jeudi 30 mai 2013

Islam, République et laïcité



Islam, République et laïcité
François Baudin

30/05/2013

Lors de cette causerie, je vais essayer de démêler le lien entre la République française, l’islam et la laïcité. Ce travail est un travail historique. Il ne porte pas sur l’actualité, mais tente d’apporter en quelque dizaines de minutes, des éléments (je dis bien quelque éléments seulement) permettant de répondre à la question : pourquoi aujourd’hui les rapports entre notre république française laïque et l’islam restent difficiles.
Habituellement on répond : parce que l’islam ne peut pas opérer sa mutation lui permettant de s’installer définitivement dans la République. Sous entendant en quelque sorte qu’elle est incapable d’accepter la laïcité, même de la comprendre. L’islam alors est considérée dans sa globalité comme une religion intolérante. Et pour nous prouver cette assertion on donne en exemple des pays islamiques qui ne se caractérisent pas par leur tolérance religieuse.
Islam et laïcité semblent alors être deux choses totalement étrangères, voire contradictoires. La question est posée aux musulmans en ces termes : êtes vous capable de vous intégrer dans la laïcité ?
Cette manière de voir est partagée par la plupart des gens qui répondent non.

En fait dans cette conférence, je pose la question de manière inversée et j’interroge la république. Êtes vous et à travers l’histoire avez-vous été capable d’accepter l’islam en votre sein ?
L’idée est la suivante : avant de questionner la religion musulmane sur son rapport à la laïcité, j’interroge la république française laïque sur son rapport à l’islam.


Auparavant je vais exposer quelques principes relatifs à la laïcité.
Les hommes sont des êtres sociaux qui doivent vivre ensemble. Ils sont semblables et différents, uniques et égaux,  parmi eux certains croient en Dieu, d’autres sont athées.
Cette vie commune qui nous est imposée ou que nous recherchons, que nous souhaitons même parfois développer, doit nous être également garantie, assurée.
C’est le sens même de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : assurance à tous de la liberté de conscience et de l’égalité des droits.
Tel est le sens de notre contrat fondateur apte à fournir le cadre d’un état de droit.

Cette liberté de conscience exclut toute contrainte religieuse ou idéologique. L’égalité des droits est incompatible avec la valorisation d’une croyance religieuse ou la valorisation de l’athéisme. La puissance publique dont une des missions est d’organiser notre manière de vivre ensemble sera donc neutre et indifférente sur le plan confessionnel. Et cette neutralité qui est une garantie d’impartialité, est aussi la condition pour que chacun, quelle que soit sa croyance ou ses convictions, puisse se reconnaître dans la cité ou dans cette république, dont tous les membres se trouvent à égalité.

Voilà une première esquisse des principes de laïcité. Esprit de concorde qui définit la laïcité. Ce principe vise à la réalisation d’un objectif qui promeut ce qui unit les hommes en amont de leur différence spirituelle, religieuse, ethnique, culturelle.

Ce principe de laïcité exclut tout type de privilège et prévient ainsi la violence qui pourrait en résulter. Ce principe exclut tout type de fanatisme et d’intolérance. La justesse de ce principe est paradoxalement démontrée dans les faits, dans l’histoire, par les multiples oppressions auxquelles a conduit sa non-reconnaissance : régimes totalitaires et d’oppression qui prônaient et privilégiaient l’athéisme, notamment dans les anciens pays du bloc de l’Est et encore aujourd’hui en Chine, régimes qui ne reconnaissent qu’une seule croyance religieuse et ont à des titres divers inspirés les violences qui résultent d’une volonté de s’imposer à tous les hommes.
Le but ultime de la laïcité est bien le maintien et le développement de la paix, de l’égalité et de la fraternité entre les hommes ; des hommes qui deviennent alors des êtres de droit, des citoyens.

La question de la laïcité est aujourd’hui d’une brûlante actualité dans le monde et aussi en France. La question peut se résumer ainsi : Comment vivre les différences entre les hommes sans renoncer au partage des références communes ?
Question d’autant plus importante lorsque aujourd’hui en France le pluralisme des convictions peut dessiner des communautés exclusives, dont les membres sont aliénés à leur différence avec le risque d’affrontement communautaire que l’on peut très bien imaginer.

