jeudi 3 juillet 2014

L’affaire du cheval de Troie de Birmingham, ou pourquoi les Britanniques s’interrogent sur les vertus de la laïcité à la française ?


En novembre dernier, la mairie de Birmingham a reçu une lettre faisant état d’un plan d’infiltration des écoles publiques de la ville mis en place par un groupe d’islamistes radicaux. Il s’agissait pour ceux-ci, selon la lettre, d’obtenir la majorité dans les conseils d’administration des écoles, pour ensuite faire appliquer dans l’école toute une série d’actions « pro-islam », selon un schéma déjà mis en place dans d’autres écoles d’un quartier à forte implantation musulmane de la ville. La stratégie dite « du cheval de Troie » selon le terme repris dans la presse aurait consisté en une éjection progressive des non musulmans du conseil d’administration du lycée, l’instauration d’une ségrégation des filles par leur relégation à l’arrière des classes, l’organisation de pèlerinage à la Mecque pour les élèves, le harcèlement des familles dont les enfants auraient des comportements immoraux tels que s’embrasser dans la rue, la mise au ban des professeurs non conformes à la morale islamique. La lettre mentionne également des prières obligatoires dans les écoles publiques désormais sous contrôle et l’organisation de prêches dans les locaux.

La lettre a circulé dans différents bureaux de la mairie qui se sont refilés la patate chaude, puis l’ont transmise à la police où quelqu’un l’a envoyée au ministère de l’intérieur par l’entremise duquel elle est arrivée au ministère de l’éducation nationale. Quatre enquêtes séparées ont été diligentées dans les écoles sensées être déjà infiltrées. Le ministre de l’éducation nationale, M. Gove, puis le premier ministre D. Cameron en sont allé chacun de leur sortie médiatique. L’un et l’autre ont décidé de « renforcer la promotion des valeurs typiquement britanniques » dans toutes les écoles du Royaume. La démocratie, le respect des lois, la liberté individuelle, le respect mutuel et la tolérance envers les personnes ayant d’autres croyances ou d’autres fois font partie de ces valeurs qualifiées de britanniques - que nous pourrions tout aussi bien décréter républicaines de ce côté de la Manche.

Le très sérieux journal britannique «The Guardian » souligne avec quelle facilité une simple lettre porteuse de contre-vérités et d’exagérations a pu se transformer en affaire nationale au point que la démission du ministre de l'Education Nationale ait été un moment envisagée. Le plus inquiétant n’est pas là. Les inspecteurs ont trouvé une situation moins extrême et plus complexe que ce à quoi la lettre et le buzz médiatique les conduisaient à attendre, questionnant toutefois le niveau de liberté que l’Etat accorde aux conseils d’administration des écoles publiques. Un glissement  vers un excès de pouvoir, somme toute assez classique, qu’on peut constater dans des organismes de toutes natures, comme la FIFA, les Universités, les services publics. Ici et pas là, on a crié à la mise en danger de valeurs fondamentales de la communauté britannique. Sans doute est-ce parce que le point de focalisation a évolué. D’une investigation sur l’emprise d’un extrémisme, on a glissé vers une investigation et une prise de conscience de la « possibilité d’un glissement vers une forme d’extrémisme ». On a quitté subrepticement une logique de guerre défensive pour aller vers une guerre préventive. « Attaquons-les, pour nous prévenir du risque qu’ils ne nous attaquent ». « Si ce n’est pas si grave aujourd’hui, cela pourrait l’être demain ».

Si les extrémistes d’hier étaient les poseurs de bombes, ce sont aujourd’hui des croyants plus ou moins rigoristes qui sont suspects, sinon coupables. Peut-être demain en viendra-t-on à considérer que le fait de croire en Dieu constitue per se une menace pour la sécurité nationale ? Le problème, dans le cas des écoles de Birmingham, c’est qu’il s’agit dans le cas de figure d’établissement particulièrement performants. Les gamines, musulmanes ou pas, projettent de devenir l’une avocate, l’autre psychiatre. Le même corps d’inspecteurs qui doit déposer un rapport sur les pratiques prétendument prosélytes a précédemment acclamés ces mêmes écoles pour leurs résultats académiques ainsi que pour leur rôle positif dans l’intégration de populations d’origine étrangère. L’extrémisme et les préjugés ne sont peut être pas toujours du côté que l’on croit. Une occasion pour nous de réaffirmer le modèle laïque français, ses garanties de liberté de culte et de croyance et la question des valeurs qui ne sont sans doute à bien y regarder ni républicaines, ni britanniques, mais universelles. Elles sont donc partagées par les religions dans leur composante ouverte sur la société, qui sont constitutives de la civilisation en mouvement, lorsqu’elles nous ouvrent à nous-mêmes et à la rencontre de l’autre dans le respect de son identité singulière.

Vincent Grosjean


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire