vendredi 31 octobre 2014

Pourquoi mourir à 21 ans ?


La mort le week-end dernier à Sivens dans le Tarn, de Rémi Fraisse jeune étudiant de 21 ans, a indigné une grande partie des Français.
Pourquoi mourir à 21 ans ?
Pourquoi succomber sous les tirs de grenades offensives lancées par des gendarmes ?
Le président du Conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, a déclaré quelques jours après le drame : « Mourir pour des idées c’est une chose, mais c’est réellement stupide et bête ».

Cet homme politique qui devrait avoir en tête l’unique préoccupation de l’intérêt général, ne semble pas avoir compris que des jeunes, qui pour la plupart sont des militants non violents, se mobilisent pour défendre ce qu’ils considèrent comme le bien le plus précieux : la création.
Pour cet homme politique étiqueté de gauche et responsable de la vie démocratique d’un département français, défendre la création, défendre l’environnement, défendre l’avenir de l’humanité, c’est stupide et bête.
Rémi pensait au contraire que veiller sur la création, renouer avec elle et avec l’homme qui y habite, revêt un sens. La plus haute signification.

On parle tous les jours dans les médias des périls qui pèsent sur la planète. Réchauffement climatique, pollution, marchandisation de la nature, exploitation outrancière des sols, appauvrissement des populations victimes de la spéculation foncière…
Ces fléaux ne sont pas lointains et nous en sommes directement responsables.
Aujourd’hui ils se matérialisent à Sivens dans cette zone humide que Rémi voulait sauver, comme il se matérialise à Notre Dame des Landes, ou encore à Ducrat dans la Somme où le projet de construire une ferme industrielle de 1000 vaches rencontre l’hostilité de toute une population paysanne et citadine.
Pour que ce projet ne voie pas le jour, des hommes et des femmes sont prêts à aller en prison comme on a pu le voir cette semaine encore après le jugement sévère du tribunal correctionnel d’Amiens.
Cela, Monsieur Carcenac, est-il capable de le comprendre, ou dira-t-il à nouveau : c’est stupide et bête ? Est-ce stupide et bête de dire que la nature qui nous a été donnée, nous en avons en quelque sorte la responsabilité, nous en sommes les gardiens. Rémi avait probablement cette conscience aiguë que l’homme est le gardien de la création.

Les dangers écologiques qui nous menacent tous et jusqu’à nos portes, dans notre vie quotidienne, sont les conséquences d’une vision du monde fondée sur la recherche du profit. Comme si tout autour de nous, chaque chose, chaque être vivant et aussi chaque être humain à chaque instant, était à notre disposition pour notre plus grand profit.

Le jeune Rémi manifestait son opposition au barrage parce qu’il voulait veiller sur la création. Il était libre dans ses choix. Et il savait probablement qu’une terrible tension était en train de naître sur le site de Sivens.
Il savait que la fermeté des pouvoirs publics et l’énorme mobilisation policière ne pouvaient mener qu’au drame. La tension montait depuis des semaines autour du chantier du barrage. Un militant de Confédération paysanne avait dit aux gendarmes quelques instants avant le drame : « Vous allez finir par tuer un de ces jeunes, et vous serez obligés d’arrêter le chantier » ;
 Il ne faut pas s’étonner de cette issue tragique.

On ne peut accepter de telles violences et encore aujourd’hui il est possible de sauver cette zone humide de Sivens.
Mais il aura fallu des mois de bataille et hélas aujourd’hui la mort d’un jeune de 21 ans.

François Baudin


mardi 28 octobre 2014

Vérités et vérité






Propos introductifs à la soirée du 25 octobre 2015

Vérités avec un s, écrit au pluriel, n’a pas le même sens que vérité sans S. L’un (avec un S) sous entend qu’il n’y a pas de vérité puisqu’il y en a plusieurs.

Pourquoi ?

Pour beaucoup et même pour presque tout le monde la vérité ne peut s’entendre qu’au singulier. Il ne peut y avoir qu’une seule vérité et s’il y en a plusieurs, il n’y en a pas.

