mercredi 20 février 2019

En morceaux par Claude Vautrin


La France en morceaux ! Comment ne pas en observer, regretter le constat, sans pour autant ne pas en assumer la responsabilité. Etymologiquement, morceau signifie, à propos d’un mets solide, un de ceux qu’on détache en mordant. Il nous souligne aussi qu’une telle partie n’est pas forcément comestible. Voilà bien ce qui me pousse depuis quelques trois mois à ne pas digérer les méchants ingrédients, qui sont autant d’insultes à mon éducation, mes acquis, mes interrogations. N’en vient-on pas aujourd’hui, dans notre si chère République, à rejeter, malmener, voire nier un mouvement spontané, riche de citoyens en mal d’expression, sans doute parce qu’ils ne comptaient plus, sinon pour les taxes dont ils s’acquitt(ai)ent, celui des Gilets Jaunes- ce n’est pas un gros mot. Sans parler des cheminots hier, des lycéens, au combat quasi inaperçu, des salariés désemployés, des entrepreneurs désabusés... Là n’est pas le pire. Les premiers ont-ils trouvé la possibilité de s’exprimer - dans la rue, aujourd’hui, dans les urnes, demain - et les voilà, immédiatement accablés du pire : crétinisme, complotisme, racisme, homophobie, et désormais antisémitisme.
Le puzzle républicain, jamais définitivement composé, tant est harmonieuse sa composition et fragile son devenir, en vient même à mettre le doute sur ce qui relève de la fraternité et du mépris de classe, de la démocratie et de l’écran de fumée, oratoire ou lacrymogène, ou encore de l’antisémitisme et de l’antisionisme. A ne plus rien comprendre dans ce qui nous a construit : la liberté (de conscience et des peuples, ici et là, à disposer d’eux-mêmes), la fraternité, en mal, c’est vrai, de repères, et l’égalité, en somme la justice sociale, réellement défaillante, ce n’est pas nouveau.
Le constat, malheureusement lucide, n’incite-t-il pas tout un chacun à se regarder dans le miroir. Mais cela suffit-il ? Doit-on en effet se contenter des brisures qui le maltraitent, ou faut-il appeler à sa rupture, face aux entreprises de démolition en cours ?

