jeudi 31 octobre 2013

Paix en Syrie



La question syrienne semble être passée au second rang des informations comme si la guerre qui continue de tuer chaque jour des civils était devenue depuis quelques semaines un conflit de basse intensité détruisant pourtant une société, des villes, des villages, une économie, mais en définitive ne bousculant pas les grands équilibres internationaux.

La guerre Iran-Irak qui fit des centaines de milliers de morts s’est poursuivie au cours des années quatre vingt du siècle dernier, sans troubler véritablement les grandes puissances de la planète.
Les multiples guerres qui touchent aujourd’hui le continent africain n’intéressent personne. Elles peuvent bien tuer des millions de gens et se poursuivre indéfiniment dans la mesure où les grandes sociétés multinationales  continuent d’y exploiter les richesses.

L’équilibre actuel des forces en Syrie nous indique clairement qu’il n’y a pas d’autres solutions que la négociation entre les belligérants. Cette négociation qui ne peut plus être repoussée doit réunir l’ensemble des parties. Elle doit être accompagnée d’un cesse-le-feu immédiat, garanti par l’ONU et soutenu par les grandes puissances.
La communauté internationale doit cesser tout soutien, qu’il soit diplomatique ou militaire, de toutes les parties en présence qui préconisent ouvertement quelque forme que ce soit de violence, de fanatisme ou d’extrémisme. Le respect de la dignité de la personne humaine aussi bien que de ses droits devrait constituer un préliminaire pour toute aide matérielle.

A moins de vouloir épuiser ce pays jusqu’à sa disparition pure et simple de la carte des nations, et le transformer en un territoire morcelé et tenu par des communautés exclusives, à moins de vouloir pousser à l’exil de millions de Syriens dans les pays limitrophes comme le Liban, contribuant ainsi à les accabler terriblement et à les déstabiliser de manière durable et irréversible, il est impératif de tout faire pour que cette négociation se mette en place le plus rapidement possible. Il faut sauver la Syrie d’une disparition certaine, si rien n’est fait.

Les derniers temps, il a semblé que cette négociation était maintenant possible. Une fenêtre vers la paix ne s’est-elle entrouverte en septembre suite à l’échec d’une intervention armée de la France, de l’Angleterre et des Etats-Unis ?
Les peuples se sont alors réjouis que la menace d’attaques aériennes contre la Syrie ait cessé et beaucoup ont soutenu, jusqu’au Comité Nobel, le lancement d’un processus qui vise à la destruction de toutes les armes chimiques trouvées sur le sol syrien.

Il devenait alors évident que la seule voix raisonnable était de se mettre autour d’une table et de discuter d’un avenir pour ce peuple qui souffre et risque de disparaître.
Cette semaine, les responsables des communautés jésuites du Proche-Orient lancent un appel à la réunion d’urgence « d’une conférence de paix pour trouver un accord commun qui puisse sauvegarder les vies des Syriens ».
Ils avertissent aussi que les solutions préconisant l’exil ou l’élimination des communautés chrétiennes de Syrie sont inacceptables.
Comment condamner les Chrétiens à l’exil alors qu’ils sont présents en Syrie depuis 2000 ans ?
De toutes nos forces, il faut alerter l’opinion internationale sur la tragédie syrienne et demander aux parties d’écouter la voix de leur conscience et de ne pas s’enfermer dans leurs propres intérêts. Le conflit en Syrie doit cesser au plus vite !


François Baudin 

vendredi 25 octobre 2013

Les révélations d'Edward Snowden récompensées par le Prix Pulitzer



Les écoutes généralisées : un risque majeur pour l'avenir de l'humanité


Cette semaine, l’ampleur inouïe du scandale des écoutes généralisées opérées par les Etats-Unis d’Amérique a jeté un effroi sur toute la planète.
Maintenant, plus personne ne peut ignorer que le monde entier est écouté par les grandes oreilles américaines.
Ce qu’on soupçonnait déjà auparavant est devenu une réalité brutale : le monde dans lequel nous vivons est un monde orwellien où Big Brother sait tout de vous.

Le rêve totalitaire de nombreux dictateurs de tout connaître des hommes et des femmes qu’ils gouvernent, est maintenant possible. Ce monde est là présent, et caractérise ce qu’on nomme encore la démocratie. Cette réalité ne peut plus être niée.

Jamais un Etat n’a renoncé aux possibilités que la technique pouvait lui donner. Bien au contraire. Des sommes gigantesques, des moyens sans précédent sont mobilisés pour que rien de votre vie n’échappe.

Le souhait des chefs d’Etats européens de formaliser des règles de bonne conduite en la matière, doit faire sourire.

La connaissance de vos moindres faits et gestes, la surveillance généralisée mise en place actuellement est devenue une règle de gouvernement.
D’ailleurs la plupart des Etats européens  souhaitent faire dans l’avenir ce que font déjà les Américains avec la complicité des grandes firmes, fournisseurs d’accès internet et fabricants d’ordinateurs : google, amazone, Yahoo, microsoft, apple,…  

Le prétexte du terrorisme ne tient pas une seconde lorsqu’on sait que ce sont des milliards de données qui sont collectées. C’est effrayant.
Il est effrayant d’apprendre que votre foi religieuse, vos opinions, vos croyances, vos espoirs, vos déceptions, vos déplacements, vos enfants et vos parents, vos amis et les amis de vos amis, vos relations, votre vie privée, votre état de santé, vos SMS, toutes vos communications, vos goûts culturels, vos habitudes de consommation, tout, oui vraiment tout est écouté, suivi, tracé, traité, archivé ad vitam æternam. Rien ne sera effacé, oublié, pardonné. Et si nécessaire, pourra être utilisé contre vous.

A moins de vivre en ermite au fin fond d’une forêt ou isolé dans un désert, personne ne peut échapper à la surveillance.
Est-ce que nous souhaitons vivre dans un monde pareil ?