Même si ce singulier est un particulier qui n’arrive qu’une fois. Il ne peut y avoir qu’une seule vérité à cet instant.
Par rapport à quelque chose qui arrive, on pense la plupart du temps qu’il n’y a qu’une seule vérité. Si je dis par exemple : cette pomme est mûre, je pense que cette pomme actuellement est bien mûre, quelle que soit la perception que j’ai de la pomme.
Je dis la vérité sur la pomme si je dis qu’elle est mûre et j’aimerai que d’autres partagent ce jugement sur la pomme.

Pour d’autres il n’y a pas de vérité au singulier même à un instant donné bien particulier, mais il n’y a que des pluriels. Ainsi par rapport à cette pomme, certains diront qu’elle est mûre et d’autres diront qu’elle ne l’est pas encore tout à fait. C’est une affaire de goût.

Et lorsqu’on pense « vérités » au pluriel, on dit qu’elle est relative.
Qu’elle est relative au sujet. Qu’elle est relative au point de vue que l’on adopte, que l’on a. Le point de vue que le sujet a sur la chose à partir de laquelle il porte un jugement. Il faut dire que cette histoire du point de vue a traversé la philosophie surtout depuis Leibniz.

Le sujet qui dit la vérité c’est nous, c’est chacun d’entre nous. Si la vérité est relative au sujet, il n’y en a pas, ou plutôt il y en a une pour chaque individu.
La vérité serait donc relative au sujet et relative à la situation vécue par le sujet.
Or on sait aussi que le sujet (nous-même), est changeant comme la chose que l’on perçoit. Aujourd’hui nous sommes ainsi, demain nous serons différents. Tout change tout le temps, et nous aussi. Vous savez c’est la fameuse phrase d’Héraclite : on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Et si on ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve : Où est la vérité du fleuve ? Où est ma vérité ? Car moi aussi qui plonge dans le fleuve (dans le flux comme dit Héraclite, où je suis immergé, où je suis embarqué), je suis flux changeant.

Demain on sera différent d’aujourd’hui. Lorsque je dis demain on sera différent, on peut aussi dire dans une seconde on sera différent. Nous changeons tout le temps, à chaque instant, et les choses et la réalité qui nous entourent changent aussi. (nous ne distinguerons pas choses et réalité)
Si la vérité est relative à l’instant présent et au sujet qui le vit, il n’y a pas de vérité : au sens absolu, ou encore au sens universel.

Certains ne peuvent pas se résoudre à cette conclusion et vont chercher au-delà de l’instant présent une vérité qui dure et ne change pas, une vérité qui fonde et une vérité qui guide l’action. C’est toute la question de l’essence et de l’existence, ou encore de l’essence et de l’accident qui vient d’être posée, c’est la question de l’idée et de sa chute dans la matière où elle se pollue. Dans cette conception l’essence c’est ce qui dure, l’accident c’est ce qui change ; la matière c’est ce qui masque la vérité. L’essence est du domaine de la vérité.
Voilà une des grandes questions philosophiques qui a traversé toute la pensée humaine.

La question de la vérité est la question la plus universelle qui soit. A toutes les époques et en tout lieu on s’est posé cette question. Et se poser cette question est éminemment philosophique.

Pourquoi s’est-on toujours posé cette question de la vérité ?
Parce que de cette question va dépendre la manière de vivre ensemble. Vivre ensemble c’est s’entendre même provisoirement sur ce qui nous entoure, sur ce que nous pensons être la vérité, ou encore s’entendre sur ce qui fonde notre vie commune, sur ce qui nous réunit.
C’est s’entendre sur ce que nous considérons comme vérité.
Il faut bien souligner que la vérité est ce qui unit et fait vivre les hommes entre eux. Et donc elle est aussi ce qui va les faire se combattre entre eux. Voilà la force ou la puissance du mot vérité. La vérité divise et unit les hommes.

La philosophie s’est toujours posée cette question de la vérité. Qu’est-ce que la vérité ?

Pour ma part j’ai consacré 3 livres à cette question.

Le 1er tome porte sur le lien entre philosophie et vérité.
2) le second porte sur le rapport entre Discours et vérité.
3) troisième qui est écrit et fera l’objet de deux livres séparés publié en 2015 porte sur Être et vérité.