Claude VAUTRIN

jeudi 14 février 2019

Des gilets jaunes pour être visibles



– Comment analysez-vous le mouvement des Gilets jaunes que vous accompagnez depuis sa création en novembre 2018 ?
– La révolte vient de loin. Elle est très profonde et touche les couches les plus populaires de notre pays. Il semble que le pouvoir et les institutions étatiques auront quelques difficultés à le faire rentrer dans le rang.
Ce mouvement est spontané et encore inorganisé malgré quelques tentatives très intéressantes de se coordonner démocratiquement comme cela a eu lieu le 27 janvier à Commercy dans la Meuse à travers une assemblée des assemblées ; il nous réconcilie avec le pays que l’on pensait en proie à ses démons nationalistes, à la démobilisation ou encore au renoncement face aux inégalités monstrueuses que ce monde produit.
 Qui sont ces Gilets jaunes que vous côtoyez régulièrement ?
– Ce sont des personnes qui, pour la plupart, sont en situation précaire ou de précarisation rapide. Elles n’ont pas d’avenir dans la société française d’aujourd’hui, elles étaient invisibles, au bord de la route et, soudain, elles enfilent un gilet jaune fluo et deviennent visibles, elles existent. Il y a des gens au bord de la précarité en France qui exigent plus d’égalité et plus de démocratie. Ils posent comme principe et comme réalité que tous les hommes sont capables de penser et donc d’agir et s’occuper des affaires de la cité, d’avoir des émotions poétiques et esthétiques, d’entendre le sens des choses…
– Cela fait trois mois que les GJ, comme on les appelle parfois, manifestent sur les ronds-points et dans les rues des villes. Jusqu’où iront-ils ? Jusqu’à quand ?
– Nul ne sait jusqu’où ce mouvement ira. Peut-être une conscience nouvelle émergera-t-elle face aux énormes puissances économiques mondialisées et à l’État libéral qui les sert. Alors un nouveau sujet viendra frapper à la porte de l’Histoire pour s’y installer.
C’est un événement inouï lorsque des hommes et des femmes qu’on ne comptait pas, qui à aucun titre n’étaient appelés à exercer le pouvoir, des gens de rien qui étaient en excédent-jetable, surnuméraire sur le compte de la société, se mettent soudain à exister, font effraction, occupent les ronds-points et les rues des villes revêtus d’un gilet jaune pour être vus et se rappeler à la politique. Au fond, les gens rassemblés dans ce mouvement veulent un autre destin et s’estiment capables de le conduire, et donc capables tout de suite de s’occuper des affaires communes. Le fameux RIC réclamé à cor et à cris en est le symbole simplifié. Ce qui paraissait hier encore impossible devient possible.
 A quel prix ? Celui de la violence, des exactions, des blessures…
– Oui, il y a eu une douzaine de morts, plus de 2.000 blessés, des mains arrachés, des yeux crevés, 1800 condamnations par la justice et presque autant en attente de jugement. Il y a aussi des policiers blessés, des magasins détruits, des symboles de la République tagués. Mais la violence elle est d’abord sociale. Elle est dans la vie qu’on fait mener à ces populations précaires et à leurs enfants. On peut comprendre, sans la justifier, la violence des GJ dans les rues.
Et puis, l’Histoire nous apprend que rien n’a été obtenu sans la violence : le suffrage universel, l’abolition de l’esclavage…
– Outre la violence dont on les accuse, les GJ seraient aussi racistes et antisémites. Qu’en pensez-vous ?
– La vague de mépris dont les Gilets jaunes continuent de faire l’objet mérite à elle seule d’être analysée. Homophobes, racistes, antisémites, complotistes, tout a été dit pour les disqualifier. Ce mépris me fait penser à certains intellectuels, écrivains, valets du pouvoir et journalistes face à la Commune de Paris en 1871 ou face aux journées de Juin 1848. Deux événements révolutionnaires où des milliers de Parisiens se sont fait massacrer par l’armée et déporter par les gouvernements de l’époque. Aujourd’hui bien sûr, il n’y a plus de massacre, mais comme je l’ai dit : les éborgnés, les mutilés sont nombreux. Et beaucoup de manifestants ont été emprisonnés, mis en garde à vue ou interdit de manifester.
La faute aux journalistes ?
– A travers l’histoire et devant la levée d’une partie du peuple, beaucoup d’intellectuels et écrivains ont ouvertement pris position contre le mouvement avec une virulence qui surprend toujours par son ampleur ; refusant de comprendre les raisons de se révolter, de saisir les causes profondes qui viennent de loin, ces intellectuels et journalistes ont failli à leur devoir. Il s’agit d’une véritable trahison. Il en était déjà ainsi face aux paysans de 1789 traités de ploucs, de gueux, de foules stupides et haineuses, d’ignares, éternelle race d’esclaves ; idem en 1848 : ivrognes, jouisseurs, barbares, sans le sou, fainéants ; rebelote en 1871 : sauvages, nomades, pétroleuses, incendiaires, races primitives, populace, etc. Et aujourd’hui le peuple en mouvement devient raciste, antisémite et homophobe.
– On essaie ainsi d’étouffer le mouvement des GJ ?
– C’est une guerre idéologique. En présentant les Gilets jaunes comme des complotistes, des racistes, antisémites etc. ils deviennent infréquentables. Et puis, il y a le Grand Débat National qui est principalement un écran de fumée. Enfin, un durcissement de la répression via cette loi anticasseurs qui a pour but d’empêcher les Gilets jaunes de manifester.
– Comment tout cela va finir ?
– On ne peut pas savoir. Le mouvement est très profond. La revendication du RIC (Référendum d’initiative Citoyenne) symbolise la démocratie directe qu’ils souhaitent. Les Gilets jaunes veulent plus d’égalité fiscale et sociale. Maintenant que le peuple a commencé de se soulever, de s’émanciper, le combat démocratique doit être mené jusqu’au bout ; il sera long.
*Editions Kaïros


mardi 5 février 2019

Incohérences ! par Claude Vautrin




Incohérences !

Observez la planète est toujours éclairant. A cet égard, les convulsions qui agitent le Venezuela, et les incohérences qui en résultent de la part de certains dirigeants occidentaux, méritent à coup sûr quelque attention. Etymologiquement, l’incohérence nous ramène à ce qui manque de lien logique. J’en note une de taille : le recours à l’aide humanitaire comme arme de pression. Brandie au nom de la liberté par l’auto-proclamé président Guaido, chef du Parlement et opposant au légitime - jusqu’à preuve du contraire – du président Maduro, elle prend forme dans le bruit des chenillettes de l’armée colombienne, fermement stationnée à la frontière. Bogota en est en effet l’un des bras. Le Brésil - et son président d’ultra-droite - fait de même, dans le sillage du parrain américain. On ne s’en étonnera pas quand on sait qu’Ivan Duque, le tout jeune président colombien, a passé une dizaine d’années à la Banque interaméricaine du développement (BID) à Washington et doit son apogée à Alvaro Uribe, un autre partisan de la manière forte. Son mandat de président entre 2002 et 2010 n’a-t-il pas été le cadre des « pires exactions du conflit colombien ». Voilà qui confirme le nouvel ordre yankee en marche en Amérique latine, sous le regard plus que bienveillant de nos dirigeants, dont Emmanuel Macron qui, avec ses homologues allemand, britannique, espagnol notamment, vient de reconnaître Guaido comme président par intérim ! Outre cette audacieuse ingérence maintes fois dénoncée en d’autres circonstances, l’engagement ouvre à coup sûr de nouvelles perspectives, à l’heure où la démocratie est, elle-même, questionnée dans l’hexagone. Que n’entendrait-on pas si d’aventure le président du Sénat s’auto-proclamait président pour mettre fin – enfin - à une crise sociale d’une ampleur jamais connue depuis cinquante ans et qui n’en finit pas. Et que les dirigeants de Gambie, du Burundi, du Malawi, à tout hasard, appuyaient un tel projet. Simple vue de l’esprit et pure utopie, cela va de soi !