Beaucoup peuvent se dire : Je ne suis ni un terroriste, ni un délinquant, je n’ai rien à me reprocher, on peut bien m’espionner ainsi. Je ne risque rien.
Cette manière de voir est une grande erreur. D’ailleurs elle était largement partagée par les populations qui vivaient dans les anciens pays du bloc de l’Est ; régimes politiques qui avaient le même objectif de surveillance généralisée. Par exemple en Allemagne de l’Est ou en Pologne, c’était, paraît-il, la moitié de la population qui surveillait l’autre moitié et inversement.

Cette manière d’accepter une telle surveillance est une erreur parce qu’on n’est jamais sûr de l’avenir.
Si l’objectif principal des écoutes généralisées est d’ordre économique comme les accords de libres échanges entre l’Europe et les Etats-Unis nous l’apprennent, ce qui est déjà une atteinte à notre liberté, demain, dans un cadre moins libéral, il sera possible de maintenir toute la population sous la domination de quelques-uns.
Le risque est immense pour notre avenir démocratique.
Aujourd’hui grâce à Edward Snowden, analyste de la NSA qui à ses risques et périls a révélé la vérité au monde, nous savons que nos libertés individuelles sont réellement en danger.

François Baudin


dimanche 20 octobre 2013

Leonarda, la loi et la conscience





Leonarda, la loi et la conscience
Approche des fondations philosophiques

François Baudin
20 octobre 2013


Le débat récent sur l’expulsion de la jeune Leonarda a mis en avant la question du rapport entre la conscience et la loi. Manuel Valls, le préfet concerné et la police française s’appuient sur la loi pour expulser cette jeune fille. Un grand nombre de Français soutiennent cette position en invoquant la loi et son application nécessaire. En revanche des jeunes lycéens et des millions de personnes on été indignés par cette expulsion. Leur conscience dit Non ! Il n’est pas possible d’interpeller un élève pendant ses cours et devant ses camarades, puis de l’expulser.

Le Président de la République François Hollande a une position plus ambiguë puisqu’il maintient une position ferme d’expulsion en s’appuyant sur la loi, alors qu’il permet à la jeune fille mineure de revenir poursuivre ses études si elle le désire. Mais sans ses parents.
Cette décision du président peut aller à l’encontre d’autres lois ou conventions qui, en se référant à l’article 9 de la convention des droits de l’enfant, disent que les Etats « veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant ».

Ce débat qui anime actuellement la France nous parle en définitive du rapport entre la loi et la conscience.
Le but du texte qui suit est d’en apporter un éclairage et d’aller voir jusqu’aux fondements philosophiques de cette question.

 Les points suivants sont abordés dans cet article
  1. toute loi humaine est fondée sur la conscience
  2. chaque acte est accompagné de sa conscience
  3. toute action est fondée sur la conscience
  4. l’action fondée sur la raison est mal fondée
  5. qu’est ce que la conscience et pourquoi fonde-t-elle nos actions ?
  6. le respect de la loi ne peut être fondé que sur la conscience.


L’intimité de l’homme avec lui-même qui se nomme conscience n’est fondée sur aucune loi. Au contraire c’est cette intimité qui la fonde. Elle est en quelque sorte naturelle à l’homme et partagée par tous ; elle est universelle et n’a nullement besoin de la connaissance de la loi pour être mise en pratique. Comment comprendre autrement le passage de l’Epître de saint Paul aux Romains lorsque, parlant de la pratique religieuse des Juifs, il déclare :

« Ce ne sont pas, en effet, ceux qui entendent lire la loi qui sont justes auprès de Dieu ; ceux-là seront justifiés qui pratiquent la loi. Lors donc que ceux des nations qui n’ont pas de loi pratiquent naturellement ce qu’ordonne la loi, ceux-là, sans avoir la loi, se tiennent lieu de loi à eux-mêmes ; ne montrent-ils pas en effet, inscrite dans leur cœur, l’œuvre voulue par la loi, tandis que dans leur conscience y ajoute son témoignage, ainsi que leurs pensées qui tour à tour les accusent ou les défendent. »

Ce passage de la Lettre aux Romains dont l’importance est décisive pour la pensée morale, résume parfaitement l’ensemble de la question et toute sa difficulté.

1. l’apprentissage de la loi n’est pas suffisant, loin de là. Ce qui compte c’est la pratique de la loi. Il y a un lien direct entre pratique et expérience. L’expérience est un acte et pas seulement une simple réception du sens des choses. Un acte, c’est à dire une praxis au sens d’Aristote, un acte trouvant en lui-même sa propre fin, mais probablement aussi une poiesis, c'est-à-dire un acte trouvant en dehors de lui sa finalité.

2. Or cette pratique est naturelle. Elle est inscrite naturellement dans le cœur de l’homme, même dans le cœur de l’homme qui ne connaît pas la loi, ou plutôt à qui on ne lui a pas enseignée, qui n’en a jamais entendue parler. Dans le cœur de l’homme signifie ce que l’homme a de plus intime, d’où jaillit toute action, c’est à dire la conscience. Cependant dans le passage cité de l’Epître aux Romains, le mot conscience apporte un sens supplémentaire : celui du jugement.

3. La conscience témoigne d’elle-même par ses œuvres (actes). Elle détermine aussi la pratique. Chaque œuvre est jugeable selon le sens donné ↔ reçu ↔ produit.↔ redonné, relativement à un procès sans sujet que l’Apôtre nomme la Loi (divine) dans son épître et que nous nommons Logos dans cet article. La conscience devient alors cette faculté de faire sien des jugements sur ses actes et donc donne la possibilité d’agir en retour. La conscience n’est pas la faculté de juger, mais elle est la faculté de faire sien des jugements. Ce qui est différent. Il est important de distinguer faculté de juger et conscience.

