samedi 26 juillet 2014

Qui gagne à Gaza : Un article d'Uri Avnery publié dans Ha'aretz le 26 juillet 2014


Qui gagne ?
Uri Avnery, samedi 26 juillet 2014
À quoi ressemblerait l’Histoire si elle était écrite dans le style de l’opération “Falaise imposante” (appelée aussi Bordure Protectrice) ?
Par exemple :
Winston Churchill était un scélérat.
Pendant cinq ans il maintint la popu­lation de Londres sous le feu incessant de la Luftwaffe allemande. Il utilisa les habitants comme boucliers humains dans sa folle guerre. Tandis que la population civile était exposée aux bombes et aux roquettes, sans la protection d’un “Dôme de fer”, il se cachait dans son bunker sous le 10 Downing Street.
Il utilisa tous les habitants de Londres comme otages. Lorsque les dirigeants allemands firent une proposition de paix généreuse, il la rejeta pour des raisons idéologiques insensées. Il condamna ainsi son peuple à des souffrances inimaginables.
De temps à autre il sortait de sa cachette souterraine pour se faire photographier devant les ruines, puis il retournait à la sécurité de son trou de rat. Mais il déclara au peuple de Londres : “Les générations futures diront que c’était là vos plus belles heures !”
La Luftwaffe allemande n’eut pas d’autre alternative que de continuer à bombarder la ville. Ses commandants déclaraient qu’ils ne frappaient que des objectifs militaires, comme les maisons de soldats britanniques, où avaient lieu des réunions militaires.
La Luftwaffe allemande appela les habitants de Londres à quitter la ville, et beaucoup d’enfants furent effectivement évacués. Mais la plupart des Londoniens respectèrent l’appel de Churchill à rester, se condamnant ainsi eux-mêmes au sort de “victimes collatérales”.
Les espoirs du haut commandement allemand que la destruction de leurs maisons et la mort de membres de leurs familles conduiraient les habitants de Londres à se soulever, à chasser Churchill et sa clique de fauteurs de guerre, furent réduits à néant.
Les Londoniens aux instincts primitifs, dont la haine des Allemands l’emportait sur leur logique, suivirent aveuglément les instructions du lâche Churchill. L’admiration qu’ils lui portaient augmentait de jour en jour, et à la fin de la guerre il était presque devenu un dieu.
Une statue de lui est même érigée aujourd’hui devant le Parlement à Westminster.
QUATRE ANS plus tard la roue avait tourné. Les forces aériennes britanniques et américaines bombardèrent les villes allemandes et les détruisirent complètement. Il ne resta pas une pierre debout, de glorieux palais furent rasés, des trésors culturels anéantis. “Des civils non impliqués” furent déchiquetés, brûlés vifs ou tout simplement disparurent. Dresde, l’une des plus belles villes d’Europe, fut totalement détruite en quelques heures dans un “déluge de feu”.
L’objectif officiel était de détruire l’industrie de guerre allemande, mais celui-ci ne fut pas atteint. Le véritable objectif était de terroriser la population civile, pour l’inciter à chasser ses dirigeants et à capituler.
Ce n’est pas ce qui se produisit. Et même, la seule révolte sérieuse contre Hitler fut conduite par des officiers supérieurs de l’armée (et elle échoua). La population civile ne se souleva pas. Au contraire. Dans une de ses diatribes contre les “pilotes de terreur” Goebbels déclara : “ Ils peuvent détruire nos maisons mais ils ne peuvent pas briser notre âme !”
L’Allemagne ne capitula pas avant le tout dernier moment. Des millions de tonnes de bombes n’y suffirent pas. Elles ne firent que renforcer le moral de la population et sa loyauté à l’égard du Führer.
ET C’EST LA MËME CHOSE pour Gaza.
Chacun se demande : qui est le gagnant de ce round ?
À quoi l’on peut répondre, à la façon juive, par une autre question : comment en juger ?
La définition classique de la victoire est : la partie qui reste sur le champ de bataille a gagné la bataille. Mais ici personne n’a bougé. Le Hamas est toujours là. Israël aussi.
Carl von Clausewitz, le théoricien prussien de la guerre, fit cette déclaration célèbre selon laquelle la guerre n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens. Mais dans cette guerre, aucune des parties n’a d’objectifs politiques clairs. On ne peut donc évaluer la victoire de cette façon.
Le bombardement intensif de Gaza n’a pas entraîné la capitulation du Hamas. Par ailleurs, la campagne intensive de roquettes du Hamas, qui a touché la majeure partie d’Israël, n’a pas non plus été couronnée de succès. La réussite étonnante des roquettes à frapper partout en Israël a été contrée par l’étonnante réussite du “Dôme de fer” anti-roquettes à les intercepter.