Je vais vous présenter en quelques mots une partie de ma démarche que ces trois livres racontent et expliquent, et qui part du mot vérité.
Qu’est-ce que ce mot ?
D’où vient-t-il ?
Que signifie-t-il ?

Le mot vérité vient du latin veritas
Le sens de veritas est celui d’une adéquation, d’une conformité. Conformité d’un discours avec la chose ou la réalité dont on souhaite parler, qu’on souhaite rapporter. Je reprends l’exemple du début : la pomme est mûre. Ce discours qui est aussi un jugement sur la pomme prétend être en adéquation avec la chose (pomme). Je pense qu’il est vrai. Qu’il tend vers le vrai.

Deux nouvelles questions se posent alors :
1) Premièrement qu’est-ce qu’un discours ?
2) deuxièmement qu’est-ce qu’une chose ou encore qu’est-ce que la réalité dont on souhaite parler, qu’on souhaite représenter, dont on souhaite produire un discours. (réalité, choses, objets, êtres vivants, hommes, phénomènes, évènements, processus, etc.)

Qu’est-ce qu’un discours, qu’est-ce qu’une représentation, et quelle différence y a il entre une chose et sa présentation ? Une chose et son discours.

Il faut aussi souligner (et c’est très important) que toute re-présentation, tout discours, devient une présentation lorsqu’elle ou il est communiqué au monde.
Dit autrement : toute représentation de quelque chose (c'est-à-dire tout discours) devient (est) autre chose dont elle parlait qu’elle représentait précédemment à l’instant de l’expérience qu’on en a eue, lorsqu’elle est communiquée, lorsqu’elle est mise au monde, lorsqu’elle est projetée dans le flux, dans le devenir. (Il faut bien saisir la différence entre représentation et présentation). Peu de philosophes ont réfléchi de manière radicale à cette différence.

Il faut alors réfléchir à la puissance de tout discours, (de toute représentation) lorsqu’il est communiqué au monde, lorsqu’il devient de fait, de manière effective, une nouvelle chose du monde. Il devient puissance de transformation du monde. Puissance de changement pour le monde. Puissance de changement ou puissance conservatrice.

Et même réfléchir au concept de puissance. Qu’est ce que la puissance ? En différentiant correctement cette puissance du sens qu’elle met en mouvement, et de la chose qui les emporte effectivement tous les deux (sens et puissance) dans le devenir.
Ce qu’on appelle puissance du langage, ou puissance d’une œuvre d’art par exemple, ou puissance d’une théorie mathématique, d’une hypothèse scientifique, puissance d’une opinion. Puissance d’une idée lorsque celle-ci est communiquée.

Une nouvelle question apparaît : comment se forme une représentation, comment se forme un discours, selon quel schéma, dans quelle condition ?

Emmanuel Kant a travaillé sur cette question, et nous a apporté des idées totalement nouvelles pour l’époque.

Nous arrivons alors aux notions kantiennes de schématisme transcendantal, de catégories, de concept purs de l’entendement qui permettent à l’homme d’avoir une expérience de ce que Kant appelle le divers intuitionné (C'est-à-dire le flux divers de tout ce qui nous arrive comme on a dit au début) et d’en constituer selon ces concepts purs de l’entendement une représentation unifiée.

Le divers de l’intuition, (ou ce que d’autres ont appelé la multiplicité) c'est-à-dire ce qui arrive jusqu’à nous en tant que réalités intuitionnées et diverses, est toujours selon Kant, représenté et donc unifié par nous, par notre entendement sous les concept d’espace et de temps. C'est-à-dire unifié, redonné, représenté en étant resitué sous ces concepts espace-temps.
Et c’est seulement par cette représentation unifiée sous les concepts de temps et d’espace que l’homme peut faire l’expérience de quelque chose.
Sinon selon Kant aucune expérience n’est possible ni aucune représentation. Voilà très résumé la théorie kantienne de la vérité fondée sur la raison humaine et ses catégories pures de l’entendement qui œuvrent sous les concepts transcendantaux d’espace et de temps.