4. Paul distinguera dans la suite de son épître : les œuvres voulues par la loi (humaine) ou encore « œuvres légales » dont l’homme peut s’enorgueillir et réclamer un salaire en échange de leur mise en oeuvre puisqu’il en est le rédacteur, le concepteur ; et d’autre part les œuvres de la conscience dont l’homme ne peut s’enorgueillir puisqu’il n’en est pas à la source ; œuvres que Paul définira comme étant œuvres de la foi. C’est bien pour cela qu’il ne faut pas différencier, et encore moins opposer les œuvres et la conscience, les œuvres et la foi. Mais cette non responsabilité humaine que l’on a nommé aussi procès sans sujet, ne signifie pas que l’homme reste passif. La conscience met l’homme en mouvement, le mobilise et l’engage. Cette activité n’a rien d’une œuvre légale, elle peut même à certain moment être illégale.
Si, selon saint Paul, l’homme est justifié par la foi indépendamment des œuvres de la loi (œuvres légales), la foi dont il est question n’est pas envisageable sans les œuvres qu’elle produit. Pour l’apôtre, ces œuvres peuvent s’appeler : justice, miséricorde, fidélité… Justice, miséricorde et fidélité qui sont les œuvres de la Loi (divine), peuvent parfois s’opposer à la loi des hommes lorsqu’elle est injuste et non miséricordieuse.


Voilà qui est bien étrange et mystérieux ! Chaque acte humain est accompagné de sa conscience. Cet accompagnement immédiat et spontané ne nous quitte jamais. La conscience est avec l’expérience des choses. « Avec l’expérience » signifie que la conscience (de celle-ci) en fait partie. De fait, la conscience est transparente à elle-même et rend chaque expérience transparente. On voit que lorsqu’on évoque ce concept de conscience, son aspect moral apparaît naturellement. On peut dire ainsi que la morale est naturelle chez l’homme.
La morale au sens courant de règles de conduite, de mœurs et d’habitudes, a à voir avec le moral au sens de l’état psychologique de quelqu’un lorsqu’il s’approprie une situation à l’instant de son expérience.
Qu’est ce que la morale ? C’est tout d’abord l’action humaine accompagnée de sa conscience, c'est-à-dire la conscience de cette action en tant qu’expérience vécue. Le moral est relatif à la capacité humaine de vivre une expérience et d’en être affecté. La morale est l’ensemble des pratiques humaines dont l’homme a conscience à l’instant de leurs mises en œuvre et que l’homme a transformé ensuite en règles de conduite pour d’autres actions à venir.
 Cette transformation en règles de conduites admises ou non, en normes et en lois partagées ou non, est de second rang. De plus ces règles ne peuvent pas être sans la conscience initiale qu’on en a. L’acte moral est celui qui obéit à l’entente du sens reçu et entendu naturellement lors de l’expérience de quelque chose et non celui qui obéit à des concepts ou à des lois apprises qui peuvent en obscurcir la réception, son expérience et sa conscience.
Les concepts et les lois, les règles de conduite humaines sont de second rang quelle que soit l’appartenance religieuse, culturelle ou « civilisationnelle ». En conséquences les concepts, les lois et les règles de conduite qui définissent le plus souvent la morale, peuvent être considérés comme des écrans qui détournent et même cachent le sens initial de quelque chose à l’instant de son expérience. Ainsi et pour paraphraser Emmanuel Kant et d’une certaine façon le contredire, nous ne tiendrons pas nos actions pour obligatoires parce qu’elles sont des commandement issus de la loi, mais les considérerons comme des commandements parce que nous y sommes intérieurement obligés par notre conscience.

L’instant de l’expérience (Kairos) fonde la philosophie de la conscience entendue comme « métaphysique de la subjectivité » qui fonde elle-même la philosophie morale et politique. La morale et l’action politique y trouvent là leur fondation naturelle.
C’est l’instant de l’expérience dont on a conscience qui fonde la connaissance lorsqu’elle répond à la question « Que puis-je savoir ? ». Cette question ne peut trouver sa source originelle que dans l’instant de l’expérience et la conscience immédiate qu’on en a. L’instant conscient fonde ensuite la question de l’action ultérieure : « Que dois-je faire ? », qui arrive. Et il fonde enfin la question du devenir : « Que puis-je espérer ? » que l’action permet d’envisager. Tout l’intérêt de la raison qui se rassemble dans ces trois questions, n’est autre que d’être à leur service. En ce sens contrairement à ce qu’écrit Emmanuel Kant dans la Critique de la raison pure, la raison est uniquement un organon, un organe, un instrument pratique au service de la conscience . Elle est un moyen pratique qui libère et ouvre l’instant vers son devenir. Elle est un organe qui contribue à poursuivre le devenir.
Ainsi la raison est remise à son niveau pratique qui donne à l’homme sa responsabilité dans le monde. Si la raison (pure et surtout finie ou limitée) est considérée autrement que comme un organe (imparfait et limité) au service de la conscience, si en plus elle est définie comme étant ce sur quoi l’action va se fonder, on ne peut pas rendre à la conscience son rôle fondamental dans l’action pratique. A l’inverse, on peut la rejeter, la mettre de côté, du côté de la spéculation ; on la situe comme quelque chose de tout à fait indifférent quand il s’agit de l’action pratique. Cela veut dire qu’action et conscience sont séparées.