Voilà un des enjeux actuels. Car c’est en tant qu’homme et citoyen que les personnes ont des droits et non en tant que communauté.

Une telle esquisse du principe de laïcité prend la forme d’une évidence : ce qui n’est que de certains ne peut s’imposer à tous. Pour être acceptée, une telle évidence requiert deux conditions simultanées :
  • d’une part elle exige que la puissance publique soit dévolue à tous et mette ainsi en avant ce qui unit les hommes,
  • d’autre part elle implique que chacun apprenne à vivre la croyance qui lui tient à cœur de façon à en exclure fanatisme et intolérance.

Face aux intégrismes, à l’intolérance et au fanatisme, seule la laïcité permet d’assurer la paix en république. La laïcité reste le fondement indispensable de l’harmonie sociale et de l’unité d’une nation. La Laïcité distingue espace public et vie privée ; la laïcité garantit la liberté absolue de conscience.

L’appréhension de cette dimension ouverte et intrinsèquement positive de la laïcité souffre d’un malentendu, comme celui d’un amalgame erroné entre laïcité et hostilité à la religion.
La loi sur la laïcité n’est pas une loi répressive, mais au contraire une loi de liberté, une loi qui garantit la liberté en la fondant sur le principe de la neutralité de l’Etat républicain. La République ne reconnaît, ni ne finance aucun culte, par contre elle garantit le libre exercice de tous les cultes dans des espaces prévus à cet effet et dans le cadre de la loi.
La loi du 9 Décembre 1905, dite de séparation des églises et de l’Etat, est d’une très grande clarté sur ce point :
Art. Premier : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.
Art.2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes… »

Pourquoi aujourd’hui, plus de cent ans après la promulgation de la loi dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat, faut-il rappeler ces principes ? Que s’est-il passé en France ? Et comment en est on arrivé là ?
Je me souviens un peu de manière nostalgique qu’au cours des trente premières années de ma vie, aussi loin que je remonte lorsque je rencontrai quelqu’un, que je discutai avec lui, je n’avais pas en face de moi un juif, un chrétien, un musulman, un homosexuel ; mais j’avais tout simplement un homme. C’était avec un homme ou une femme, peu importe, que je parlais. C’était quelqu’un comme moi, mais qui parfois n’avait pas les mêmes idées que moi. Et c’était bien. De nos échanges de notre dialogue pouvaient naître un peu de lumière.
Et puis les choses ont changé peu à peu. Il fallait que l’on sache si la personne était musulmane, chrétienne ou juive, laissant l’homme, son humanité, dans l’ombre. Nous n’étions jusque dans les années 1970 ni juifs, ni musulmans, ni homosexuel, ni hétéro sexuel, nous étions tout simplement des hommes.
Les plus jeunes n’ont pas connu cette époque qui va des années 50-60 aux années 70. Que s’est-il passé dans notre pays, dans notre République ?

La question actuelle est celle de l’islam.
La question posée en permanence est celle de l’intégration de l’islam dans la République, avec sous-entendu que cette intégration est impossible. Que dans l’essence même de l’islam, la laïcité est quelque chose d’impossible. Que jamais l’islam en France ne pourra accepter nos lois. Nous accueillons ce type d’arguments non fondés comme une vérité d’évidence que l’actualité quotidienne viendrait confirmer en permanence.
L’Islam est-il soluble dans la République ?

La religion catholique a mis plus d’un demi-siècle à accepter la loi de séparation. Il a fallu deux guerres : l’union sacré dans les tranchées en 14-18, la Résistance en 40-44 aux côtés des communistes, des socialistes, des républicains et des gaullistes, des croyants et des athées pour que cette loi soit acceptée par l’Eglise qui en définitive y trouve son compte comme elle le dit souvent. Dans les maquis du Vercors ou d’ailleurs, ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas étaient unis dans un même esprit. Le poète communiste Aragon l’a rappelé magnifiquement.

La Rose et le Réséda
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
………………………………………………………….
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas

Alors certains hommes de bonne volonté se disent qu’il faudra du temps à l’islam en France pour accepter la laïcité. Qu’un long travail d’éducation est nécessaire pour que cette religion qualifiée alors d’obscurantiste, intègre ce que l’on désigne comme modernité. Il faut rappeler que dans les tranchées de 14, sur le front en 1944 et dans l’Armée du général Leclerc de l’Italie jusque sur les bords du Rhin, comme en mai et juin 1940, de très nombreux arabes, musulmans pour la plupart, sont morts au combat.