Par conséquent, jusqu’à présent, c’est un match nul.
Mais lorsqu’une minuscule force de combat sur un minuscule territoire réalise un match nul face à l’une des armées les plus puissantes du monde, on peut considérer que c’est une victoire.
L’ABSENCE d’objectif politique israélien est le résultat d’une pensée confuse. Les dirigeants israéliens, politiques comme militaires, ne savent pas vraiment comment se comporter avec le Hamas.
Il se peut qu’on ait oublié que le Hamas est dans une large mesure une création israélienne. Au cours des premières années de l’occupation, lorsque toute activité politique était brutalement réprimée en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, le seul endroit où les Palestiniens pouvaient se rencontrer et s’organiser était la mosquée.
À l’époque, le Fatah était considéré comme le super-ennemi d’Israël. Les dirigeants israéliens diabolisaient Yasser Arafat, le super-super-terroriste. Les islamistes, qui haïssaient Arafat, étaient considérés comme le moindre mal, et même comme des alliés secrets.
J’ai un jour demandé au chef du Shin-Bet de l’époque si son organisation avait créé le Hamas. Sa réponse : “Nous ne l’avons pas créé. Nous l’avons toléré.”
Cela ne changea qu’un an après le déclenchement de la première intifada, lorsque le chef du Hamas Cheikh Ahmed Yacine fut arrêté. Depuis lors, bien sûr, la réalité a été complètement inversée : le Fatah est maintenant un allié d’Israël, du point de vue de la sécurité, et le Hamas le super-super-terroriste.
Mais est-ce vraiment la réalité ?
Des officiers israéliens disent que si le Hamas n’existait pas il faudrait l’inventer. Le Hamas contrôle la bande de Gaza. On peut le tenir responsable de ce qui s’y passe. Il y assure la loi et l’ordre. C’est un partenaire fiable pour un cessez-le-feu.
Les dernières élections palestiniennes, tenues sous contrôle international, ont conduit à une victoire du Hamas en Cisjordanie comme dans la bande de Gaza. Lorsque le pouvoir fut dénié au Hamas, il le prit par la force dans la bande de Gaza. D’après tous les témoignages fiables, il bénéficie de la loyauté de la grande majorité de la population du territoire.
Tous les experts israéliens conviennent que si le régime du Hamas à Gaza venait à tomber, des groupes islamistes dissidents beaucoup plus extrémistes l’emporteraient et plongeraient la Bande, avec ses 1,8 million d’habitants, dans un chaos complet. Les experts militaires n’aiment pas ça.
L’objectif de la guerre, si on peut lui faire cet honneur, n’est donc pas de détruire le Hamas, mais de le maintenir au pouvoir, bien que dans un état très affaibli.
Mais comment, pour l’amour du ciel, pourrait-on faire cela ?
L’UNE DES FAÇONS, exigée maintenant par les membres d’extrême droite du gouvernement, consiste à occuper l’ensemble de la bande de Gaza.
À quoi les chefs de l’armée répondent de nouveau par une question : Et ensuite ?
Une nouvelle occupation permanente de la Bande est un cauchemar militaire. Cela impliquerait qu’Israël assume la responsabilité de pacifier et de nourrir 1,8 million de personnes (dont la plupart, soit dit en passant, sont des réfugiés de 1948 et leurs descendants). Une guérilla permanente s’en suivrait. Personne en Israël ne le souhaite réellement.
Occuper puis s’en aller ? Facile à dire. L’occupation elle-même serait une opération sanglante. Si l’on adopte la doctrine “Plomb Durci”, cela signifierait plus d’un millier, peut-être plusieurs milliers de morts palestiniens. Cette doctrine (non écrite) dit que s’il faut tuer cent Palestiniens pour épargner la vie d’un seul soldat israélien, c’est ce qu’il faut faire. Mais si les pertes israéliennes s’élevaient même à quelques dizaines de morts seulement, l’état d’esprit dans le pays changerait complètement. L’armée ne veut pas prendre ce risque.
PENDANT UN moment mardi il semblait qu’un cessez-le-feu avait été obtenu, au grand soulagement de Benjamin Nétanyahou et de ses généraux.
Mais ce fut une illusion d’optique. Le médiateur était le nouveau dictateur égyptien, une personne partout détestée des islamistes. C’est un homme qui a tué et emprisonné des centaines et des centaines de Frères Musulmans. C’est un allié militaire déclaré d’Israël. Il bénéficie de largesses américaines. Qui plus est, dans la mesure où le Hamas s’est constitué en tant que branche des Frères Musulmans d’Égypte, le général Abd-al-Fatah Al-Sissi les déteste profondément, et il ne s’en cache pas.