Mais quel est le rapport entre ce processus de représentation, processus unifiant, et la vérité. Ou encore quel est le rapport entre ce processus de l’expérience et la chose dont on fait l’expérience.
Quelle est la nature de la chose telle qu’elle se montre ?
On a toujours cette seconde question qui reste en suspens : qu’est ce qu’une chose ? Qu’est-ce que la réalité ?

Pour Kant une chose telle qu’elle se montre est inabordable en elle-même. On peut même se poser la question de son existence propre, car vous avez bien compris que dans la perspective kantienne, la réalité est construite par l’homme sous les concepts de la raison pure.
Et si il y a une vérité propre des choses, celle-ci est inabordable.

D’autres philosophes iront jusqu’à dire qu’il n’y a pas de vérité dans les choses. Que tout est construit par nous dans le cadre d’un jugement, d’un discours, d’une hypothèse…
On voit la position centrale de l’homme par rapport à cette conception de la vérité. L’homme est celui qui donne du sens aux choses, qui construit la vérité à l’occasion d’une réalité diverse (multiple) qu’il intuitionne.

La question fondamentale de la vérité considérée comme adéquation (approche) entre une chose et son discours si on s’intéresse à la façon dont un discours se construit, pose la question de la vérité elle-même.

Car dans bien des cas, le discours lorsqu’il devient doxa unifiée, devient vérité et conformité à laquelle nous devons justement nous conformer. Vérité apprise et à laquelle nous devons nous conformer. Voilà une puissance singulière de la doxa. Marx a appelé cela : l’idéologie dominante, qui est toujours l’idéologie de ceux qui dominent.

Vous voyez dès qu’on réfléchit on est embarqué dans une suite indéfinie de questions. Et à chaque étape d’autres questions arrivent. C’est le propre d’une démarche philosophique qui peut nous emmener très loin et très longtemps. Pour moi c’est passionnant et dans mes textes c’est un peu vers ce voyage que je souhaite emmener le lecteur.

Dans le deuxième volume intitulé Discours et vérité, j’essaye de répondre à cette question du rapport entre discours et vérité.

2) Mais le mot vérité peut aussi revêtir d’autres sens que celui d’une adéquation entre un discours et une chose, un discours et la réalité, ou entre un discours et un évènement, un phénomène ou encore une situation.
En Grec vérité se dit alètheia. Ce mot alètheia est composé du privatif a, et du mot léthé.
Le léthé c’est quoi : c’est l’oubli. (Le fleuve grec léthé c’est le fleuve de l’oubli). On a tiré par exemple le mot léthargie ou létal de léthé.

Donc en Grec la vérité (qui se dit alètheia) c’est ce qui est sans oubli. Il y a deux négations dans ce mot : le a privatif, et le l’oubli. Deux privatifs, car l’oubli est bien une privation de quelque chose, une privation de connaissances. Deux négations ça fait du positif. Moins par moins égale plus.

Qu’est ce que cette conception de la vérité (sans oubli) sous entend ? : Que la vérité est cachée dans la chose qui se montre. (vous voyez qu’on revient à l’essence que cache l’accident, l’essence que cache l’existence comme accident)
Cela veut dire que la chose cache la vérité qui se dévoile du sein de la chose. C’est aussi l’idée que la vérité éclot de cette même chose.
La vérité pour l’homme grec qui est un navigateur infatigable, c’est ce qui apparaît à l’horizon comme le soleil apparaît un matin brumeux devant la proue du bateau.
Cette conception est dualiste et aussi dialectique. (dualité entre vérité et chose, vérité et évènement, vérité et réalité). C’est en fait aussi cette conception qui a traversé toute la philosophie et même pour partie la religion.

Quelle sera la position de l’homme par rapport à cette conception de la vérité comme ce qui est dévoilée : l’homme est celui qui dévoile la vérité, qui la fait apparaître, qui la décèle. Tous les romans policiers sont fondés sur cette conception de la vérité cachée que l’enquêteur finit pas nous faire découvrir.
La position de l’homme est donc également centrale, comme elle l’était déjà dans la précédente conception de la vérité (veritas) en tant qu’adéquation ou conformité.