Cependant, pour un grand nombre de nos concitoyens cela ne suffit pas, et il faudra de longues décennies pour intégrer l’islam dans la République. Au vu de ce qui se passe actuellement, cela semble d’ailleurs de moins en moins possible pour un grand nombre de Français.
Voilà une vérité de bon sens que nous devrions tous partager. « Tous » est trop dire, car ne doit-on pas analyser historiquement le rapport entre la République et l’islam pour comprendre aussi ce qui se passe aujourd’hui en France ?

La religion musulmane est-elle une religion différente des autres, incapable de s’adapter à la République et plus globalement au monde moderne ?
L’islam est-il un archaïsme  comparé au christianisme, au judaïsme, au bouddhisme ?
Le prétendre est oublier la longue histoire des relations entre l’Orient et l’Occident. La modernité, l’esprit scientifique et rationnel qui vit le jour en Europe au moment de la Renaissance est dû en très grande part à l’influence de l’islam venu jusqu’en Occident à partir du 9ème siècle.
Les progrès de la science, de la philosophie rationnelle, de la médecine, l’astronomie, des mathématiques sont dus aux apports de l’islam, de leurs chercheurs qui surent transmettre l’enseignement de la Grèce antique auquel ils ajoutèrent leurs propres découvertes.
La sortie du moyen âge est le fait de l’islam. Même l’idée embryonnaire de laïcité est due en partie à l’islam, à son esprit de tolérance, son respect des autres On ne peut qu’admirer l’enseignement laïc et son esprit scientifique d’ouverture sur le monde qu’a donné l’Espagne musulmane jusqu’au 15ème siècle. La conquête espagnole par les catholiques terminée en 1492, fut un moment de répression et de retour en arrière. Mais là n’est pas le sujet de la conférence. Pourtant il faut rappeler très fortement que l’islam n’est pas historiquement une religieux obscurantiste et les Musulmans des fanatiques intégristes. L’objet de cette conférence est une analyse historique des relations entre l’islam et la République française laïque.

La relation entre l’islam et la République ne date pas d’hier. Elle est longue. Et on ne peut pas comprendre l’actualité sans se pencher sur cette histoire.
Tout d’abord, il faut insister sur le fait que l’intégrisme religieux, comme pour toutes les autres religions, ne concerne qu’une minorité de fidèles. Il en de même pour l’islam. Il faut insister sur le fait que la plupart des croyants souhaitent vivre en paix avec les autres là où ils se trouvent, souhaitent vivre et travailler, souhaitent s’intégrer parmi la population. Dans la plupart des cas, en France une grande majorité de musulmans ont déjà intégré la laïcité, ses principes et ses valeurs.
Il faut aussi dire que, comme les autres, les musulmans fidèles, ceux qui pratiquent, comprennent leur religion à partir de leur réalité sociale et de leur culture. Et le gouvernement français ne semble toujours pas avoir  pris conscience qu'une bonne partie des musulmans nés ici sont de culture  française, même s'ils sont de confession musulmane !

Toute religion revêt en permanence deux aspects qu’il faut distinguer : un aspect sociologique et une croyance véritable d’ordre privée. On dit appartenir à telle ou telle religion ou même on vous catégorise dans telle religion parce que vous ou vos parents sont originaires de telle région du monde, parce que vous appartenez à tel type de société dominée par telle religion. Et on peut alors faire l’hypothèse et penser qu’à plus long terme, le phénomène religieux sociétal ira en diminuant comme cela se passe aujourd’hui en Occident pour les religions chrétiennes : protestants, catholiques. Ne resteront alors que des croyants, libres, à qui on permettra de pratiquer leur religion.


Mais ces considérations n’expliquent pas la difficulté actuelle entre l’islam et la République. Un petit détour par l’histoire aidera à mieux comprendre.

