi mesuré, sous les concepts de temps et espace.
Cette conception de l’espace et du temps comme non existant, mais permettant le calcul du mouvement et de la position de chaque chose, je la dois en grande partie à Emmanuel Kant qui énonce que l’espace et le temps ne sont « ni des substances, ni des accidents ».
Mais contrairement à ce que dit Kant, pour moi, espace et temps ne sont pas des intuitions pures a priori de l’esprit humain (ce que dit Kant), mais ils sont des concepts que l’esprit humain produit après coup (a posteriori) à partir de l’expérience qu’il a des choses ; espace et temps sont des concepts permettant ensuite de mettre les choses en rapport, en objet ; permettant de les calculer, et ainsi prévoir en partie leur devenir, expliquer et prévoir leur mouvement et leur position.

C’est donc plutôt le devenir des choses qui serait la source originaire de ces concepts indispensables à toute représentation humaine. Et par ailleurs il est vrai que la mise en objet de toute chose, instaurant alors un rapport avec elle, nécessite de le faire sous les concepts d’espace et de temps.

Revenons donc maintenant aux concepts : A quoi servent-ils ?
Les concepts nous servent à instaurer un rapport avec les choses et avec les hommes. Ils instaurent une forme de domination et de soumission. Les concepts servent à mettre de l’ordre dans ce qui pouvait être considéré par l’homme comme désordre ; de l’ordre dans ce qui peut être considéré comme flux que certains nomment chaos.
Mettre de l’ordre dans la nature, comme si elle en avait besoin !

Les concepts sont le plus souvent situés là pour empêcher toute surprise, tout étonnement. Et je pourrais ajouter : certains sont là pour empêcher tout changement.
Ils vont contribuer à mettre de l’ordre humain dans la nature, la domestiquer, la dominer. Et ils vont contribuer à mettre de l’ordre et aussi de la domination dans les échanges entre les hommes. A les contrôler, les dominer et faire que cet ordre créé par l’homme sous le concept, se poursuive tel que cela est souhaité. (Cela a été bien montré par Marx dans son texte sur l’Idéologie allemande)

Ils vont faire que le chemin que nous débroussaillons devienne une voie large et sûre. Sans danger, sans étonnement et sans questionnement. Sans risque.

Mais aujourd’hui on voit bien les limites d’une telle conception. On voit aussi les dangers de poursuivre dans cette voie lorsque les questions liées aux rapports que l’homme a instauré avec son environnement (naturel) sont si fortement posées. Lorsque les questions liées aux rapports que l’homme a instauré avec l’autre homme, son frère, sont également si prégnantes.
Ne faut-il pas refonder autrement la place de l’homme dans son environnement et refonder autrement les liens relationnels qui unissent les hommes entre eux ?

Le fait que l’homme utilise et fabrique des concepts qui serviront à représenter les choses et aussi à les domestiquer, les dominer, devint alors une question essentielle dans mon cheminement.

Donc en réfléchissant à cette proposition de Gilles Deleuze qui énonce que la philosophie est l’activité qui crée des concepts, donc qui crée des vérités pour le monde, j’en suis arrivé à me poser la question de la place, des rapports, des liens et relations de l’homme avec son environnement, et aussi les rapports et des liens des hommes entre eux, lorsque tout cela est fondé sur les concepts qu’il est capable de créer.

Est-il possible de fonder autrement que sur des concepts, les liens et les relations des hommes entre eux, et les liens et relations des hommes avec la nature ?
Cette question reste essentielle dans mon travail philosophique.

Quelle est la place de l’homme dont une des grandes capacités est de fabriquer des concepts, des représentations, des discours ?

J’ai relu alors de manière critique Emmanuel Kant, notamment la Critique de la raison pure, et les deux autres Critiques (faculté de juger, et raison pure pratique) et d’autres philosophes qui le suivront. J’ai tenté de refonder autrement la position de l’homme comme animal raisonnable dont une des activités est de créer des concepts, (ce que Deleuze appelle l’activité philosophique) ; activité devant mettre ce même homme dans une position insigne vis-à-vis de son environnement.

J’ai revisité alors la philosophie de ce point de vue. Notamment Platon et Aristote, mais aussi les présocratiques (Parménide et Héraclite). Et vu en quoi la philosophie dans sa tradition occidentale a des responsabilités sur ce qui se passe actuellement dans le monde.
 C’est tout un travail de déconstruction de la philosophie que j’ai alors commencé et qui aujourd’hui est loin d’être terminé.
Lors de ce travail de déconstruction, la question de savoir ce qu’est la philosophie s’est posée de manière forte. Car si la philosophie n’est comme l’écrit Gilles Deleuze « ni contemplation, ni réflexion, ni communication », mais si elle est « l’activité qui crée des concepts » : à quoi peuvent servir ces concepts que la philosophie créerait sinon à mettre comme un écran entre les choses et nous, et aussi un écran entre les hommes à l’instant de leur rencontre, écran permettant de voir et vivre différemment les expériences que nous partageons au même instant.

Une réflexion sur les concepts se pose. Qu’est-ce qu’un concept et à quoi sert-il ?

Une autre réflexion s’impose : quel est l’objet de la philosophie ?

Nous revenons donc à la question de départ : qu’est-ce que la philosophie ? Et pourquoi en écrire ?