Cependant Kant ne peut pas se résoudre à cette conclusion, et, à la fin de son texte (Critique de la raison pure), il introduit l’idée du Souverain bien à partir de l’idée leibnizienne du Règne de la grâce distingué du règne de la nature. Ce Souverain bien qui selon Kant est extérieur au règne de la nature, le fonde, le maintient et « accomplit selon la plus parfaite finalité, l’ordre qui règne universellement dans les choses, bien qu’il nous soit dans le monde sensible, très fortement dissimulé ». Or selon Kant, ce règne des fins qui sont en définitive celles de la moralité, seule la raison pure peut nous le faire connaître. Pourtant le philosophe de Königsberg écrit que sans cette unité finalisée, sans cette unité systématique des fins, l’homme n’aurait pas même de raison (pure ou pratique). C’est donc que ce règne des fins est à la fois le fondement et la finalité de toute chose et aussi le fondement et même la finalité de la raison pure qui permet justement de le connaître, tout au moins de l’entendre. Ce que Kant appelle la raison pure, ne serait-ce pas alors ce que nous appelons conscience ?

L’action fondée sur la raison est mal fondée ; elle est même infondée. Car qui peut prétendre juger en vérité ? Qui peut prétendre savoir et déterminer ce qu’il faut faire ? Seule la conscience est en capacité de répondre. Ce que Kant appelle les principes de la raison, peuvent devenir les principes de la raison du plus fort qui commande ce qui doit être fait. Et la morale être la morale de ceux qui dominent. Il n’est nullement acceptable moralement que ces actes ainsi commandés puissent se produire. Seule la conscience qui entend le sens est en capacité de fonder l’action humaine. Et souvent la conscience nous appelle à nous indigner et à désobéir. Il s’agit alors de répondre par des actions à cet appel et non de répondre à ce qui est prescrit en tant que maximes ou lois.
Nous n’insisterions pas autant sur la critique du kantisme si celui-ci n’avait pas pu produire de si terribles conséquences, notamment en Allemagne entre 1933 et 1945. Nous nous appuyons pour le dire non pas sur des déclarations de dignitaires nazis qui se réclamaient de Kant et pouvaient nous tromper sur ce point ou vouloir minimiser leur propre responsabilité lors de procès ultérieurs tenus en Allemagne ou en Israël, tel celui d’Eichmann en 1961, mais nous nous appuyons sur le texte Critique de la raison pure qui porte ce risque lorsqu’il tend à fonder l’action sur la raison. Il s’agit bien de fondation sur raison et pas d’usage pratique de la raison, qui de toutes façons ne peut être fondé que sur la conscience. La critique portée à Kant est d’ordre philosophique. Elle touche les fondements de sa pensée.

Ce mot conscience utilisé par saint Paul est la traduction du grec suneidêsis, alors que le mot conscience directement traduit de l’anglais consciousness est d’origine latine. Conscientia pourrait signifier faire sien un savoir : cum+scire. Le mot grec suneidêsis est plus proche de la signification morale dans les deux sens de moral (avoir le moral) et morale (obéir à sa conscience) : l’individu seul avec lui-même et au plus intime de lui-même, a conscience immédiatement de la dignité de sa propre conduite, du sens de ses actes et de la valeur de sa personne,… ce qui peut l’affecter au moral, c'est-à-dire le rendre intimement heureux ou malheureux, en alerte ou en repos.

L’intime est dit de différentes façons dans les langues anciennes, en Grec ou en Hébreu : il peut s’agir du cœur, des poumons, de l’estomac, du diaphragme, des entrailles… Et aussi bien sûr de l’âme qui à elle-même tient un discours sur les objets qu’elle examine. « L’âme, quand elle pense, ne fait pas autre chose que s’entretenir avec elle-même, interrogeant et répondant, affirmant et niant, dit Socrate à Théétète. » Il s’agit alors d’un dialogue intérieur, d’un jugement, d’un calcul réalisé sur la base d’un faire sien, d’une appropriation. Car que signifie cette sorte de restriction sous entendue par Socrate lorsqu’il dit : « l’âme, quand elle pense… » ? N’est-il pas alors sous entendu par Socrate que l’âme ne fait pas que penser, comme l’estomac, les entrailles ou le cœur qui eux ne peuvent jamais le faire ? Âme et acte de penser seraient-ils donc à distinguer ?
L’âme où pourrait se situer l’acte de penser, de juger, de calculer, de viser,… serait-elle aussi le lieu du faire sien, le lieu de l’accord intime de soi avec soi, ou de la chose avec soi ? Il semble que pour ne pas confondre le lieu de l’acte de penser et aussi de parler, avec le lieu de « l’appropriement » du sens porté par chaque chose une (y compris soi-même), les Anciens ont situé ce lieu dans les organes intimes du corps qui sursautent à l’instant du faire sien, comme les poumons halètent et le cœur tressaille ou peut tressaillir à l’occasion de l’expérience ; ce lieu, ils l’ont très souvent situé en dehors du cerveau déjà bien identifié comme siège de la pensée et du langage. Pour celui qui veut faire de la philosophie autrement, cette distinction entre la conscience et l’acte de penser est indispensable. Dire que conscience et pensées ne sont pas séparables, c’est dérober et oublier l’essentiel de ce qu’est l’homme. Mais cette distinction reste très difficile à effectuer, car depuis ses débuts elle a été manquée par les philosophes qui s’attacheront principalement à l’acte de penser et donc de produire des concepts, des lois et des règles.