Lorsque le législateur de la loi de 1905 écrit ses articles de loi, il pense principalement à l’Eglise catholique qui domine la société française, qui domine les esprits depuis plus d’un millénaire. La loi est à destination de l’Eglise catholique, elle s’adresse principalement à elle. Les juifs et les protestants sont favorables majoritairement à la loi. N’ont-ils pas souffert pendant des siècles ? La République, dont beaucoup de juifs et de protestants sont des promoteurs et des défenseurs, les a en quelque sorte libérés de la tutelle de l’Eglise catholique qui avant 1914 considérait cette même République comme une « gueuse ». Une catin, une putain. Il faudra, comme cela a été rappelé au début, plus d’un demi siècle pour que cette vision de la République par une bonne partie de l’Eglise catholique disparaisse. Et encore l’épisode de 1940 et du ralliement de la hiérarchie ecclésiale à l’Etat français et à la révolution nationale de Pétain, a été une tentative d’anéantir la laïcité.. Pourtant quelques évêques, et surtout un nombre sigificatif de prêtres sauvèrent l’honneur de la hiérarchie en résistant, en sauvant des familles juives pourchassées, en soutenant la résistance et même dans certain cas en la rejoignant. En un mot en refusant les idéaux du Maréchal Pétain. Le fait que l’Eglise catholique ait fait sienne la loi de séparation entre l’Eglise et l’Etat a été le fruit d’une longue histoire intimement à celle de notre pays.

La loi de 1905 s’adresse à l’Eglise catholique, d’emblée le législateur exclut l’islam de la loi. L’islam dans l’esprit de la République a toujours été considéré autrement. L’islam, c’est la religion dominante en Algérie, au Maroc, en Tunisie et dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest qui à l’époque sont considérés comme des territoires français. territoires qui sont de fait sous la domination française et qui doivent en respecter les lois. L’Islam alors est la religion de millions de personnes, Français ou « indigènes » qui sont sous la tutelle de ce qu’on nomme l’empire colonial.

Dans l’article 43 de la loi, il est écrit qu’un règlement d'administration publique rendu dans les trois mois qui suivront la promulgation de la loi, déterminera les mesures propres à assurer son application. Des règlements administratifs détermineront donc les conditions dans lesquelles la loi sera applicable à l’Algérie et dans les colonies.

En fait la loi de séparation ne s’applique pas dans les colonies. Alors qu’elle devrait s’étendre à tous les territoires, y compris les colonies. Qu’en a-t-il été ?
En Algérie, le décret de 1907 a prévu la séparation des seuls cultes catholique, protestant et israélite et non du culte musulman. En effet, l’exception prévue pour 10 ans, excluant le culte musulman de la loi de séparation a été reprise en 1917 pour cinq ans, puis en 1922 sine die, et confirmée par la loi de 1947.
On reproche actuellement aux musulmans de ne pas connaître la laïcité, mais ils ne l’ont jamais connue sous le drapeau français où le droit personnel musulman s’applique et où le Préfet nomme le cadi.

 Jusqu’à l’indépendance des colonies, la République n’a jamais été laïque dans ses pratiques concrètes vis-à-vis des territoires qu’elles dominait..
Alors que la loi de 1905 était censée créer un statut unique pour toutes les religions sur l’ensemble du territoire, sa mise en œuvre s’est traduite historiquement par des différences de fait et de droit entre les cultes.

Prenons l’exemple de l’Alsace Moselle après 1918 ; le retour à la France des départements d’Alsace-Moselle s’est accompagné du maintien dans ces trois départements du régime des cultes appliqué entre 1870 et 1918, c’est-à-dire du concordat de 1801 et des articles organiques édictés par Napoléon, combinés au droit allemand des associations. Ce régime alsacien mosellan qui se distingue sur plusieurs points du régime de séparation issu de la loi de 1905, ne s’applique pas à l’ensemble des cultes, mais seulement aux “cultes reconnus”, c’est-à-dire expressément agréés et réglementés par l’autorité publique. Depuis l’origine, quatre cultes reconnus existent en Alsace-Moselle : catholique, luthérien, calviniste et juif. L’islam n’y figure pas.
Le régime d’exception alsacien-lorrain ne s’applique pas à l’islam. La situation du culte musulman en Alsace Moselle est une fois de plus discriminatoire Une fois encore l’islam ne connaît pas le même régime législatif que les autres religions. Concernant le régime alsacien mosellan, il a fallu faire quelques ajustements pour que les avantages accordés aux cultes reconnus ne passent pour une discrimination au vu des textes européens. Une fois de plus la république française nous montre des lacunes relatives aux principes d’égalité. Soit on maintient le régime concordataire en Alsace Moselle et dans ce cas, il faudra reconnaître le culte musulman. Soit on applique la loi de séparation sur l’ensemble du pays, y compris en Alsace Moselle. Je rappelle qu’il y a au moins 100 000 musulmans en Alsace Moselle. L’islam a toujours été une exception. Quelle que soit cette exception.