L’homme fait apparaître la vérité par la parole, par la pensée, par son travail de fouille.
Mais cette conception (et cela est important) sous entend aussi que le lieu d’apparition se trouve dans la chose. Donc plus que dans la conception kantienne, on donne un statut à la chose comme lieu et temps d’apparition de la vérité.
Le lieu (c’est-à-dire l’espace, le temps et la chose) sont à la fois ce qui cache et ce qui permet à la vérité d’advenir. Et cette vérité advenue sera décelée par l’homme.

Vous voyez on n’est plus dans le domaine de la représentation ou du discours, mais on est dans celui du décèlement, de la mise à jour puis de la garde et de la conservation. Voilà résumé encore très vite, la pensée du philosophe allemand Heidegger. Décèlement, mise à jour et garde qui adviennent par l’homme. Décèlement et mise à jour qui sont des luttes que l’homme mène contre l’opacité, contre l’oubli.
Cette conception est dualiste, dialectique et aussi guerrière, elle ne peut envisager la chose que comme quelque chose d’opaque, de sombre qui cache l’essentiel et au sein de laquelle est tombée la vérité. C’est la conception de Platon, celle qu’il exprime très bien dans le mythe de la caverne.

Mais pas toujours.

3) Car alètheia peut aussi se traduire par course divine. Dans cette conception ou cette traduction du mot vérité (grec alètheia (alè-théia) comme course divine) Dieu ou la vérité, ou encore le sens ne se cache pas, mais se manifeste à travers la course des choses, se manifeste grâce à ce qui se passe, ce qui advient, ce qui devient.
Dans ce cas la vérité ne se cache pas, n’aime pas à se cacher comme l’écrivait Héraclite, mais au contraire se manifeste par les choses, grâce aux choses et à leur course. Dieu dans ce cas n’est pas un sadique, il ne nous trompe pas, n’aime pas à nous tromper. Mais au contraire se montre en chaque chose.
Pour celui qui ne croit pas en la divinité, cela veut tout simplement dire que le sens ou la vérité des choses, ou la vérité de l’évènement se montre dans chaque chose, dans chaque évènement, dans chaque situation. Elle n’est donc pas cachée, et la tâche de l’homme ne sera pas de la déceler : mais elle est au contraire manifestée par l’évènement, par la situation, par la chose.

Qu’est-ce que la vérité dans ce cas : c’est ce qui se montre à chaque instant.
En Anglais le mot vérité se dit truth. Ce truth provient de tree. L’arbre. Qu’est ce qu’un arbre : c’est ce qui est là, ce qui est présent, solide et sur lequel on peut s’appuyer, on peut avoir confiance. Ce qui ne trompe pas, ne ment pas. Ce qui n’est pas caché. Voilà ce que veut dire truth. Qui est aussi en définitive bien éloigné de véritas comme adéquation, conformité d’un discours et au final discours conforme à une doxa.
Truth dans son sens étymologique est également bien éloigné d’alethéia en tant que ce qui est sans oubli et qui était caché.
En hébreu on trouve la même signification dans le mot emet, qui a donné amen. Amen, amen en vérité. Amen, c’est ce sur quoi on peut s’appuyer, qui est solide comme le rocher. Comme le roc sur lequel on s’appuie.
Voilà donc une troisième possibilité pour le mot vérité. Vérité en tant que ce qui est solide et qui se manifeste, qui est toujours ouvert et donné toujours en présent dans chaque chose.

On est alors loin de la vérité comme représentation. Mais on est dans la présentation, dans le présent, dans l’instant de la chose ou de l’évènement donné.

La question qui est alors posée est celle-ci : l’homme dont nous parlons est-il en capacité d’entendre la vérité manifestée, de la recevoir ?
La position de l’homme devient alors bien différente. L’homme n’est plus central, il ne donne pas la vérité, il ne donne pas le sens aux choses, il n’est pas non plus celui qui la découvre, la fait advenir contre une opacité, mais il l’entend à travers les choses qui la manifestent à chaque instant.
La question de l’écoute est posée à cet instant. L’écoute du monde, l’écoute de toute chose, l’écoute de l’autre homme. La question de l’écoute et bien entendu de la surdité.