La conscience est également silence. Comment parler de ce silence de la conscience sans devoir la délimiter, la viser, la réduire, l’analyser comme un domaine sans signe originaire. Comme si on pensait que ce silence de la conscience qui est absence de parole humaine devait être impuissant à faire surgir la vérité ? Justement, nous ne le pensons pas. Car c’est par ses œuvres que le silence de la conscience se fait entendre. Le silence est communiqué au dehors par les œuvres qui le révèle. Cette voix intérieure et silencieuse n’est-elle pas à la source du langage comme de toute œuvre humaine ? Le langage est alors le telos du Logos. Il est sens et puissance actualisés, comme les œuvres (ergon) le sont.
 Le Logos désigne à la fois la raison des choses, leur accomplissement, leurs interactions, leur commencement, leur fin, ce vers quoi elles se réfèrent pour se mouvoir. Le mot désigne aussi le discours, le récit, ce que les choses nous disent, ce qu’elles nous délivrent comme sens et ce que nous en en disons ensuite afin de transmission-émission.
Le Logos est également ce qui fonde le devenir, le mouvement, et lie toutes les choses entre elles. Les Grecs ont inventé le mot Logos que nous avons traduit de multiples façons, chacune renvoyant à telle ou telle définition : discours, récit, langage, acte, raison, souci, ordre, organisation, commandement, sagesse, lien, rassemblement, présentation, disposition, fondement, parole, verbe, etc. Cette prolifération du sens du mot Logos nous dévoile en définitive la prolifération du sens grâce et à travers les choses, et dévoile la manière de le délivrer, le présenter en toutes choses, le donner en présent, en cadeau ; présent en chaque action, dans chaque échange, chaque interaction, au commencement comme à la fin. Le Logos, c’est aussi ce qui unit, rassemble ; il est lien et interface. Le Logos n’est pas que le sens, mais il est aussi puissance ; il est ainsi exactement dénommé : sens et puissance liés. Logos ne peut s’entendre que de cette façon. Ce qui veut dire que tout acte, tout échange, toute pensée s’y réfèrent et y trouvent sa fondation ; que toute actualisation, toute production, toute création le porte.
Et la manière pour l’homme d’interpréter ce mot Logos, dévoilera toujours sa façon d’interpréter le monde. Soit en y voyant le Verbe de Dieu. Soit en y voyant la raison humaine incarnée par le langage et donnant ainsi lumière sur le monde. Soit encore en y voyant ce qui unit, anime, génère et rend possible le parcours, le passage du sens, sa transmission comme son émission, et permet ainsi l’accomplissement de toute chose, de tout être vivant ; y compris et plus que tout autre existant, l’être humain grâce à sa capacité qu’il a de l’écouter, de le faire sien. L’histoire de la philosophie peut être celle de l’interprétation du mot Logos.

La conscience (faire sien) est accord de la chose à soi et accord de soi à soi. Le mot accord qui renvoie à ce qui est uni cœur à cœur, est un état qui résulte d’une entente. D’une part il est cet un avec toujours présent à soi, et d’autre part l’accord entre en dialogue avec lui-même. Son lieu se nomme l’âme où la conscience opère. Voilà le propre appropriant dont on est sûr parce qu’il est sien et fait sien dans une proximité et une transparence absolue. L’appropriant rend propre. Et en tant que propre, il est ce qui convient ou doit convenir. Le propre peut alors revêtir ses deux sens habituels : ce qui appartient à soi et ce qui est convenable, en accord, comme la chemise blanche que je porte ce matin est propre.
Ce que nous nommons sous le néologisme « appropriement » renverrait à ces deux sens du mot propre : avoir en propre, faire sien, et rendre convenable. Le convenable est ce qui vient de manière appropriée, ce qui est en accord et sur lequel on peut s’appuyer pour continuer. Il est ce qui est accompli. Quelque chose dont on est sûr. Il ne s’agit pas d’une certitude apprise au sens d’une loi morale, d’une règle ou d’une norme venue du dehors, mais d’une certitude innée, quelque chose que l’on sait au plus intime sans l’avoir jamais apprise.
La conscience dans ce cas est ce qui permet d’être sûr et certain du juste. Elle nous garantit de la justesse ou non de l’acte sans même connaître la loi humaine, le dire qui le montrerait, l’édicterait ; ni connaître les normes, les dits et écrits ; ni avoir en mémoire les verdicts dans le cas où l’acte qualifié comme juste et conforme serait ou ne serait pas accompli. Le juste serait non pas ce qui est désigné comme étant conforme à la loi et à ses exigences, ce que les Grecs nomment le dikê qui a donné le verbe dire et tous ses dérivés.
Deik/ dikê signifie montrer, indiquer. Mais montrer quoi ? Montrer et dire la loi, ce qui a été décidé comme juste, parfois l’imposer avec force comme un doigt invisible mais inquisiteur désigne le sens, la faute et le coupable ; montrer par une ligne droite qui sépare et répartit le bien du mal séparés en deux aires distinctes, comme en deux prairies séparées par un droit chemin.
Non, le juste n’est pas montré par cette ligne que je trace sur le sol et qui départage tel un butin le tien du mien, le juste de l’injuste ; le juste pouvant en maintes occasions se confondre avec ma part, car la ligne de partage bien que prétendue droite est parfois une marque symbolisant la séparation entre le fort et le faible, le dominant et le dominé ; cependant qu’elle distribue ce que d’autres peuvent considérer comme injuste : cette portion que chacun reçoit dans le partage.
Si le juste est montré, il l’est par les œuvres de la conscience et non par celles de la loi qui mettent en avant la norme, les concepts, les discours ou les idées. Ce premier rang voulant déterminer les pratiques de chacun. Les idées dominantes sont celles de ceux qui dominent et ont les moyens et la puissance de faire qu’elles dominent.