Claude VAUTRIN

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samedi 2 février 2019

APPEL DE LA PREMIÈRE « ASSEMBLÉE DES ASSEMBLÉES » DES GILETS JAUNES





APPEL DE LA PREMIÈRE « ASSEMBLÉE DES ASSEMBLÉES » DES GILETS JAUNES
Nous, Gilets Jaunes des ronds-points, des parkings, des places, des assemblées, des manifs, nous sommes réunis ces 26 et 27 janvier 2019 en « Assemblée des assemblées », réunissant une centaine de délégations, répondant à l’appel des Gilets jaunes de Commercy
Depuis le 17 novembre, du plus petit village, du monde rural à la plus grande ville, nous nous sommes soulevés contre cette société profondément violente, injuste et insupportable. Nous ne nous laisserons plus faire ! Nous nous révoltons contre la vie chère, la précarité et la misère. Nous voulons, pour nos proches, nos familles et nos enfants, vivre dans la dignité. 26 milliardaires possèdent autant que la moitié de l’humanité, c’est inacceptable. Partageons la richesse et pas la misère ! Finissons-en avec les inégalités sociales ! Nous exigeons l’augmentation immédiate des salaires, des minimas sociaux, des allocations et des pensions, le droit inconditionnel au logement et à la santé, à l’éducation, des services publics gratuits et pour tous.
C’est pour tous ces droits que nous occupons quotidiennement des ronds-points, que nous organisons des actions, des manifestations et que nous débattons partout. Avec nos gilets jaunes, nous reprenons la parole, nous qui ne l’avons jamais.
Et quelle est la réponse du gouvernement ? La répression, le mépris, le dénigrement. Des morts et des milliers de blessés, l’utilisation massive d’armes par tirs tendus qui mutilent, éborgnent, blessent et traumatisent. Plus de 1.000 personnes ont été arbitrairement condamnées et emprisonnées. Et maintenant la nouvelle loi dite « anti-casseur » vise tout simplement à nous empêcher de manifester. Nous condamnons toutes les violences contre les manifestants qu’elles viennent des forces de l’ordre ou des groupuscules violents. Rien de tout cela ne nous arrêtera ! Manifester est un droit fondamental. Fin de l’impunité pour les forces de l’ordre ! Amnistie pour toutes les victimes de la répression !
Et quelle entourloupe que ce grand débat national qui est en fait une campagne de communication du gouvernement, qui instrumentalise nos volontés de débattre et décider ! La vraie démocratie, nous la pratiquons dans nos assemblées, sur nos ronds-points, elle n’est ni sur les plateaux télé ni dans les pseudos tables rondes organisées par Macron.
Après nous avoir insultés et traités de moins que rien, voilà maintenant qu’il nous présente comme une foule haineuse fascisante et xénophobe. Mais nous, nous sommes tout le contraire : ni racistes, ni sexistes, ni homophobes, nous sommes fiers d’être ensemble avec nos différences pour construire une société solidaire.
Nous sommes forts de la diversité de nos discussions, en ce moment même des centaines d’assemblées élaborent et proposent leurs propres revendications. Elles touchent à la démocratie réelle, à la justice sociale et fiscale, aux conditions de travail, à la justice écologique et climatique, à la fin des discriminations. Parmi les revendications et propositions stratégiques les plus débattues, nous trouvons : l’éradication de la misère sous toutes ses formes, la transformation des institutions (RIC, constituante, fin des privilèges des élus…), la transition écologique (précarité énergétique, pollutions industrielles…), l’égalité et la prise en compte de toutes et tous quelle que soit sa nationalité (personnes en situation de handicap, égalité hommes-femmes, fin de l’abandon des quartiers populaires, du monde rural et des outres-mers…).
Nous, Gilets Jaunes, invitons chacun avec ses moyens, à sa mesure, à nous rejoindre. Nous appelons à poursuivre les actes (acte 12 contre les violences policières devant les commissariats, actes 13, 14...), à continuer les occupations des ronds-points et le blocage de l’économie, à construire une grève massive et reconductible à partir du 5 février. Nous appelons à former des comités sur les lieux de travail, d’études et partout ailleurs pour que cette grève puisse être construite à la base par les grévistes eux-mêmes. Prenons nos affaires en main ! Ne restez pas seuls, rejoignez-nous !
Organisons-nous de façon démocratique, autonome et indépendante ! Cette assemblée des assemblées est une étape importante qui nous permet de discuter de nos revendications et de nos moyens d’actions. Fédérons-nous pour transformer la société !
Nous proposons à l’ensemble des Gilets Jaunes de faire circuler cet appel. Si, en tant que groupe gilets jaunes, il vous convient, envoyez votre signature à Commercy (assembleedesassemblees@gmail.com). N’hésitez pas à discuter et formuler des propositions pour les prochaines « Assemblées des assemblées », que nous préparons d’ores et déjà.
Macron Démission ! Vive le pouvoir au peuple, pour le peuple et par le peuple.
Appel proposé par l’Assemblée des Assemblées de Commercy.
Il sera ensuite proposé pour adoption dans chacune des assemblées locales.