Nous pensons justement qu’une des caractéristiques essentielles de l’homme est cette capacité d’écoute, capacité d’entendre, écoute du sens donné par toute chose à chaque instant. Alors pourquoi l’homme est-il sourd au sens qui se manifeste pourtant à chaque instant ?

Voilà pour moi où se situe la philosophie : dans cette capacité d’entente du sens, ou encore de la vérité que chaque chose montre, manifeste à chaque instant.
Et la philosophie ne situe pas dans la capacité de jugement, dans la capacité de construire un discours qui sera toujours seconde, ni dans la tentative de représentation de la chose telle qu’elle s’est présentée selon un point de vue particulier. Ni dans la capacité de décèlement d’une vérité cachée dans l’opacité des choses.

Vous voyez à travers une simple façon de traduire le mot vérité, véritas, alétheia, amen ou truth : on a trois conceptions du monde bien différentes.

On pourrait penser qu’il s’agit d’un simple amusement, d’un jeu sur les mots, d’un exercice purement gratuit. Une distraction d’un samedi soir entre amis. Mais en fait non. Car de ces différentes conceptions du mot vérité : c’est notre positionnement dans le monde qui est en jeu. Positionnement dans le monde et positionnement avec autrui. Positionnement de chacun d’entre nous.


François Baudin 

jeudi 23 octobre 2014

Le libre marché : un renard libre dans un poulailler libre



La semaine dernière, l’annonce du prix Nobel d’économie à Jean Tirole a donné un peu de baume au cœur à la France. Après le prix Nobel de littérature accordé à l’écrivain français Patrick Modiano la semaine d’avant, c’est un nouveau rayon de soleil qui a éclairé pendant une quinzaine de jours une France en proie à une déprime persistante.
Enfin quelque chose de positif pouvait nous être accordé. Par ces deux prix, le monde reconnaît que notre pays compte parmi ses chercheurs et ses hommes de lettres des personnalités susceptibles d’obtenir la plus grande des récompenses.
                                                                                     
Mais au fond que signifie ce prix donné à Jean Tirole par la Banque de Suède chargée du Nobel d’économie ?

Jean Tirole est un mathématicien, spécialiste de la micro économie. Il est spécialiste aussi de la théorie des jeux lorsqu’un agent économique doit optimiser son action. Il est encore le spécialiste de la puissance du marché qui selon lui doit être régulé  avec prudence par la puissance publique. De fait Jean Tirole est un économiste libéral dans la plus pure tradition classique.

Le fait que cet économiste soit en même temps mathématicien nous montre bien la tendance actuelle de plus en forte de résumer l’économie à des phénomènes naturels, on pourrait presque dire physiques, dont on peut faire la théorie scientifique et mathématique. Selon la plupart de ces chercheurs qui dominent actuellement la pensée économique mondiale, il faut laisser faire la nature, il faut laisser faire la loi du marché qui finit toujours, par paliers successifs, c'est-à-dire grâce aux découvertes techniques successives comme aujourd’hui la révolution numérique, par trouver son équilibre et donner du bonheur à tout le monde.

Résumer l’économie à un jeu libre et naturel d’acteurs dont on peut faire les équations mathématiques, c’est oublier l’essentiel de l’économie. C’est oublier que l’économie est une création humaine qui n’obéit en propre à aucune loi, sauf celle que l’homme lui donne collectivement et de manière libre.
Livrer l’économie à la pure loi du marché qui lui serait en quelque sorte extérieure et transcendantale, dont quelques scientifiques et mathématiciens prétendent nous découvrir les règles, c’est livrer notre vie quotidienne aux puissances d’argent de ce monde. Et dans ce cas la liberté est toujours celle du renard dans le poulailler.

Penser a priori que l’économie obéit à cette loi du marché naturelle ou divinisée, c’est oublier que c’est l’économie qui est au service de l’homme et non l’homme au service de l’économie.

