jeudi 14 juillet 2016

CHRONIQUES BRÉSILIENNES 2ème semaine



J'avais connu Caruaru avec 100 000 habitants en 1984, ils sont maintenant plus de 300 000 à peupler la ville, venus pour la plupart des régions sèches et arides du sertão. Je ne reconnais plus la cité ni l'Alto do Moura, la colline sur laquelle sont installés des dizaines d'artisans produisant les petites figurines. Auparavant, des maisons de terre disséminées ça et là ; aujourd'hui un quartier touristique avec des rues, des restaurants, etc. La maison de Marliete a disparu dans ce nouvel enchevêtrement de bâtisses, mais elle est très connue et nous trouvons vite son atelier. Les retrouvailles avec l'artiste sont en même temps pudiques et très chaleureuses. Elles nous montrent ses dernières productions. Elle a été nommée récemment citoyenne d'honneur de la ville. Nous lui parlons du Mestre João, qu'elle connaît bien et elle me donne un livre qui lui est dédié et auquel elle a collaboré. Elle nous donne aussi son numéro de téléphone. C'est ainsi que nous dénichons João dans un centre social où il donne des leçons de fifre. Après quelques instants pour me reconnaître, il me prend dans ses bras pour un abraço dansant. Puis il demande à ses élèves de jouer quelques airs en notre honneur. Enfin, il signe le livre. Sa signature est la seule chose qu'il sait écrire.
Analphabète, João n'en ait pas moins un maître reconnu dans de nombreux pays, en particulier aux États-Unis et en Europe où il s'est rendu à de nombreuses reprises, un destin hors du commun pour cet homme né dans un petit village du sertão.
Retour vers Recife. J'ai rendez-vous le lendemain avec les soeurs Lia et Lia. Pour les distinguer, l'une s'appelle Lia la Blanche (Lia Branca) et l'autre Lia la Noire (Lia Preta). Je les ai connues dans les années 80, en même temps que Laercio et Carmen. C'est leur maman, Dona Nise, qui m'a initié à l'univers du candomblé et des rites afro-brésiliens. Mélange de catholicisme, de rites indigènes et de croyances africaines (Nagô dans le Pernambuco), cette religion consiste en un culte des orixás, des dieux d'origine totémique et familiale, associés chacun d'entre eux à un élément naturel (eau, forêt, feu, éclair, etc.) Les lieux de cultes (terreiros) sont dirigés par des yalorixás et des babalorixás (mère-des-saints et père-des-saints). Dona Nise était une des grandes yalorixás de Recife. Selon la tradition du candomblé, chaque être humain est choisi à la naissance par un orixá qui sera identifié par une yalorixá. Dona Nise m'a ainsi appris que je suis fils d'Ogum, dieu de l'agriculture et de la guerre, protecteur des chemins... et associé à Saint-Antoine dans la religion catholique. A la mort de Dona Nise, c'est sa fille Lia Preta qui a repris la responsabilité du terreiro.
C'est donc elle que je viens consulter lorsque je suis de passage à Recife. Elle jette pour moi les cauris (búzios), non pour prédire l'avenir mais plutôt pour un oracle qui permet de confirmer ou d'infirmer des intuitions ou des projets. Les cauris sont interprétés grâce à l'intermédiaire d'un ou plusieurs esprits avec lesquels la mère-des-saints est en contact durant la séance. Comme toujours, la lecture des cauris me donne de précieux enseignements …
Après mon rendez-vous avec Lia Preta, je vais à Olinda, à 45 minutes du centre de Recife pour me rendre chez Lia Branca. Olinda, première capitale du Pernambuco, est l'une des plus vieilles cités brésiliennes, fondée par les Portugais en 1535. Son centre historique est patrimoine mondial de l'UNESCO et lieu d'un des plus fameux carnaval du Brésil.
(à suivre)

Christian Delon

mardi 5 juillet 2016

Chroniques brésiliennes, Christian Delon



1ère semaine
Orly Ouest, 29 juin 2016. L'ambiance est à la détente et aux sourires dans l'aéroport parisien, malgré l'état d'urgence et les menaces potentielles. Quelques soldats en armes. Comme si tout était normal. Je ne peux m'empêcher de penser à ceux de Zaventem et d’Istanbul qui, comme nous, attendaient leur embarquement.

Vol sans histoire vers le Portugal, première étape. Vieil A321, sièges défoncés mais équipage souriant. L'aéroport de Lisbonne, où je suis passé tant de fois, m'offre son rituel : une « bica bem cheia », un expresso un peu allongé pris sur la terrasse de My Bistro. De là, je vois le Tage et, de l'autre côté, Cacilhas. J'adore m'asseoir à ces tables au bord du hall d'arrivée et regarder le mouvement incessant, les mercos millionnaires en kilomètres, corps noir et tête verte, les groupes bigarrés attendant les vols de Luanda, Maputo et Praia. Les serveuses du café, brésiliennes du Nordeste, font la transition vers Recife. Je savoure la brise et la douceur lisboètes.

Laercio et Carmen m'attendent à l'aéroport de la capitale du Pernambuco. Ce sont des amis de trente ans, militants politiques et humanistes. Laercio a été maire de la ville de Bonito, dans le sertão, où j'ai participé à plusieurs projets de coopération. Bonito a accueilli plusieurs nancéiens venus apporter leur aide dont Gilles de Solidarité Nationale et Internationale et Gérard de l'AREED. Je pensais avoir vu mes amis six ans auparavant … nous nous apercevons que dix ans ont passé depuis notre dernière rencontre. Nous reprenons notre relation d'amitié et de fraternité comme hier. Pas besoin de temps d'adaptation. La transition est immédiate et je suis dans mon élément dès le pied posé sur le sol brésilien.

Recife est l'une des villes les plus intéressantes du Brésil. Non pour la beauté de ses plages urbaines ou pour son centre-ville historique : l'un et l'autre ont été oubliés et massacrés par des édiles peu intéressés par l'élégance de leur ville. Mais Recife est une ville militante, intellectuelle, depuis toujours dans l'action et la pensée. Elle a vu ainsi naître Gilberto Freyre, anthropologue et sociologue, et spécialiste de l'esclavage ; Paulo Freire, pédagogue et inventeur de la pédagogie de l'opprimé ; elle a accueilli Don Hélder Câmara, évêque d'Olinda et l'un des protagonistes de la théologie de la libération. A Recife ont vu le jour le premier syndicat de dockers et le premier quotidien d'Amérique Latine (Diario do Pernambuco). J'aime bien cette ville et son atmosphère particulière.

Je suis venu dans le Pernambuco pour voir Laercio et Carmen mais aussi d'autres amis très chers. Parmi eux, deux artistes fameux, invités à Nancy dans le cadre de la Foire internationale : Marliete, une extraordinaire sculptrice, qui réalise des personnages en terre de quelques centimètres de haut, avec des détails minuscules. Elle les peint ensuite avec des épines d'un cactus local, le mandacaru. L'autre artiste est João do Pife, un maître joueur de fifre, directeur d'un orchestre et dépositaire de la tradition musicale de cette région. Tous deux habitent Caruaru, ville qui se situe à l'entrée du sertão. Depuis la chanson de Lavilliers, la ville a bien grandi et l'hôtel Centenario, qui était à l'entrée de la ville, est maintenant en son centre. Ceci est dû à l'extraordinaire vitalité des villes brésiliennes de l'intérieur (par opposition aux villes côtières) qui, en quelques années, comptent des centaines de milliers d'habitants.

Christian Delon

(à suivre)