Si on parle de l’exception musulmane à la laïcité, historiquement cette exception n’est pas le fait de l’islam mais le fait de la République. La République n’a jamais considéré l’islam comme une religion identique à une autre. Cette non-application de la loi de 1905, comme du régime concordataire alsacien est un symptôme de l’incapacité de la République française à considérer l’islam sur un pied d’égalité avec les autres religions.

Il est important de rappeler l'attitude ambiguë de la République française à l'époque coloniale, qui proclame haut et fort le principe de laïcité sur le territoire métropolitain, mais se garde bien de l'appliquer à l'égard de l'islam en Algérie ou ailleurs dans les colonies.


Pourquoi cette non application de la loi sur la laïcité vis-à-vis de l’Islam?

l’Etat n’a jamais cessé d’exercer en fait un contrôle prononcé sur l’exercice du culte musulman, en accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contrepartie d’agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées
Bien que la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie ait réaffirmé l’indépendance du culte musulman à l’égard de l’Etat dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques ont perduré jusqu’à l’indépendance.
L’attitude de la République était dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses et laïques. Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux musulmans, les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la dépendance de l’Etat pour mieux en contrôler l’exercice. La carte d’identité des Algériens avec mention Français musulman est une aberration de la République.

En Algérie, le ministère de la Justice et des cultes gère directement le personnel cultuel qui est choisi, nommé, payé, contrôlé. Les critères ne sont pas forcément ceux de la compétence religieuse mais ceux de la docilité à l'égard de la France. Les postes de muftis ou d'imams sont souvent accordés comme des récompenses financières à ceux qui ont bien servi la patrie durant la Grande guerre. Ce personnel placé dans le cadre d'un service civil, est sommé de prêcher la soumission au destin voulu par la Providence et l'obéissance au gouvernement général, aux caïds et aux colons. Un imam déclare à ses fidèles : " Si Dieu nous les a envoyés pour nos péchés, il nous en délivrera quand il le jugera bon. En attendant, il faut accepter le sort qui nous est fait. Toutes les péripéties du malheur d'aujourd'hui ? " Mektoub " : c'était écrit ! "

L'idée est claire, l'islam qui peut être source de désordre, doit être la garante de l’ordre colonial ! La République française laïque s'appuie sur les chefs de confréries religieuses. La République française laïque intervient donc directement dans les affaires du culte musulman.


Les Arabes réformateurs et nationalistes se sont opposés à cette politique. Dans un tel contexte, revendiquer l'application de la loi de séparation, est une demande de liberté de leur part, Le refus du contrôle colonial et la possibilité pour l'islam en Algérie d’être séparé de l’Etat et plus globalement pour les Algériens de s'organiser eux-mêmes est une revendication.

Aujourd'hui, la plupart des citoyens français n'ont pas conscience du poids de l'histoire dans la relation entre l’islam et la République. Ce que l’on sait encore moins, ce qu’on ignore et qu’on souhaite ignorer : c’est que les milieux musulmans locaux, notamment en Algérie réagirent en exigeant de bénéficier de la même liberté que les cultes métropolitains. L’Emir Khaled, fils de l’Emir Abdel Kadher a adressé le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Edouard Herriot président du Conseil dirigeant du bloc des gauche venu au pouvoir en 1924, grand défenseur de la laïcité.

Par la suite, l’Association des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis a formulé un ensemble de propositions destinées à appliquer à l’islam algérien le statut de droit commun des religions, qui ont été reprises par la plupart des formations politiques algériennes dès les années 1930 : création d’associations cultuelles et d’un Conseil supérieur islamique, convocation d’un congrès religieux chargé de définir l’organisation définitive du culte musulman conformément à la loi de 1905. Ces initiatives n’ont  trouvé aucun écho auprès des autorités métropolitaines. Une formule célèbre résume bien la pensée de Ben Badis : " L'islam est ma religion, l'arabe ma langue, l'Algérie ma patrie ! ".
Les rapports de police ne s'y trompent pas quand ils assimilent toute entrée de l’islam dans la laïcité à une action politique dirigée contre le régime colonial. La surveillance policière s'exerce également dans cet entre deux guerres à l'égard de quelques agitateurs communistes. Le pouvoir français a peur d'une collusion islam - communisme. Les deux sont sous haute surveillance.