Or aujourd’hui on observe que donner tout le pouvoir à un marché comme si c’était la seule voie de salut possible, nous conduit à de très grandes difficultés : marchandisation complète de toute la création, destruction de notre environnement, pauvreté et chômage de masse…

On dit que Jean Tirole est l’économiste français qui a l’oreille des Princes qui nous gouvernent.
Laisser le pouvoir de décisions et donner trop d’influence à ce type d’expert c’est renoncer à la démocratie, c’est même renoncer à toute forme de civilisation dont le degré ne se mesure pas au taux de profits, à la rentabilité ou aux cotations boursières, mais dont le degré se mesure principalement à l'attention que l’homme porte aux plus faibles : aux malades, aux personnes âgées, aux enfants, aux détenus, aux chômeurs, aux réfugiés et aux immigrés…
Et le sens de l’économie, son principal objectif, devrait être d’améliorer les conditions de vie de la communauté humaine que nous constituons.


François Baudin 

vendredi 17 octobre 2014

L’ONU et la France face au terrorisme



Toutes les nations assemblées au sein de l’ONU doivent s’unir pour stopper le terrorisme international, impitoyable dans sa barbarie.
L’ONU doit tout faire pour se donner les moyens lui permettant de renforcer la paix et la sécurité internationale, les droits de l’homme et le développement.
Hélas aujourd’hui on peut légitimement se demander si la coalition mise en place sous l’égide des Etats-Unis dont la France fait partie, n’est pas en train de se substituer à ce qui devrait être la mission principale des Nations Unies, retirant ainsi toute légitimité internationale à la guerre que les grandes puissances tentent de mener contre le terrorisme qui connaît actuellement  une escalade alarmante.
Cette lutte exige une étude plus approfondie et plus urgente sur la façon de renforcer le cadre juridique international.
Elle exige aussi que les nations occidentales prennent conscience et analysent leur propre responsabilité, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui se sont soldées par l’intervention militaire illégale en Irak en 2003, jetant cette région du monde dans un terrible chaos. Et enfin, et il faudra toujours le rappeler, le fait d’avoir soutenu, financé et armé la rébellion syrienne islamique contre la dictature de Bachar el Assad, comme le fait d’être intervenu en Libye en faisant fi de la résolution de l’ONU, nous a mené là où nous en sommes aujourd’hui. Les grandes puissances ont soutenu, financé et armé un monstre qui montre sa véritable nature.

Des principes humains fondamentaux sont en jeu en Irak, en Syrie et en Libye. Seul l’ONU devrait être autorisée à garantir la protection des populations du monde. Et si les grandes puissances interviennent, celles-ci ne peuvent le faire qu’en y étant autorisées et mandatées par les moyens juridiques prévus dans la charte de l’ONU.
Il est urgent de mettre fin aux guerres actuelles au Proche et au Moyen orient. De mettre fin aux souffrances et aux drames. Et s’il il y a actuellement une nécessité impérieuse d’intervenir contre ce pseudo « Etat Islamique » auto proclamé, cette intervention ne peut être que le fait des Nations Unies.

Cette semaine en France, un projet de loi de « lutte contre le terrorisme » a été examiné au Sénat. Selon le ministre de l’intérieur le nombre de Français engagés dans les groupes terroristes a augmenté de 82% depuis le début de l’année. Un millier de Français seraient concernés, dont un peu moins de 400 qui auraient déjà rejoints les rangs des terroristes en Syrie et en Irak. Là bas on décapite dans la rue, on crucifie des hommes et des femmes, on torture des enfants. Face à cette réalité l’objectif de la loi est d’empêcher les départs en créant un délit d’entreprise terroriste individuelle.
Il est tout d’abord nécessaire de rappeler que cette initiative du gouvernement doit être cadrée du point de vue des libertés individuelles qu’il faut à tout prix préserver et non pas supprimer au nom de la sécurité.
Ensuite il faut aussi rappeler qu’actuellement 700 jeunes français sont engagés dans l’armée israélienne. Cette armée d’occupation a commis cet été des crimes de guerre à Gaza. Plus de 2000 civils palestiniens dont une très grand nombre d’enfants, ont été tués en juillet et août 2014. Or personne en France ne s’émeut de savoir qu’il y avait de nombreux jeunes français  parmi ces soldats israéliens.
L’émotion légitime suscitée par le départ de Français vers la Syrie ou l’Irak où des crimes sont commis quotidiennement, ne peut pas être une émotion à sens unique.
Les jeunes soldats de l’armée israélienne qui reviennent de leur campagne militaire à Gaza ne peuvent pas recevoir les honneurs de la République françaises alors que d’autres jeunes, fanatisés eux aussi, iront en prison.
C’est par un tel deux poids deux mesures que nous renforçons le sentiment d’injustice parmi de nombreux Français, sentiment qui explique en partie leur fanatisme
François Baudin

jeudi 2 octobre 2014

L’annonce d’un nouveau printemps à Hong Kong ?