Ainsi, au lieu de négocier avec le Hamas, il fit quelque chose d’absolument stupide : dicter un cessez-le-feu aux conditions israéliennes sans aucune consultation du Hamas. Les dirigeants du Hamas eurent connais­sance par les médias du cessez-le-feu proposé et le rejetèrent immédiatement.
Mon opinion personnelle est qu’il vaudrait mieux que l’armée israélienne et le Hamas négocient directement. Dans toute l’histoire militaire, les cessez-le-feu ont été organisés par les commandements militaires. L’une des parties envoie un officier avec un drapeau blanc vers le commandant de l’autre partie et un cessez-le feu est convenu – ou non. (Un général américain fit une réponse célèbre à une telle offre all­mande : « des clous ! » (en anglais « Nuts » - des noix - NDT).
Pendant la guerre de 1948, dans mon secteur du front, un cessez-le-feu de courte durée fut convenu entre le major Yerucham Cohen et un jeune officier égyptien du nom de Gamal Abd-el-Nasser.
Puisqu’il semble que cela soit impossible entre les parties en présence, il faudrait trouver un médiateur réellement honnête.
Pendant ce temps-là, Nétanyahou fut poussé par ses collègues/rivaux à envoyer les troupes dans la Bande, pour tenter au moins de localiser et détruire les tunnels creusés par le Hamas sous la barrière frontalière pour mener des attaques surprises contre les colonies voisines.
COMMENT CELA finira-t-il ? Il n’y aura pas de fin, juste un round après l’autre, à moins qu’une solution politique ne soit adoptée.
Celle-ci impliquerait : l’arrêt des roquettes et des bombes, la fin du blocus israélien, la possibilité donnée à la population de Gaza de mener une vie normale, favoriser l’unité palestinienne sous un véritable gouvernement d’unité, entreprendre des négociations de paix sérieuses, FAIRE LA PAIX.
La première partie de cet article a été publiée mercredi dans le journal israélien Ha’aretz
URI AVNERY

Uri Avnery (de son nom de naissance Helmut Ostermann) est un écrivain et journaliste israélien né le 10 septembre 1923 à Beckum (Westphalie, Allemagne). Surtout connu pour être un militant des droits des palestiniens et pacifiste convaincu, il appartient à une tendance de la gauche radicale israélienne.
Enfance et jeunesse :  Sa famille fuyant l'Allemagne de Hitler, il arriva en Palestine en 1933].Cinq ans plus tard, il prit part (à l'âge de quatorze ans) au combat contre les autorités mandataires britanniques en s'enrôlant dans l'organisation armée nationaliste juive : l'Irgoun . Il quitte l'organisation en 1941, se rebellant contre les positions anti-arabe et anti-sociale de l'organisation.
Le soldat :[]  Il participe à la guerre israélo-arabe de 1948 comme soldat dans l'armée israélienne dans la brigade Guivati également connue sous l'appellation des Renards de Samson
Il quitte l'armée en 1949 et devient éditorialiste pour le quotidien Haaretz. En 1950, avec quelques proches, il rachète l'hebdomadaire israélien Haolam Hazeh (Ce monde). Il en sera l'éditorialiste jusqu'en 1993.
Le député : En 1965, il participe à la création du parti Haolam Hazeh - Koach Hadash[3] (Ce monde - Nouvelle force). Cette même année, présenté par ce parti, il est élu député à la Knesset. Il reste député jusqu'en 1973 et le redevient de 1979 à 1981.
Depuis quelques années, il écrit fréquemment pour le quotidien Maariv.
Le militant de Gush Shalom :  Uri Avnery est cofondateur du Bloc de la paix, (Gush Shalom en hébreu) en 1993.
Gush Shalom est un  mouvement israélien qui milite pour la paix et la création d'un État palestinien : retour aux frontières de 1967 de la part d'Israël, partition de Jérusalem et création d'un État palestinien distinct d'Israël au côté de celui-ci sous le slogan "Deux peuples, deux états". Uri Avnery a dans ce cadre rencontré Yasser Arafat à de nombreuses reprises .
Reconnaissance :
Uri Avnery est récipiendaire du prix Nobel alternatif en 2001, « pour [sa] conviction inébranlable, au milieu de la violence, que la paix ne peut être atteinte que grâce à la justice et la réconciliation. »[a 1].
Citation
« Notre rôle n'est qu'un petit rôle dans une lutte mondiale pour la paix, la justice et l'égalité entre les êtres humains et entre les nations, pour la préservation de notre planète. Tout cela peut se résumer en un mot, qui à la fois en hébreu et en arabe signifie pas seulement la paix, mais aussi l'intégrité, sécurité et bien-être : Shalom, Salam. » : Discours de réception du prix Nobel alternatif, 9 décembre 2001..


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