Lettre de l’émir Khaled au président Herriot (3 juillet 1924)

Monsieur le Président,
Les musulmans algériens voient en votre avènement au pouvoir un heureux présage, une ère nouvelle pour leur entrée dans la voie de l’émancipation. En ma qualité d’un des plus simples défenseurs de la cause des indigènes de l’Algérie, exilé pour avoir pris ouvertement la défense de leurs intérêts vitaux, j’ai l’honneur de soumettre au nouveau chef du gouvernement français le programme de nos revendications primordiales :
1) représentation au parlement, à proportion égale avec les européens algériens ;
2) suppression pleine et entière des lois et mesures d’exception, des tribunaux répressifs, des cours criminelles, de la surveillance administrative, avec retour pur et simple du droit commun ;
3) mêmes charges et mêmes droits que les Français en ce qui concerne le service militaire ;
4) accession pour les indigènes algériens à tous les grades civils et militaires, sans autre distinction que le mérite et les capacités personnelles ;
5) application intégrale aux indigènes de la loi sur l’instruction obligatoire, avec liberté de l’enseignement ;
6) liberté de presse et d’association ;
7) application au culte musulman de la loi de la séparation des cultes et de l’Etat ;
8) amnistie générale ;
9) application aux indigènes des lois sociales et ouvrières ;
10) liberté absolue pour les indigènes de toute catégorie de se rendre en France.

Ne se trouvant pas en contradiction avec le programme libéral de votre ministère et de votre parti, nous avons le ferme espoir que nos légitimes desiderata, ci-dessus exprimés, seront pris en haute considération.
Veuillez agréer…
E. Khaled, en exil

Ces initiatives n’ont trouvé aucun écho auprès des autorités métropolitaines.
La loi de 1905 de séparation des religions et de l'Etat n'est pas appliquée par la République française, l'islam est encadré, en Algérie, l'attitude coloniale prévaut sur l'attitude républicaine.


Revendiquer l'application au culte musulman de la loi de séparation des cultes et de l'Etat peut étonner dans les propos de l'émir Khaled, alors que l'Eglise catholique n'est pas encore bien remise de cette loi. L'islam à cette époque serait-il plus demandeur de laïcité que le catholicisme ?
Je rappelle deux dates pour s’en convaincre. En 1906 : Deux encycliques de Pie X condamnent cette loi et interdisent aux catholiques de se constituer en associations cultuelles conformes à la Loi de 1901 sur les associations. En 1925 (au moment où les leaders arabes demandent l’application de la loi) : L’assemblée des cardinaux et archevêques de France adopte un texte contre les "lois dites de laïcité" et propose une stratégie pour les faire abroger.

En conséquence, la France ne découvre pas l'islam brutalement avec l'immigration économique des Trente Glorieuses, et aujourd’hui avec les difficultés économiques et sociales qui touchent plus particulièrement les fils et filles d’immigrés, mais la France, la République français laïque a entretenu une longue histoire avec cette religion durant toute la période coloniale.
La longue expérience du contrôle de l'islam en Algérie explique peut-être en partie l’incapacité actuelle de la République française à penser l'islam sur son sol. L'interventionnisme étatique n'est pas nouveau. La tentation a toujours été grande de vouloir contrôler une religion suspectée d'être porteuse de contestation voire de désordre. On ne doit pas être amnésique de ce passé colonial au risque de mal apprécier les problèmes contemporains.

Cette place de l’Islam en France sera-t-elle trouvée un jour ? Le poids de l’histoire est encore là. La République laïque et surtout les hommes politiques seront-ils capables de regarder cette question de l’islam autrement que de manière caricaturale ou policière ? Telle est la question qui est posée actuellement.

Question qui ne peut trouver de réponse que dans le cadre de la loi de 1905 qui tend à préserver la liberté absolue de conscience, la liberté de croire et de ne pas croire et pour ceux qui croient, la liberté de pouvoir exercer son culte dans le cadre de la loi.
François Baudin