Ce que les peuples du monde entier avaient salué au moment du printemps arabe, en Egypte comme en Tunisie, c’était l’irruption dans l’histoire de l’universalité.

Enfin un mouvement émergeait des profondeurs démocratiques des peuples pour apparaître sur le devant de la scène de l’histoire du monde.
A partir de décembre 2010, et des mois durant, des millions de gens, hommes et femmes confondus, jeunes et plus âgés, étaient descendus dans les rues et sur les places des grandes villes du bassin méditerranéen, pour dire leur détestation d’un système dictatorial qui régnait depuis des décennies sur tous les pays de la région, et étouffait depuis si longtemps toute volonté populaire de s’exprimer.
Les revendications étaient claires pour tout le monde : plus de liberté, plus de démocratie, plus de droits, plus de dignité, plus de justice. Voilà ce qu’exigeaient ces mouvements qu’on avait qualifiés du beau nom de « Printemps arabe » que personne n’avait prévu. Voilà aussi en quoi consiste l’universalité de ces mouvements puissants.

Les manifestants se retrouvèrent si nombreux dans les rues que rien ni personne ne pouvait empêcher l’avènement d’un monde meilleur pour lequel ils s’étaient mobilisés en bravant courageusement et souvent au péril de leur vie, les interdits et la domination de quelques uns. C’était une déferlante irrésistible. Enfin l’Histoire avec un grand H allait balayer la banalité quotidienne et terrible des dictatures en place qui ne pouvaient plus tenir.

Mais le printemps des peuples arabes allait rapidement se transformer en hiver islamique.
Nous ne sommes toujours pas sortis de cet hiver, si on observe ce qui se passe un peu partout, depuis la Kabylie jusqu’en Irak.
Et si l’Egypte a su se débarrasser de ces usurpateurs islamiques, c’est pour revenir à la case départ, comme une révolution galiléenne qui telle une orbite céleste revient vers son point initial : Aujourd’hui la dictature d’Al Sissi en Egypte est pire que celle de Moubarak qui avait été chassé par la Place Tahrir en 2011. Mais l’histoire n’est pas finie.

Cette semaine le régime politique que les peuples souhaitent à nouveau défier est encore plus puissant, puisqu’il s’agit de la première puissance mondiale. La Chine.
Un nouveau printemps des peuples est-il annoncé ? Viendra-t-il de l’Orient lointain ?
Viendra-t-il de Hong Kong où des milliers et des milliers de citoyens défient la plus grande dictature du monde, en restant, de Central à Admiralty, tranquillement étendus sur le sol, allongés sur les places, occupant les rues et les entrées des gratte-ciel où règnent l’ordre financier mondialisé placé sous la protection de l’armée chinoise. Et comme en Chine tout se résume à des images et des douces métaphores, on appelle ce mouvement : la révolution des parapluies ou la révolution des ombrelles.

Les manifestants de Hong Kong pétrifient le pouvoir de Pékin ; ils affolent les marchés financiers qui dans cette ancienne colonie britannique fait battre depuis toujours son cœur de pierre. Ils affolent les maîtres du monde.
Que veulent-ils exactement ? un Etat de droit, le suffrage universel, plus de liberté, des réformes politiques.
Le pouvoir à Pékin reste muet. La Cité interdite est silencieuse.
L’Histoire (avec un grand H) semble a nouveau s’être mise en marche.

Est-ce que les fragiles ombrelles bonnes à protéger de la pluie et du soleil, réussiront à ébranler le régime si puissant de Pékin ?

François Baudin