Il y a comme un basculement entre l’œuvre et la loi qui amène la confusion entre ce qui fonde et ce qui est fondé. Cette confusion inverse la fondation. Le renversement ou basculement risque de nous conduire à la confusion entre la Loi en tant que Logos et la loi en tant que discours. Héraclite devait avoir conscience de ce risque, de cette difficulté lorsqu’il appelait ses contemporains à écouter « non moi » (les lois, les normes, les idées, le diké, les dires et les représentations,…), mais nous invitait à écouter le Logos.
N’est-ce pas le rôle de la philosophie que de montrer la fondation et de remettre les choses à l’endroit ? La loi est le tyran des hommes si elle n’est pas fondée sur la conscience. Le juste est ce que la conscience humaine entend naturellement au plus intime sans la loi qui viendrait la guider. Le juste qui trouve en la conscience son fondement est ce dont l’homme est certain sans l’avoir jamais appris. Il est également ce que la conscience produit en tant qu’œuvres. Dans ce cas la conscience est bien ce qui détermine la vie et fonde la loi et pas l’inverse qui nous dit que la loi détermine la conscience. La conscience a en elle cette puissance de fondation que rien ni personne ne peut anéantir. Ainsi la loi humaine doit être fondée sur la conscience. Sinon elle risque d’être fondée sur la domination et être considérée comme injuste. Elle sera et devra être dans ce cas méprisée et même combattue et non pas respectée au sens kantien du verbe respecter lorsque Kant nous demande de respecter la loi morale.
La loi est le résultat d’une activité humaine qui sera appropriée ou non sur le fond de la conscience et jamais l’inverse qui dirait que la conscience opère selon la loi. En ce sens la loi n’est pas le fondement de la détermination de l’agir. Alors que la conscience est le fondement puissant et infaillible de toutes activités humaines et de toutes pensées.

En conséquence le respect de la loi ne peut être fondé que sur la conscience qu’on a à l’instant de l’accueil des choses du monde. Le respect est une manière de regarder (specere) quelque chose ou quelqu’un comme étant déjà là dans son entièreté et de l’accueillir comme tel, donc une manière de le recevoir comme fin et non comme moyen. Respecter signifie regarder humblement et aussi parfois avec admiration lorsque l’accord se fait avec ce qu’on reçoit.
S’agit-il d’une forme de soumission ?
Oui si on se soumet à sa conscience.
Non si, en respectant la loi, on doit s’y soumettre aveuglément.
Aveuglément signifiant alors : sans l’entente de ce que la conscience nous donne. Etre aveugle est être aveugle à sa conscience. Ainsi au fondement du respect et/ou de l’admiration, on ne trouve pas la loi, mais on trouve notre capacité de l’entendre, d’en recevoir le sens.
Je ne respecte pas une personne existante parce que la loi me le dit, mais je la respecte dans son entièreté d’être existant. Par contre si c’est la loi qui fonde le respect, c’est elle qui devient la norme collective à laquelle on se soumet. Dans ce cas respecter la loi peut mener l’homme à commettre des crimes.
Alors pour celui qui écoute sa conscience il est possible et même souhaitable de ne pas respecter la loi, de la mépriser et même de la combattre. On ne devrait pas respecter quelque chose en fonction de la valeur que la loi lui reconnaît, mais au contraire on reconnaît de la valeur à ce qu’on respecte et on admire, à ce qu’on regarde humblement et avec qui, ou avec quoi, on est en accord, en relation cœur à cœur, en abandon. Respecter quelque chose signifie être en réserve vis-à-vis de cette chose ou de cette personne, être en retenue et en accord. Conscience et respect sont inséparables. Si le respect est un mode de réceptivité, cette manière de recevoir est le résultat de la conscience de cette même réceptivité et non le résultat d’une loi morale édictée par les hommes.

Le respect, comme la loi qui en est issu, est une modalité pratique de la conscience. La conscience est la source originaire de toute action. Source à la fois immanente et transcendante. Lieu de rencontre de ce qui est au plus intime de l’homme et du sens qu’il reçoit de l’extérieur et vers lequel il tend. Lieu qui reste pourtant mystérieux et inconnu à l’homme, mais qui s’impose comme fondation solide. Lieu que chaque philosophe se doit d’explorer comme on explore un chemin non encore parcouru, car il est au fondement de toutes pratiques humaines. Lieu que tant de penseurs ont rejeté dans l’ombre au profit de la raison et de la rationalité, en n’y voyant que spéculation. Rejeter l’âme et la conscience dans la spéculation fut une grande erreur commise par de nombreux philosophes. Par exemple Kant écrit dans la partie intitulée Canon de la raison pure qu’il ne saurait prendre cela (l’âme ou la conscience) en compte comme « principe d’explication vis-à-vis des phénomènes de cette vie ». En définitive pour la philosophie dominante actuellement, aucune valeur ne doit lui être accordée. Position que nous rejetons puisque justement nous fondons notre philosophie sur l’expérience et la conscience immédiate de celle-ci.

Si Marx avait raison de partir de l’individu réel et vivant et de considérer la conscience comme sa conscience voulant ainsi s’opposer à l’idéalisme allemand, il est maintenant possible de dire, contrairement à lui, que c’est la conscience de ce même individu qui détermine sa vie et ses œuvres qui ne sont ni dominées ni déterminées par la loi, les concepts ou les idées, ni par les conditions politiques et économiques vécues, que ces lois ou ces conditions vécues soient en accord ou non avec la conscience.
La conscience contre l’ordre dominant, la conscience contre les idées et les discours, contre les opinions, contre la reproduction, contre le déterminisme, contre les conditions vécues dans l’expérience : telle est la recommandation d’Héraclite lorsqu’il nous enjoint d’écouter « non moi », mais le « Logos ». Ce moi dont Héraclite nous parle, de quoi est-il le nom ? Il se nomme idée, discours, opinion, éducation, concept, loi,… D’une certaine façon Héraclite nous dit que lorsque vous n’écouterez plus ce moi, vous aurez conscience alors qu’il était en fait dans la plupart des cas un moyen de domination et de subordination, une aliénation. Son empire cessera de lui-même sa domination et vous saurez qu’il n’était là que pour se maintenir et se reproduire. Son empire gardé par les producteurs de concepts, d’idées ou d’opinions n’était qu’une illusion. Un tigre en papier. Ne croyez jamais sur parole ce que l’époque dit d’elle-même à travers ses penseurs appointés ! N’écoutez que votre conscience, croyez ce qu’elle vous dit.