Oui pourquoi ?
Sinon pour déconstruire ce qu’elle a voulu être en partie depuis ses débuts : une activité visant à créer des concepts, dont certains sont susceptibles de mettre un écran humain entre les choses et parfois de poursuivre la domination de quelques uns sur d’autres.

Un des objets de ces trois premiers livres de philosophie (Philosophie et vérité, Discours et vérité (à paraître en avril 2014) et Être et vérité (à paraître en janvier 2015) devient alors évident à mes yeux : Je tente d’y expliquer que si la philosophie persiste dans cette voie de la création des concepts, elle est en quelque sorte condamnée à disparaître en tant que discipline particulière, disparaître devant la science, comme aussi devant les sciences humaines, les sciences politiques et économiques, dont les résultats sont bien plus efficients et utiles immédiatement pour l’homme (et aussi nuisibles).

Il faut sortir la philosophie de cette ornière dans laquelle elle était depuis si longtemps et la remettre là où elle est : lui redonner l’être en tant qu’être, ce que je nomme le sens, comme seule et unique préoccupation. Ce qu’Aristote, Platon et leurs prédécesseurs avait déjà entrevu dans certains de leurs textes.
Cette question de la philosophie comme entente de l’être ou entente du sens que les choses portent et dont nous faisons l’expérience, doit situer cette discipline au fondement de toutes nos activités humaines.
François BAUDIN



vendredi 17 janvier 2014

La confiance perdue



Un mot renvoie à un sens, mais pris isolément, le mot n’en a aucun en lui-même. C’est dans une phrase que le mot exprime le sens qu’on souhaite communiquer. Un mot prend sens dans une phrase, qui elle-même s’intègre dans un texte plus long.
Il en est de même pour ce que nous vivons personnellement : les choses dont nous faisons l’expérience prennent sens peu à peu, dans un contexte donné ; elles s’éclairent et deviennent d’un seul coup éblouissantes. Comme on dit couramment, la vérité éclate au grand jour. Elle a été dévoilée par les faits. Mais pour que la vérité des choses advienne, il a fallu un certain temps, une accumulation d’indices, des petits riens qui font qu’un jour plus rien n’est comme avant.

Prenons par exemple le verbe tromper et cherchons les synonymes qui sont très nombreux en français. Tromper signifie induire en erreur, mentir, dissimuler, ruser, aveugler, berner, duper, écornifler, etc. Des dizaines de synonymes sont utilisables pour exprimer cette idée et cet acte qui fait que quelqu’un se sent abusé par l’attitude d’un proche, d’un ami.
Que se passe-t-il alors ? D’un seul coup la vérité de l’être avec qui nous vivons éclate, et celui qui a été trompé se sent humilié, il perd définitivement confiance. Il peut être alors désespéré et tomber dans une dépression profonde, ne plus avoir le goût en la vie. Une colère peut naître en lui. La déception a été si grande. Lui qui avait confiance, ne sait plus quoi faire, quoi dire. Il voudrait disparaître.
Aujourd’hui, je pense à la souffrance de Madame Trierweler. A-t-on conscience que cette femme est en train d’être broyée par les attaches qu’elle a nouées avec le pouvoir et dont elle vit la violence dans sa chair. Nous ne sommes plus à Versailles, sous l’Ancien régime, lorsque la cour attendait que le roi décide entre sa nouvelle et son ancienne favorite.

Depuis le début de l’année 2014, on a véritablement l’impression que quelque chose a changé dans notre rapport avec le président. N’avait-il pas dit lors de la campagne électorale : « Moi président, je ferai que mon comportement soit à chaque instant exemplaire ». Et c’est comme si toute la confiance qu’on pouvait porter à un homme, avait été anéantie.

Doit on séparer vie privée et vie publique ?
On est en droit d’attendre que le pouvoir protège et même garantisse la vie privée de chacun. D’ailleurs on peut douter de cette protection de notre vie privée depuis les révélations d’Edward Snowden sur l’ampleur des écoutes téléphoniques dans le monde et notamment en France. Ecoutes qui ne peuvent pas se réaliser sans l’accord, au moins tacite, de ceux qui dirigent notre pays.
En revanche, ne doit-on pas exiger la transparence de la part du pouvoir ? Transparence dans les décisions, transparence dans les comportements. Seule cette transparence peut nous donner la confiance. N’oublions pas qu’une des caractéristiques de toute dictature est d’exiger la plus grande transparence vis-à-vis de ses sujets tout en conservant une opacité complète pour ceux qui gouvernent.

Quelque chose s’est définitivement rompu depuis quelques jours. Qui peut maintenant avoir confiance ? Les électeurs de mai 2012 qui assistent à ce qui est nommé en ce début d’année 2014 : « Le tournant libéral du président », doivent se poser cette question de la confiance. Car soit le président nous a trompé auparavant, soit il nous trompe maintenant.
En supprimant les cotisations sociales familiales, ne met-il pas en danger toute la politique sociale et familiale du pays ? On aimerait croire le président Hollande lorsqu’il nous dit qu’il n’en est rien, que la politique familiale ne sera pas remise en cause.
Le mot pacte a été utilisé à plusieurs reprises au cours des derniers mois : pacte de stabilité, pacte de compétitivité, et maintenant pacte de responsabilité.
Aujourd’hui nous avons plutôt besoin d’un pacte de solidarité.
Mais tout pacte, comme tout accord, nécessite pour être scellé que chacune des parties ait confiance en l’autre.

François Baudin