La conscience désigne ce qui est le plus intime du plus intime, le plus clos du plus clos, le château intérieur, le for(t) intérieur que rien ni personne ne peut forcer, ni les lois humaines et ni la force si elle s’y oppose. Et aussi elle est ouverture, elle n’est même que cela ; elle est ce qui est le plus ouvert et le plus libérateur du sens porté par les choses, y compris soi, en les rendant convenables, aptes à se poursuivre.
La conscience est à la fois une adhésion : faire sien, et une objection : dire non à l’opinion, au moi, et elle est un « appropriement » : rendre convenable. Et l’être conscient est celui qui fait sien le sens porté par les choses et contribue dans les limites de l’expérience qu’il en a à les rendre convenable, c'est-à-dire apte à se poursuivre, à s’accomplir en plénitude. Tel est le double sens du concept d’appropriement (faire sien et rendre pleinement convenable) alors que couramment le mot appropriation n’en rend qu’un, celui de faire sien.

Mais dans cette acception de la conscience comme « appropriement », il manque une troisième donnée ! Car il faut toujours trois pour être un. Cette troisième donnée se nomme Logos. Ou encore ce que Paul nomme la loi de l’Esprit. Ecouter le Logos libère de la loi des hommes, de leur discours comme de leurs opinions, et libère l’homme de sa propre volonté comme de ses propres efforts. Ainsi le propre est en un même instant, ce qui est le plus particulier et rien d’autre, le plus convenable et accompli, et aussi ce qui est le plus ouvert et le plus universel, le moins caché et le plus commun à tous puisqu’il est fondation qui se nomme Logos.
Le plus universel, le plus commun à tous…, car ne dépendant d’aucune loi particulière, même d’aucun idéal, mais au contraire les fondant toutes et tous. Enfin et ce n’est pas le plus insignifiant, la conscience à son instant du faire sien le sens de quelque chose est réponse à cet appel du sens en terme d’exigences que l’homme se donne à lui-même. Mais ces exigences au même instant sont fondées au plus intérieur de l’homme et fondées extérieurement.
Ce fond est si puissant qu’il en est redoutable à quiconque veut le réduire et le dominer.

François Baudin







vendredi 18 octobre 2013

Leonarda et les lycéens



L’arrivée inattendue des lycéens manifestant leur soutien à la jeune Leonarda a peut-être fait basculer les esprits de nos compatriotes.

La politique de fermeté prônée par le gouvernement et symbolisée par les expulsions, a pris le visage simple d’une jeune fille entourée par ses professeurs, par ses amies, et maintenant par toute une génération qui refuse l’injustice et l’arbitraire.

Soudain la générosité d’une jeunesse s’opposant à cette politique sans visage, est venue perturber l’ambiguïté gouvernementale actuelle, qui de fait et jusqu’à preuve du contraire, souhaite poursuivre ce qui avait été mis en œuvre auparavant par le précédent gouvernement lorsqu’on présentait le nombre de reconduites à la frontière comme des victoires gagnées contre la délinquance.

Que retiendrons nous de cette période ? Comment est-il possible qu’un gouvernement qui se réclame des droits de l’homme, des droits particuliers de l’enfant et des droits de la famille, participe à la détérioration d’un climat en bafouant à ce point les valeurs d’humanité et de solidarité ? N’assistons nous pas à la défaite de la pensée ? Notre désarroi est grand, notre consternation est immense et n’a d’égale que notre indignation. Nous attendons avec impatience la réaction du président Hollande face à ces expulsions d’enfants scolarisés.

L’histoire ne nous a-t-elle pas appris que chercher un enfant dans son école, cela peut aussi s’appeler une rafle.

Présenter les émigrés, clandestins ou non, enfants et adultes, comme des délinquants dangereux, non insérables par essence, est une façon de tromper l’opinion publique et de satisfaire ce qu’il y a de plus sombre en l’homme.

Mais lorsqu’une politique prend un visage particulier, celui d’une jeune fille de 15 ans au milieu de ses camarades, cette politique devient insupportable à la plupart d’entre nous. Leonarda est devenue le symbole du refus de toute politique qui n’est pas fondée sur les valeurs morales.

La persistance actuelle de cette question de l’immigration présentée comme un danger, comme une invasion, et la montée des réactions indignées face à la politique migratoire actuelle de la France et plus globalement de l’Europe, doivent alerter nos consciences. Car derrière les chiffres, derrière les statistiques, il y a des hommes, des femmes, des enfants, qui parfois meurent au cours de leur odyssée. Les évènements dramatiques de ces dernières semaines en méditerranée viennent encore de nous le rappeler.
Le destin de millions d’hommes se jouent actuellement. Il n’y a pas de manière douce et humaine d’expulser une famille.

Le pape François disait lors des JMJ de Rio en juillet dernier, qu’il n’appréciait pas les jeunes qui ne protestaient pas.
Les jeunes lycéens nous disent cette semaine qu’ils ne veulent pas être enfermés là où on souhaiterait les mettre, c'est-à-dire dans une société de l’indifférence, de l’individualisme, dans un monde vide de sens dominé par la futilité et le provisoire.


François Baudin

vendredi 11 octobre 2013

Enfer des pauvres et paradis des riches





« C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches », écrivait Victor Hugo dans L’homme qui rit.
La tragédie de Lampedusa n’a pas encore fini d’envoyer son message jusqu’à nous. Chaque jour de cette semaine le nombre d’Africains extraits du fond du bateau englouti, a augmenté ; et le drame est devenu insoutenable. Un drame mondial. Ils sont maintenant plus de 300 noyés dont 83 femmes et 9 enfants.
L’Europe rêvée par ces immigrés est un cauchemar, et les eaux bleues de la méditerranée sont devenues leur tombeau. Misère de l’immigration, émigration de la misère….

Selon des estimations, depuis 1999, plus de 200.000 migrants ont transité par Lampedusa. De nombreuses personnes y trouvent la mort régulièrement en cherchant à rejoindre cette île. L'an dernier, 500 personnes ont ainsi péri en mer. Mais il est d’autres endroits en méditerranée, Ceuta et Melilla enclaves coloniales européennes au Maroc, prisons pour Africains. 
On estime à 20 000 le nombre de morts devant les remparts de l’Europe depuis le début des années 90, dont peut-être 10 000 disparus en mer. On ne sait pas exactement. D’ailleurs qui s’intéresse véritablement à ces êtres humains dont la vie ne compte pas ?
Combien de morts devront nous atteindre pour qu’enfin une vraie réponse soit apportée par ceux qui dirigent les pays européens ?

Jusqu’à aujourd’hui seule une réponse de type policière est mise en avant. C’est la guerre qui est déclarée par les autorités. Cette guerre est menée par Frontex, une entreprise à moitié privée et donc à but lucratif. Guerre que cette agence européenne voudrait nous faire passer comme humanitaire. Guerre contre les pauvres, guerre contre les immigrés, contre les réfugiés qualifiés par les autorités d’illégaux ou clandestins, d’indésirables, pour mieux les stigmatiser et les combattre.
L’Union européenne a déclaré la guerre contre les pauvres du monde entier. Et le commissaire Barroso est venu cette semaine à Lampedusa pour nous le rappeler en augmentant les moyens financiers attribués à Frontex.
Comment nommer autrement que par le mot guerre, la mise en place de dispositifs destinés à repousser celles et ceux que la misère et les persécutions chassent de chez eux ?
Ainsi Frontex déploie ses navires, ses hélicoptères, ses avions, ses radars, ses caméras thermiques et bientôt ses drones en méditerranée, non pas pour sauver des vies humaines comme cette agence voudrait nous le faire croire, mais pour combattre toute incursion sur le territoire européen.
Comment nommer autrement que par le mot guerre contre les pauvres, la collaboration imposée par l’Europe à la Libye, l’Algérie, la Tunisie ou le Maroc – afin qu’ils jouent le rôle de garde-chiourmes. La méditerranéenne est une des zones les plus surveillées du monde où périssent pourtant des dizaines de milliers de personnes. Est-ce possible ?

Comment comprendre ce monde qui promeut la libre circulation des biens et pousse à la circulation incessante de la finance internationale, alors qu’il ferme ses frontières aux hommes et au femmes ? N’y a-t-il pas là comme un parfum de scandale ? L’homme vaut-il moins qu’une marchandise ?

Avons nous perdu le sens de la responsabilité fraternelle, demandait le pape François en juillet dernier à Lampedusa. Dans ce monde de la mondialisation, nous sommes tombés dans la mondialisation de l’indifférence.

Aujourd’hui il y a une nécessité urgente à faire cesser le pillage des richesses africaines fondé sur la guerre et la corruption, et urgence également à travailler au développement intégral de l’Afrique.
François Baudin

mercredi 2 octobre 2013

vers un monde sans dimanche


Le monde vers lequel on va, sera-t-il un monde sans fête, sans dimanche, sans repos ni respiration ? Un monde où domine la marchandise, où tout s’achète et tout se vend, de jour comme de nuit. Mais aussi un monde où le travail devenant de plus en plus rare, beaucoup sont condamnés à attendre qu’un employeur veuille bien les embaucher parfois pour des salaires dérisoires de quelques euros et pour des temps partiels imposés menant à une précarité certaine.

La tendance immanente du système de production proposé est de s’approprier le travail des personnes pendant les vingt quatre du jour et les sept jours de la semaine.
La tendance immanente du marché est de transformer chaque chose en marchandise et en bien de consommation.
La tendance de la société fondée sur ce type d’économie est de nous pousser à devoir sacrifier au culte de la consommation tous les jours de l’année, y compris dimanches et jours fériés.
Nous assistons à une extension du domaine de la marchandise.

Tel semble être l’enjeu actuel qui vient, une fois encore, de nous être rappelé cette semaine.

Est-on revenu à des débats d’un autre siècle lorsque le repos dominical, le travail de nuit, le travail des enfants, la journée de huit heures,… faisaient l’objet d’âpres revendications ?
Tout ce qui a pu représenter un progrès social et donc un progrès pour l’humanité est actuellement remis en cause. On assiste à une véritable offensive contre le droit. Une sorte de déchaînement se poursuit contre ce qui a été et ce qui est toujours pour les hommes une amélioration de leur bien être.

Ce qui paraissait encore impossible il y a quelques années, devient aujourd’hui une nécessité soit disant économique. En maints endroits de la planète vous verrez des hommes travailler jour et nuit, toute la semaine et dans les pires conditions, vivants dans des espèces de camp de travail. Allez en Chine ou au Qatar où se prépare le Mondial de football de 2022 dans les pires conditions d’exploitation humaine ressemblant à de l’esclavage.

Est-ce ainsi que nous souhaitons vivre. ?

Aujourd’hui, une forme sauvage de l’économie se développe dans une logique de profit et d’exploitation sans attention aux personnes.

Une menace pèse actuellement sur l’Europe et sur le monde entier : la menace d’un monde sans éthique, injuste et dans lequel l’argent et la recherche du profit immédiat commande tout.
Et cela nous est présenté comme seul système possible, quelque chose d’inéluctable, de naturel, et même de souhaitable.
On nous explique alors que le fait de devoir travailler le dimanche et la nuit, est la seule chance pour notre pays de se sortir des difficultés dans lesquelles il se trouve.

Il est urgent d’imaginer un autre monde et de rêver à son avènement. Un monde fondé sur le sens du don, de la solidarité, du partage et de la gratuité. Un monde où il fait bon vivre. Un monde possible. Réenchantons nos dimanches.